- D’une conférence à l’autre
En même temps que la France se déchire en pleine campagne législative, se tenait en Suisse les 15 et 16 juin dernier une conférence "pour la paix en Ukraine", à l’initiative de Zelensky et réunissant une centaine de délégations du monde entier. La Russie de Poutine, parti rendre visite à la Corée du Nord, se refuse à négocier une quelconque paix sans avoir la garantie d’une non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et le contrôle total des 5 régions occupées (Kherson, Zaporizhia, Louhansk, Donetsk, Crimée) : soit des conditions inacceptables à bien des égards. Ce serait commander les Ukrainien·ne·s vivant dans ces zones occupées contre lesquels le régime russe tue, assassine, viole et torture. Le manque de soutien ferme en à ces victimes encourage ces pratiques criminelles partout dans le monde. Mais la Conférence pour la paix en Suisse a montré elle aussi ses limites, car aucune grande avancée n’a été réalisée dans la mesure où aucune autre proposition de paix durable n’a été clairement formulée.
En parallèle se tenait une autre conférence en ligne "A People’s Peace, not an Imperial Peace" [1] réalisée par plusieurs forces de gauche. L’évènement réunissait 36 organisations et 220 individus à travers le monde, avec notamment le syndicat ukrainien Sotsialnyi Rukh, mais aussi le Nouveau Parti Anticapitaliste ou encore le Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine. Cette conférence a donné lieu à une déclaration commune qui se distingue de celle réalisée en Suisse :
"Nous pensons que cette conférence de paix est une occasion importante de sensibiliser à la lutte d'autodéfense du peuple ukrainien contre l'occupation russe du point de vue des travailleurs et des travailleuses. C'est pourquoi nous voulons opposer aux ambitions de la conférence de paix officielle une perspective internationaliste basée sur la solidarité et orientée vers une transformation sociale et écologique radicale dans toute l'Europe. Nous nous engageons ensemble pour l'autodétermination de l'Ukraine et pour le renversement démocratique du régime de Poutine".
- À gauche, éviter le piège de la comparaison : pour une paix juste et globale
Au sein des enjeux internationaux, la situation de l’Ukraine est souvent comparée à celle de Gaza, dénonçant un engagement international de la France incohérent, une forme de "deux poids-deux mesures" (qui se retrouve aussi concernant l’accueil des réfugié·e·s ukrainien·ne·s). Si cette critique est incontestablement justifiée, il convient cependant de l’enrichir pour éviter les mauvaises interprétations de deux dossiers différents. Une comparaison malheureusement motivée par la présence des mêmes "experts" s’agissant des deux conflits en boucle sur les chaînes d’infos en continu. Cependant, projeter une lecture des enjeux internationaux du conflit israélo-palestinien sur l’invasion russe de l’Ukraine relève d’une erreur d’interprétation qui conduit à renforcer un certain nombre de stéréotypes tenaces encore aujourd'hui à gauche. En Ukraine ne se joue pas un affrontement en termes de bloc entre l’OTAN, les occidentaux et la Russie, mais une guerre d’agression au mépris de tout droit international faisant encore aujourd’hui des victimes quotidiennes. En Ukraine, ne combat pas une armée de néo-nazis sous perfusion occidentale, mais une armée en difficulté de près d’un million d’individus qui ne sont majoritairement pas des militaires de métier. La Russie ne défend pas le "sud global" face aux prétentions impérialistes occidentales, elle est elle-même le produit d'un empire qui cherche à s'étendre au mépris d'une paix juste et globale.
Comme il a été souligné à plusieurs reprises et indépendamment de la dissolution, les élections européennes ont largement tourné autour d’un cadrage national, souvent au prisme de grandes thématiques imposées par le double agenda Renaissance / RN. La question de l’Ukraine a souvent été abordée d’un point de vue des enjeux nationaux, à l’image de la défense nationale, au dépend d'une vision internationaliste. La question ukrainienne est pourtant enjeu européen central pour les années à venir. La France, à se voir comme un centre mondial de la diplomatie, peine à percevoir les enjeux qui se jouent à l’Est de l’Europe. Pourtant, il est important de rappeler que l'adhésion de l'Ukraine à l'UE est essentielle pour nombre de citoyen·ne·s ukrainien·ne·s qui avaient déjà brandit le drapeau européen en 2014 lors de la révolution du maïdan. Cette adhésion est vitale pour l'Ukraine dans la mesure où se développent des normes, des systèmes de protection, des contrôles face à la corruption et des meilleures garanties des libertés publiques. Nous avions pourtant les même débats réactionnaires lors de la rentrée dans l'UE des pays comme la Pologne, la Roumanie ou la Bulgarie. Mais force est de constater que cela a bénéficier non seulement à l'augmentation du niveau de vie dans les pays concernés, mais aussi à l'économie européenne en générale en amenant sur le marché européen une main d'oeuvre moins chère. L'Allemagne par exemple doit beaucoup de son développement économique aux travailleur·se·s polonais·es. Les travailleur·se·s ukrainien·ne·ssont déjà présent au sein de l'UE dans les secteurs du BTP pour les hommes, dans les métiers du care pour les femmes. Plus qu'une adhésion, il convient de faire attention a ce qu'elle produit pour les travailleur·se·s et non sur les potentiels dérégulations d'économies nationales. Il faut avoir plus largement une feuille de route claire, détaillée et cohérente, sur tous les points de tensions dans le monde sans pour autant les mélanger. Y compris sur la Géorgie, le Haut-Karabakh, Taïwan, le Congo, le Kurdistan, et d’autres. Les révolutions sociales et écologiques ne peuvent se faire sans la paix dans le monde.
- Vigilantisme face au narratif du Kremlin en pleine campagne
Certain·e·s sont tenté·e·s de poursuivre une lecture proche de celle du Kremlin. La Russie aurait raison dans son projet de déstabilisation de l’ordre mondial, aux côtés d’autres puissances émergentes luttant contre la pax americana. L'ordre occidental, si dénoncé à travers le monde, est sur le point de vacillé. L’invasion russe est en ce sens légitime, d’autant plus que la présence de néo-nazis en Ukraine est souvent relayée et mise en avant dans les pays occidentaux. Mais le cadrage "nazi" semble ridicule provenant d’un pays qui potentiellement sera gouverné par l’extrême droite dans quelques jours, là où il n’y a pas de député·e·s "nationalistes radicaux" en Ukraine.
Par anti-impérialisme étatsunien historique, cette vision occulte néanmoins d’autres formes d’impérialisme. L’invasion russe de l’Ukraine s’inscrit dans un projet impérial-capitaliste dans la mesure où il s’agit d’une conquête d’un État qui s’est construit lui-même autour des conquêtes impériales et qui se voit toujours comme un Empire. Sans parler de l'accaparement des ressources. Avec la mise en avant d’un certain modèle de la famille, les valeurs promues par la Russie de Poutine sont clairement homophobes, transphobes, sexistes, antiféministes... On peut qualifier le régime russe de différentes manières : autoritaire, dictatorial, impérial, mais il ne fait aucun doute qu’il est un régime d’extrême droite. La paix durable dans le monde ne se fera pas avec ce régime actuel, la paix dans le monde ne pourra pas être durable sans le renversement du régime russe.
Les réseaux de désinformation sont un outil central pour le Kremlin dans toutes les campagnes électorales. Poutine joue sur l'impopularité justifiée à l'encontre des grandes puissances coloniales partout dans le monde. La vision du monde du Kremlin n’est pas un renversement de l’Occident, mais une promotion de sa domination (en compagnie de quelques autres États) et de ses intérêts, qui n’ont rien à voir avec une paix globale. Outre les campagnes massives sur les réseaux sociaux, certaines actions sont visibles en plein Paris, en témoignent les derniers graffitis représentant l’avion Mirage donné par la France à l’Ukraine en forme de cercueil. En ces temps de fortes tensions politiques, chacun·e de nous se doit de rester vigilant·e face à la propagande russe qui nous touche directement, y compris au sein des rangs de gauche.
- Ne pas laisser les décisions sur l’Ukraine à l’extrême droite
L’extrême-droite se démarque par sa complaisance historique avec le régime dictatorial russe. C’est le cas en Hongrie où Orban continue de serrer la main à Poutine. La campagne victorieuse du populiste Robert Fico en Slovaquie a été aussi menée contre le soutien à l’Ukraine. De nombreuses manifestations d’agriculteur·rice·s européen·ne·s durant l’hiver 2024 ont été amplifiées par des réseaux de désinformation russes et des ressentiments nationalistes. Si certain·e·s sont tenté·e·s de prendre l’exemple de Meloni en Italie, restée dans le soutien à l’Ukraine au dépend de l’histoire de son parti, il s’agit davantage d’un camouflet politique pragmatique pour rassurer les partenaires OTANiens et européens. Le RN se rapproche également de ces positions, mais il s’agit d’impressionnants retournements de vestes qui ne sont pas sans rappeler les ingérences historiques massives des Russes via ces partis politiques, en Italie comme en France. Le RN a bénéficié de l’argent russe pour financer ses différentes campagnes. Plus de 15 candidats du parti d’extrême-droite aux législatives ont aujourd'hui des liens directs avec le régime de Poutine. Citons par exemple Thierry Mariani, ancien ministre des Transports sous Sarkozy et pressenti pour être ministre en cas de victoire du RN : il affiche une proximité décomplexée avec Poutine (mais aussi Bashar el-Assad), a effectué des visites en Crimée annexée, il est l’un des principaux relais de la propagande de Poutine en France.
Tous ces retours aux nationalismes sont des pas en avant vers l’objectif d’une "Europe des nations" de l’extrême droite européenne, soutenue par la Russie, et surtout des pas en arrière contre les valeurs d’ouverture et de multiculturalités promises par l’UE - bien qu’incomplètes et à degrés variables ! La perspective d’une élection prochaine de Trump n’arrange en rien la perspective d’une paix juste et globale. Mais renforce la nécessité d'une union forte.
- Faire front commun : soutenir la résistance ukrainienne
Le Nouveau Front Populaire n’est pas la NUPES ni LFI. Si cette dernière (LFI) lors des éléctions européennes soutenait la tenue de négociations entre l’Ukraine et la Russie, il s’agissait d’une nouvelle erreur d'interprétation sur l'Ukraine. Il en va de même lorsque les député·es insoumi·e·s ne sont pas présentés dans l’hémicycle lors de la venue du Président Zelensky. Il ne s'agit pas de soutenir la personne de Zelensky, l'OTAN ou les industriels de l'armement, mais la résistance ukrainienne. Les négociations sont pour la plupart des Ukrainien·nes perçues comme un affront, une capitulation et une négation de tous les principes promus par le droit international. Pour rappel, la CPI a condamné l’État russe et ses dirigeants de criminels de guerre.
"Défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen" : tel est la position du Nouveau Front Populaire. Il s’agit bien d’une rupture, au vu des derniers éléments exposés. Il n’y a plus de temps ni d’intérêt à se contredire, mais d’apprécier le changement de perspective de la part de LFI. Il s’agit d’une position commune dont les négociations ont abouti à une véritable clarification de l’engagement et des termes.
“Pour faire échec à la guerre d’agression de Vladimir Poutine, et qu’il réponde de ses crimes devant la justice internationale : défendre indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières, par la livraison d’armes nécessaires, l’annulation de sa dette extérieure, la saisie des avoirs des oligarques qui contribuent à l’effort de guerre russe dans le cadre permis par le droit international, l’envoi de casques bleus pour sécuriser les centrales nucléaires, dans un contexte international de tensions et de guerre sur le continent européen et œuvrer au retour de la paix” (programme du Nouveau Front Populaire).
Raphaël Glucksman appelait à "défendre la ligne européenne" sur l’Ukraine. Il y aurait une "ligne européenne" proche aux aspirations socialistes et écologistes (PS/ EELV) qui se serait imposée au sein du Nouveau Front Populaire ? En tout cas, il y a un pont entre un soutien à la résistance ukrainienne dans une perspective "européenne" et une vision plus "internationaliste" (NPA). S’agissait-il d’un égarement de la part de LFI sur cette question ? Le passé problématique de LFI et JLM est souvent rappelé dans les médias. Dans une vidéo d'une heure et demi sur la "situation Ukraine/ Russie", il est affligeant de voir JLM ne mentionner que très peu le sort des Ukrainien·nes, proposant une lecture centrée sur des blocs géopolitiques issus de la guerre et accablant l'OTAN. Mais cette grille de lecture est malheureusement bien dépassée et n'est plus partagée par des acteur·rices militant·es et associatif·ves bien plus concerné·es sur le sujet - et ainsi s'éloigner de l'entourage historique et dépassé de JLM. L'image complaisante avec la Russie colle à LFI et offre un boulevard pour l'argumentaire du "ni-ni" (ni RN ni Front populaire). Mais l’important n’est plus de revendiquer la paternité de certaines "lignes" ni de rappeler les anciens positionnements douteux de LFI, l'important est avant tout l’union. S'intéresser à d'autres narratifs dans cette guerre comme au sein des acteur·rices associatif·ves et militant·es ukrainien·nes et est-européen·nes permet de rendre compte de l'importance de ce soutien.
L’Ukraine n’a jamais demandé à des puissances étrangères d’intervenir militairement dans le conflit, elle demande un soutien militaire digne et cohérent. Ce soutien militaire permet avant tout de limiter des victimes civiles quotidiennes du fait de l’agression russe. Il permet aussi de soutenir une armée en difficulté composée de près d’un million d’individus qui ne sont pas pour la plupart des militaires de carrière, et qui font face à une armée russe supérieure en nombre et en armes. Sans idéaliser l'armée ukrainienne, nous pouvons néanmoins comprendre ses difficultés, qui ne sont pas sans liens avec le retard de l'aide "au compte goutte" de ses partenaires mais aussi à des problèmes internes. La question de la mobilisation cristallise toutes les tensions aujourd'hui. En somme, les questions militaires et de défense ne peuvent être l’exclusif des forces réactionnaires.
Le soutien à la résistance ukrainienne ne doit pas et ne peut se permettre d’être un élément de désaccord. L’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne non plus. Les conditions de fin de guerre et la reconstruction sont à redéfinir en faveur du peuple ukrainien, se distinguant ainsi d’une logique néolibérale qui n'est pas sans contrepartie économiques. Surtout, en renonçant à laisser l’Ukraine a des décideur·euses d’extrême-droite, il s’agit de montrer son soutien sans condition à un peuple qui résiste. Plus encore, cela permet de mettre en avant des enjeux plus « humains » au dépend d’un cadrage médiatique et politique autour des questions militaires. Pour toutes ces raisons, les forces de gauche et leur base ne doivent pas oublier l’Ukraine, et plus encore, se mobiliser pour une certaine idée du soutien à la résistance ukrainienne. Résistons partout dans le monde pour une paix globale et juste, contre l’extrême-droite et l’austérité néolibérale. Il convient alors de renouveler le débat sur l’Ukraine. S'éloigner des interprétations en terme de blocs et de géopolitique en regardant ce qu'il se dit au niveau des associations et syndicats ukrainiens et européens peut être une solution.
La déclaration de la contre-conférence sur la paix en Ukraine mentionnait 3 points : la fin de la complicité occidentale avec la Russie et toute autre tentative de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle fasse des concessions massives ; l'opposition à l'imposition d'un programme économique néolibéral à l'Ukraine ; et le soutien aux États pour qu'ils livrent les armes nécessaires à La Défense de l'Ukraine par les Ukrainien·nes. En France, le minium serait de suivre le communiqué du comité français du Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine (RESU) qui appelle à voter le NFP : "pour battre la première force poutinienne du pays qu’est le Rassemblement National".
[1] "Pour une paix du peuple, pas pour une paix impérialiste", Voici la déclaration finale : https://emanzipation.org.