Lénine autocrate, le parti bolchevique monolithique ?
Lénine s'est souvent trouvé en minorité dans son parti. En 1905, quand il veut promouvoir beaucoup plus d'ouvriers à la direction des sections locales, en général dirigées par des intellectuels, il est battu par 12 voix contre 9.
Après la révolution de février 1917, il est quasiment seul à penser qu'il ne faut pas soutenir le gouvernement Kerensky et se battre par "tout le pouvoir aux soviets" ; il lui faudra des semaines de polémiques pour convaincre la majorité du parti bolchevique.
En avril 1917, il propose d'abandonner le nom de "parti social-démocrate" et votre seul contre 118 délégués. Le comité central élu en avril 1917 est "tout sauf une collection de béni-oui-oui disciplinés" selon les mots de l'historien de Harvard, Robert Daniels[i].
En septembre 1917, Lénine défend, de nouveau seul, (avec Trotsky qui n'est pas encore membre du parti bolchevique) que le moment est venu d'organiser l'insurrection : ses articles ne sont mêmes pas imprimés en entier par la Pravda.
Quand cette position deviendra majoritaire, Zinoviev et Kamenev continueront de s'y opposer publiquement dans le journal de Gorki.
Quelques jours après la révolution d'octobre, les mencheviks se déclarèrent prêts à faire partie d'un gouvernement de coalition à condition que Lénine et Trotsky en soient exclus ! le comité central du parti bolchevique rejeta la proposition de 7 voix contre 4 !
En 1918, la discussion sur "Brest – Litovsk" faillit entraîner une scission. Les comités locaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg condamnèrent la politique de Lénine. La brochure de Boukkarine qui s'attaquait à la position de Lénine fut éditée à un million d'exemplaires.
En 1920, au 9ème congrès, une plate-forme d'opposition "centralisme démocratique" se forma pour dénoncer les abus d'autorité, il en résultat la formation d'une commission de contrôle. La même année "l'opposition ouvrière" avec Kollontai et Sckliapnikov joue un rôle très important.
En 1921, un large débat accompagna le lancement de la N.E.P., nouvelle politique économique.
En même temps, le congrès du parti vota ( à la quasi unanimité) l'interdiction temporaire des fractions organisées au sein du parti. Toute critique, toute discussion devait désormais avoir lieu dans les instances régulières du parti et non pas hors du parti. Mesure de circonstance liée à une situation critique d'un pays assailli par la famine et par la contre-révolution. Lors de ce même congrès, sur insistance de Lénine, deux membres de l'opposition ouvrière sont élus au comité central.
Où est le monolithisme ? Où est l'obéissance absolue au chef ? Lénine a été souvent mis en minorité (comme le fut aussi Robespierre au comité de salut public, qu'il quitta avant de revenir sur l'insistance des autres membres du comité). Les débats et les critiques furent permanents.
Et c'est Lénine lui-même qui le premier dénonça les risques de bureaucratisation, qui proposa en 1922 d'allonger la période d'essai pour les nouveaux membres afin d'éliminer les carriéristes et dénonça dans son testament, Staline. Le stalinisme fut l'antithèse du Bolchevisme ; il s'affirma en détruisant dans sa totalité la direction du parti bolchevique. Le stalinisme ne naît ni du centralisme, ni du prétendu monolithisme du parti bolchevique, ni du pouvoir absolu du chef qui à cette époque n'existait pas.
Et Trotsky, chef de l'armée rouge, pouvait, à la mort de Lénine, sans coup férir, s'emparer du pouvoir. Mais pas plus que Lénine, il n'avait l'âme d'un dictateur. N’a-t-il pas demandé lui-même, en janvier 1925, à « être libéré de ses fonctions de président du conseil révolutionnaire de l’armée » ? Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'à la tête de l'État ouvrier, même par ce biais, Trotsky n'aurait pu, non pas empêcher la bureaucratisation, mais continuer à dénoncer cette-ci, tout en combattant pour la révolution dans les autres pays et pour l'armement politique des partis communistes. 10 ans, c'est peu de chose, et alors le Front unique réalisé n'aurait-il pu vaincre Hitler, et les révolutions française et espagnole l'emporter ? Mais il est vrai qu’à l’époque, Trotsky ne pouvait soupçonner ce qu’allait devenir Staline et le stalinisme, sinon, aurait-il hésité un seul instant ?
[i] Le parti bolchevique, P.Brové, éditions de Minuit, 1971, p. 90