D.Audoux

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Billet de blog 19 juin 2015

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Et Cronstadt ?

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Et Cronstadt ?

C'est souvent l'argument ultime de la bourgeoisie (c'est vrai qu'en matière de barbarie, d'assassinats, de guerres, de destructions, ses gouvernements tant fascistes que "démocratiques" ont un savoir-faire inégalé !), mais aussi de la petite bourgeoisie radicalisée, des anarchistes… pour lesquels Cronstadt est la preuve que Staline et ses successeurs n'ont fait qu'emboîter le pas à Lénine et Trotsky (c'est aussi la tasse de thé d'un journaliste "objectif" comme J.F. Kahn, lui aussi ancien stalinien).

Pas plus que les camps de concentration de l'époque (camp d'internement des prisonniers) n'ont à voir avec les camps d'extermination hitlérien ou le goulag stalinien, pas plus la "roulotte à gaz" n'a à voir avec les monstrueuses chambres à gaz nazies. Elle correspond ni plus ni moins à la chaise électrique d'aujourd'hui pour exécuter les condamnés à mort.

Rappelons que la majorité du Parti bolchevique, y compris l'Opposition ouvrière, prit position contre le soulèvement de Cronstadt.

Que dit par exemple Victor Serge, ami des anarchistes, dans ses mémoires[i] ? "La 3ème révolution disaient certains anarchistes bourrés d'illusions enfantines. Or le pays était complètement épuisé (7 ans de guerres étrangère et civile), la production presqu'arrêtée, il n'y avait plus de réserves d'aucune sorte, plus même de réserves nerveuses dans l'âme des masses. Le prolétariat d'élite, formé par les luttes de l'ancien régime, était littéralement décimé. Le parti grossi par l'afflux des ralliés au pouvoir, inspirait peu de confiance… Si la dictature bolchevique tombait, c'était à brève échéance le chaos, à travers le chaos, la poussée paysanne, le massacre des communistes, le retour des émigrés et finalement une autre dictature anti-prolétarienne par la force des choses… En dépit de ses fautes et de ses abus…, le parti bolchevik est à ce moment la grande force organisée, intelligente et sûre à laquelle il faut, malgré tout, faire confiance".

Que dit Paul Avrick[ii], professeur à l'université de Columbia : "dans le cas de Cronstadt, l'histoire peut se permettre d'affirmer que sa sympathie va aux rebelles tout en concédant que la répression bolchevique fut justifiée".

P. Avrick n'est ni bolchevik, ni trotskyste. "Les bolcheviks… demeuraient le plus sûr rempart contre le retour des blancs et l'effondrement de la révolution".

Avrick apporte un document qu'il a trouvé dans les archives du comité national russe, une organisation d'émigrés, intitulé "le Mémorandum", inconnu et pour cause à l'époque par les dirigeants bolcheviques ; ce "Mémorandum" a été écrit quelques semaines avant Cronstadt, et son authenticité n'est mise en doute par personne. Il prouve qu'il y avait un complot en préparation, avec un plan politique, militaire et financier. Mais la rébellion sur laquelle voulaient s'appuyer les comploteurs a éclaté trop tôt. Les dirigeants bolcheviques savaient que le temps leur était compté : "lorsque la fonte des glaces se serait produite, Cronstadt allait recevoir l'aide de la contre-révolution mondiale. La NEP n'aurait pas le temps de produire ses effets. Les oscillations de la paysannerie pourraient les mettre en conflit avec la classe ouvrière. D'où leur décision d'intervenir et de réduire la rébellion aussi rapidement que possible".[iii]

Pourtant les bolcheviques ont négocié avec les révoltés…, ont posé un ultimatum… avant de réprimer.

Qu'auraient dû faire, qu'auraient pu faire les dirigeants bolcheviques, sinon abandonner le pouvoir aux capitalistes et aux forces blanches ? Ce fut une tragique nécessité, accomplie à contre cœur. Quels rapports avec le stalinisme ?

Quant à la responsabilité personnelle de Trotsky[iv] : "La vérité dans cette affaire, c'est que je n'ai pas pris personnellement la moindre part à l'écrasement de la rébellion de Cronstadt, ni aux répressions qui l'ont suivie. A mes yeux, ce fait même n'a aucune importance politique. J'étais membre du gouvernement, je considérais nécessaire d'étouffer la rébellion et je porte donc la responsabilité de la pacification… La décision d'écraser militairement la rébellion, si on ne pouvait amener la forteresse à la reddition, d'abord par des négociations de paix, puis par un ultimatum…, fut adoptée avec ma participation directe… Mais une fois la décision prise, j'ai continué à demeurer à Moscou et n'ai pris part, ni directement ou indirectement, aux opérations militaires. Quant aux répressions qui ont suivi, elles ont été l'affaire exclusive de la Tcheka. C'est Dzerjinsky qui en eut la responsabilité personnelle et il ne tolérait, à juste titre, aucune ingérence dans ses fonctions… Mais, je suis prêt à reconnaître que la guerre civile n'est pas une école d'humanisme. Les idéalistes et les pacifistes ont toujours accusé la révolution « d'excès ». Mais le point essentiel, c'est que les « excès  découlent de la nature même de la révolution qui, en elle-même n'est qu'un « excès » de l'histoire…".


[i]      Mémoires d'un révolutionnaire", le Seuil, 1931, p. 142-143.

[ii]      "La tragédie de Cronstadt", éditions du Seuil, 1975, p. 14.

[iii]     P. Frank, dans la brochure Lénine, Trotsky, Cronstadt", Cahier rouge 7, éditions de la Taupe rouge, 1976, p. 30

[iv]     Cité dans la brochure "Lénine, Trotsky, Cronstadt", p. 74-75-76, l'article de Trotsky : "encore sur la pacification de Cronstadt" rédigé au Mexique le 6.7.1938.

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