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[Novembre 2009]
Jerk. Secousse en anglais. Branleur par extension. Tour à tour, les poupées de David Brooks entrent dans une ronde qui pourrait bien former le signe de l’infini. Vertige. Deux de ses marionnettes commencent par avancer masquées. Certainement pour ébranler plutôt que pour danser. Avec ce solo pour un marionnettiste ventriloque, Gisèle Vienne approfondit plus avant sa mise en perspective de l’inanimé face à l’animé, disséminant deci delà des indices qui pourraient bien venir brouiller les pistes entre une réalité multiple et des fictions possibles. Pour résumer, un mélange d’étonnant. Dans la droite ligne des pièces rapportées par DACM -de l’autre côté du miroir- depuis Showroomdummies, Jerk est un bel écart dans les collaborations nées du dialogue fidèle et fertile qui rapproche Gisèle Vienne et l’auteur américain Dennis Cooper. On y retrouve une grande liberté, une franche insoumission. Mais l’adaptation de ce récit présente ceci de particulier que sa structure narrative est -du moins en apparence, plus linéaire, plus cohérente si on la met en regard avec ce que l’on connait du travail de Gisèle Vienne : "La construction de Jerk crée une satisfaction dans le sens où ce que nous donnons à voir est immédiatement compréhensible : les différents éléments sont repérables, ils sont articulés. Le spectateur suit le déroulement de la pièce et reste mené par cette sensation de vérité. Le fait que ce soit une histoire vraie me semble curieusement rassurante. C’est une forme de narration que je rejette a priori mais c’est finalement la raison pour laquelle j’ai voulu m’y atteler pour la tordre en la travaillant de l’intérieur. Je reste persuadée du fait que toute certitude est à remettre en cause, c’est définitivement nécessaire et vital. Il me semble qu’avec Jerk nous avons réussi à pousser les choses, notamment en travaillant sur un jeu réaliste que Jonathan aligne seul sur la perméabilité et la réactivité du public." Autre élément inédit dans le travail des Cooper / Vienne / Capdevielle, les poupées ont à l’occasion été réduites au format de la marionnette à gaine. "Dennis Cooper avait dans sa nouvelle décrit le personnage de David comme un marionnettiste à fils remarque Gisèle Vienne. Mais très rapidement, la technique de la marionnette à gaine a fait beaucoup plus de sens pour nous, elle nous a paru plus évidente dans le sens où elle produit une dynamique qui permet d’exprimer quelque chose de plus animé, de plus vivant, de plus violent aussi." C’est sur ce point que Jerk se place en droite ligne dans la tradition d’un théâtre de Guignol - ou autres Punch and Judy - qui a longtemps intégré des éléments contemporains pour aborder des questions d’actualité en évoquant des thèmes satyriques, politiques, sexuels. En ce sens le récit de Cooper, adaptation de faits réels, est implacablement violent, transgressif, incorrect. Un troisième oeil tatoué près de la pomme d’Adam, le personnage de David Brooks réanime ses pulsions de désir, d’amour et de mort. Il se plie à l’exercice de la représentation dans le but de mettre son histoire à distance mais il se retrouve vite pris, de dérives en glissements, par une mécanique qui lui échappe. Seul, exposé au plus haut point, Jonathan Capdevielle - immense acteur et partenaire de Gisèle Vienne depuis leurs débuts avec un texte de Jean Genet- manipule ses marionnettes à vue de manière quasi charnelle et opère en redoutable multi instrumentiste, hors castelet. Un virtuose habité qui remet en jeu la figure d’un marionnettiste, qui vit un rêve éveillé et qui se débat face à sa difficulté à s’adapter au réel. Il entre dans la représentation d’un personnage qui rejoue ce qu’il a vécu et qui revit ce qu’il joue. A l'occasion d'une thérapie, il fourre les témoins de son histoire, il enfonce son poing. Auprès de lui, discrètement, quelqu’un joue aux ombres chinoises.
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