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Billet de blog 25 septembre 2016

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"Remèdes à la mélancolie"

« Remède à la mélancolie » est une émission de radio. Son titre avait éveillé mon intérêt de psy. Dimanche dernier, j'ai écoutée avec émotion, Tzvetan Todorov, qui y était invité , proposer d'établir avec la tristesse "un rapport d'amitié", de l'apprivoiser plutôt que de l'éradiquer, contrairement à nos experts en santé mentale obligatoire...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Remède à la mélancolie »  est une émission de radio. Son  titre  avait éveillé mon intérêt de psy, quand je l’avais vu dans  la grille  des programmes de  France inter. Dimanche dernier,  je l’ai écoutée.

Ce jour-là, l’animatrice, Eva Bester a  invité  Tzvetan Todorov.

Il   est appelé à nous parler de cette humeur noire, avec  laquelle,  nous avoue-t-il d’emblée, il « entretient des rapports d’amitié ».

Il  propose non pas de  la « guérir » mais de   « l’apprivoiser »…  d’en  faire une  « source de rêverie et d’humeur vagabonde… »

Pendant  les 45 minutes que dure l’émission,  il nous offre  ses trouvailles pour « l’adoucir … »  et «  la rendre  acceptable »: l’humour triste de Ozu dans son  film « voyage à Tokyo »,   une sonate pour piano de Schubert, l’image du  Pierrot songeur du tableau de Watteau,   et cette   chanson de Prévert et Cosma , « Les feuilles mortes » qui le rend nostalgique, lui rappelle sa jeunesse à Sofia,  où il l’avait entendue, pour la première fois,  chantée par Y. Montand…

Il  cite Montaigne parlant de l’amitié et de la vie : « si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs », ou la poétesse russe Marina Tsvetaeva : « qui pourrait parler de ses souffrances sans être enthousiasmé, c'est-à-dire heureux ?"

 « Je ne souhaite pas qu’on arrache du monde  toute trace de mélancolie », et que par « décision hygiéniste, on élimine toutes les personnes tristes, car la tristesse est source de création… » …  nous dit-il.

 En ces temps « modernes »,  d’éradication  du moindre   « trouble », de contrôle et de surveillance des patients,  de criminalisation des « fous » et des marginaux,  de promotion de la Norme,  de rabotage des identités,  ces propos  m’ont fait du bien.   

Ça m’a réconfortée  qu’une émission de radio  cherche dans l’art et la parole humaine, patiemment, chaque semaine avec un invité différent,  des « remèdes »  (ce  mot désuet) à notre   détresse commune. 

Qu’elle glisse dans   son générique,  cette phrase de Françoise Sagan qui ouvre  « Bonjour tristesse » : « Sur ce sentimentinconnu, dont l' ennui, la douceur m' obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beaunomgrave de tristesse. »

Nos  nouveaux spécialistes en santé mentale obligatoire eux,  n’hésitent pas.  Ils ne s’embêtent  pas  à chercher  le mot juste,  ils  ont déjà la liste complète de tes  symptômes dans leur manuel,   il leur suffit de le  consulter pour trouver de quoi tu souffres. Une fois  leur diagnostic posé,  il leur reste à lire les recommandations de la dernière conférence de consensus, et ils n’ont plus qu’à prescrire !  

Ah,  j’oubliais,  ils rentrent  aussi toutes ces données, qui te concerne,  dans leur ordinateur : ce sont des  scientifiques, eux, des experts.

La littérature, ils ne voient pas à quoi ça pourrait bien leur servir.

La  vie n’est pas un roman.

Poésie,  musique,  peinture, cinéma, philosophie, psychanalyse… tout ça c’est du baratin ! 

Tristesse, angoisse, spleen, mélancolie, désespoir, terreur, honte, sidération… ils ne veulent pas se demander ce que nous ressentons, ces ignorants de l’humaine condition. Ni entendre parler de ce qui nous  fait  peur - grandir,   changer,  vieillir, être abandonné,  mourir…

 De toutes façons, ils savent déjà tout, statistiquement,  ils ne vont  pas s’arrêter à ton problème particulier.  Tu n’es pas différent des autres, qu’est-ce que tu crois !  Peu  importe ton pays, ta langue, peu importe ton âge,  ton histoire,  tes frères tes sœurs tes amours tes parents, ta vie, ton âme… tu es un individu génétique, d’un  modèle maintenant largement étudié, breveté, sous contrôle…

Médecine  par les preuves, protocole unique  applicable à tous, traitement estampillé.  

Pour chaque trouble,  il y a  une pilule à l’efficacité testée.

Ils ne se compliquent pas la vie nos savants docteurs.  

Si tu as perdu un être cher, tu as  le droit d’être triste pendant, disons, 2 mois, 3 mois… Mais attention, passé ce délai, si tu  souffres encore d’insomnies, si tu as  des idées noires,  si tu n’as  plus de courage, tu es  MALADE.  Va consulter un professionnel ; il  te  prescrira un  traitement anti-dépresseur, et quels que soient ses  effets secondaires ne l’arrête surtout pas, ce serait  risqué.

2 mois, 3 mois pour faire un deuil ? Et si, à certains, il fallait  25 ans ?

 Comme à  toi, jeune femme de Nanterre, qui a poussé la porte de  notre  consultation,  au milieu des HLM.
Ton bébé de 1 mois, une fille, ton premier enfant  nous as-tu dit,   n’arrêtait pas de pleurer, rien ne pouvait la calmer, l’apaiser… Tu avais  tout essayé : la prendre dans tes bras, la nourrir, la changer, la promener, lui donner un bain chaud, lui masser le ventre…

Tu avais cherché ces « remèdes »  sur internet, et tu étais tombée  sur le site   « baby center »,  qui répertorie les « 7 pleurs des bébés » : il a faim, il a chaud ou il a froid, il est sale, il a besoin d’un câlin, il a sommeil, il a des coliques, il ne se sent pas bien… et qui te prévient : «  Vous aurez parfois du mal à comprendre la signification des pleurs de votre bébé. Celui-ci traversera des périodes d’agitation et vous n’arriverez pas toujours à le calmer. Ne vous inquiétez pas, c’est normal… »…  «   Le tempérament de votre bébé est peut-être celui d’un enfant qui pleure beaucoup. Observez les changements dans le comportement de votre bébé. Si quelque chose ne va pas, il pleurera certainement différemment par rapport à d’habitude

Personne ne connaît mieux votre bébé que vous. Si vous avez l’impression que quelque chose ne va pas, consultez votre médecin généraliste ou votre pédiatre. »

Sur un autre site tu avais trouvé cette idée : « parlez-lui à l’oreille »,  et tu t’étais penchée vers elle, mais tu n’avais pas su quoi lui dire ;  et cet autre conseil aussi :  « chantez-lui des berceuses » : tu as cherché dans ta mémoire, mais rien n’est venu,  ni mots, ni rythme, ni mélodie : est-ce qu’on t’en avait chanté des berceuses, à toi,  dont la mère a disparu en te mettant au monde, t’es-tu demandée ?

Ce jour-là, tu  as rencontré   ta voisine, une jeune mère comme toi, vous avez parlé de vos enfants et  elle  a essayé de te rassurer, de te  consoler,   mais voyant tes yeux cernés, ton teint blafard, elle t’a aussi conseillé d’aller à la  « PMI »  du quartier, qu’elle connaît bien.

  Le fait qu’il existe un lieu pour te protéger, toi et ton enfant, t’a déjà redonné espoir.

A la PMI, la  pédiatre a examiné longuement, ton bébé qui, étrangement,  ne pleurait plus. Elle n’a rien trouvé   d’inquiétant, mais elle  a noté que ta petite fille avait  un air grave, très sérieux,  a-t-elle dit. Elle a remarqué aussi ton épuisement, ton angoisse… C’est elle qui t’a donné l’adresse de la Coursive des Loupiots, notre consultation, où à peine arrivée, ton bébé dans les bras,  à peine assise, tu t’es mise, toi,  à pleurer …

 « Je connais un chêne,  nous  dit T. Todorov, avant de clore l’émission, de sa voix apaisante, au doux accent bulgare, un chêne centenaire, dans une région de France que je fréquente… Quand je le contemple, je me sens rassuré, je sais qu’il a été là longtemps avant que je n’existe et que je ne vienne en France, je sais qu’il existera longtemps après que j’aurai disparu… Cette durée, cette puissance, c’est un  chêne immense, me donne un sentiment de sérénité et la capacité de me confronter à tout ce qui nous attend et dont on ne sait pas si c’est si bien que ça… »

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