Nègre des champs, nègre domestique, et le syndrome de l’oncle Tom au Maroc
Publié le mai 16, 2011 par ...
15.05.2011 | Abdullah Abaakil | eplume.wordpress.com
 
    Dans une charge resté célèbre contre le mouvement de Martin Luther King, dans le conflit de stratégie au sein du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, Malcolm X développait une explication de ces divergences en faisant le portrait de la mentalité de ce qu’il appelle, d’une part, le « nègre des champs » et, d’autre part, le « nègre de maison », ou Oncle Tom, en référence au célèbre roman La case de l’Oncle Tom.
Le nègre des champs est l’esclave assigné aux travaux agricoles. Il ne voit que très rarement son maître, est soumis au travail forcé et soumis au fouet, droit de cuissage, à la volonté et au pouvoir de vie et de mort de contremaîtres salariés. Il ne lui est offert aucune possibilité d’échapper à sa condition de servitude et d’oppression.
Le nègre de maison, lui, vit, respire et se règle sur le pas de son maître et de sa famille. Il est majordome, cuisinière, servante ou mieux encore nourrice. Il aurait même la possibilité de racheter sa liberté ou de s’émanciper quand la bonne fortune le met entre les mains d’un maître « zweeen » ou éclairé, mais n’en veut pas vraiment car elle l’éloignerait de sa protection et ses bienfaits. Il voit même dans le droit de cuissage exercé par son maître ou ses fils une chance de purification de sa descendance, et accepte les châtiments corporels comme une œuvre de redressement moral salutaire pour lui.
Le discours de Malcolm X prend toute sa force lorsqu’il souligne les expressions utilisées par ces deux groupes. Autant le nègre des champs use, pour parler du maître, de la troisième personne du singulier, autant le nègre de maison usera de la première personne du pluriel. Ce dernier dira, lorsque son maître a fait un bon repas, « nous avons bien mangé ». Il partage le même mépris, mêlé de terreur et de haine, pour les nègres des champs et leurs rebellions contre l’oppression et, quand il prend à son maître l’envie de les châtier, il dira « nous avons bien fait de châtier ces nègres ».
Si le destinataire de cette charge, qu’il faut placer dans le contexte outrancier des années 60 et son lot de noms d’oiseaux tels que « sociaux-traîtres » ou « socialo-fascistes », Martin Luther King, s’est finalement avéré un véritable « nègre des champs », de l’aveu même de Malcolm X, il n’en reste pas moins qu’elle garde toute sa pertinence et son actualité. Elle souligne l’impossibilité du dialogue entre opprimés qu’il faut mettre sur le compte, ainsi que le soulignent certains de mes amis, sur le syndrome de Stockholm, même si je préfère parler de syndrome de l’oncle Tom, qui relève de la pathologie masochiste. Soulignons également que le jazz et le blues, ainsi que toute la culture afro-américaine, devenue mondiale, nous viennent de ces mêmes « nègres des champs ».
Ne sommes-nous pas, membres et soutiens du Mouvement du 20 février, conscients et fiers de revendiquer notre statut de « khemmassa » ou, comme Zakaria Boualem, de « locataires », et désireux d’y mettre fin, les nouveaux « nègres des champs » ? De la même manière, quand des technocrates bon teint, ou des représentants diplômés de cette « génération 10.000 balles », nous servent des louanges sur les avancées économiques du Royaume, n’entendez-vous pas poindre le « nous avons bien mangé » du l’oncle Tom ?
Ce dimanche, c’est avec dégoût que j’ai lu de nombreux commentaires d’internautes qui puaient le « nous avons bien fait de châtier ces nègres », à propos du matraquage sauvage des jeunes et moins jeunes qui s’étaient rassemblés afin de protester pacifiquement contre la torture et les détentions arbitraires du centre de la DST à Temara. Je passerai sur les explications ubuesques sur la répression de manifestants opposés à un centre, dont l’existence est niée, mais qu’on veut bien faire inspecter par le CNDH et une commission parlementaire, ou des comparaisons spécieuses avec le FBI, dont l’adresse est publique et qui est, lui, soumis à contrôle démocratique. Je laisse le soin à plus talentueux que moi pour dénouer ce défi permanent à la raison et à l’esprit humain qu’est la propagande de ce régime et de ses affidés.
Je me contenterai de rappeler que lorsque le maître protège par le fouet l’homme au fouet qu’est le contremaître, il s’expose à ce que la colère des nègres des champs atteigne sa propre maison. Est-ce bien ce que nous tous, nègres des champs et nègres de maison, nous voulons ?
 
                 
             
            