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Billet de blog 22 septembre 2023

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Diplomatie et défense de la liberté d’expression : l’équation impossible ?

La perquisition du domicile et la garde à vue de la journaliste française Ariane Lavrilleux a, une nouvelle fois, donné l’occasion à des médias étrangers d’exploiter les contradictions françaises en matière de défense de la liberté d’expression et de mettre en doute la volonté et la sincérité de la France en la matière.

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Alors que le domicile marseillais de la journaliste française Ariane Lavrilleux a été perquisitionné ce mardi 19 septembre et qu’elle a été placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête faisant suite à ses reportages pour le média Disclose sur l’action de l’armée française en Egypte, cette affaire donne une nouvelle fois l’occasion à des médias étrangers d’exploiter les contradictions françaises en matière de défense de la liberté d’expression.

Ainsi la version arabe du site officiel de la télévision turque TRT a publié un article sur la garde à vue d’Ariane Lavrilleux dans lequel les atteintes aux droits des journalistes en France sont longuement évoquées : « Les journalistes français ont subi une répression féroce alors qu’ils couvraient des manifestations de masse contre la réforme des retraites du pays. Selon le ministère français de l’Intérieur, au moins 36 cas de violences policières contre des journalistes ont été enregistrés au cours de ces manifestations de plusieurs semaines. ».

De son côté, la chaîne qatarie Al Jazeera indique qu’  « Un certain nombre de médias, de journalistes et d’organisations, comme Reporters sans frontières, ont dénoncé “l’entrave inacceptable à la liberté d’information” ». Enfin, The Guardian n’hésite pas à titrer « La France accusée d’atteinte à la liberté de presse après l’arrestation d’une journaliste. » Des articles publiés par de « grands  médias » qui dégradent et affectent un peu plus l’image de la France dans le monde et qui, de Téhéran à Moscou en passant par Rangoun, sèment le trouble dans les esprits des défenseurs de la liberté d’expression. Ces derniers questionnent la sincérité de la France. 

Il y a deux semaines, la défense de la liberté d’expression et l’indépendance des médias avaient pourtant eu les honneurs des discours du Président de la République et de la Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères lors de conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs de France.

Ainsi  la Ministre Catherine Colonna a affirmé haut et fort lors de cette conférence : « Nous ne défendons pas des valeurs occidentales, mais des principes communs : l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, la liberté de convictions et d’expression, l’égale dignité de la personne humaine. » Lorsqu’il a évoqué, pour la seconde année consécutive, le rôle de France Médias Monde, groupe des médias audiovisuels publics internationaux de la France, le Président de la République a pour sa part indiqué  défendre avec force, en France et partout dans le monde, « l’indépendance journalistique ». Tout en regrettant, en même temps, que ces médias s’interdisent « totalement de faire quelque travail d’influence ». Une équation qu’il a qualifiée à cette occasion de « plutôt perdante ».

La France serait donc le porte-étendard de la liberté d’expression partout dans le monde. Nous serions même les seuls en Europe, selon la Ministre Colonna, « à accorder des visas pour asile à des journalistes syriens ». Quand bien même de nombreux journalistes syriens et d’autres pays du monde arabe et d’ailleurs, contraints à l’exil forcé ces dernières années en raison de la rude répression visant les journalistes dans leurs pays d’origine, vivent aujourd’hui en Europe notamment en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore en Suède. La France n’est pas le seul pays d’Europe à accueillir des journalistes en exil.

Pour être audible et crédible sur ce sujet de la liberté d’expression, la France doit faire preuve de cohérence et de constance. C’est-à-dire soutenir le journalisme indépendant et la liberté d’expression en tous lieux et en toutes circonstances. Cela n’est pas toujours le cas. Même en France comme le montre l’arrestation d’Ariane Lavrilleux. En Afrique, des activistes ou des journalistes se verraient refuser des visas par les consulats de France parce qu’ils auraient eu le tort d’émettre des opinions critiques sur certains points envers la France. 

Par le passé, un Ambassadeur de France dans un pays d’Afrique de l’Ouest n’avait pas hésité à demander la suspension de deux journaux devant l’autorité de régulation des médias officielle. Le quai d’Orsay avait reçu une lettre de protestation signée par plusieurs dizaines de journalistes. Récemment, Xavier Driencourt, figure de la Diplomatie française, déclarait dans une note publiée par l’Institut Thomas More : « La France ferme les yeux sur les atteintes aux libertés civiles, aux droits de l’homme et à la liberté de la presse en Algérie. Là où les ambassades américaines et britanniques interviennent, au moins par des communiqués, la France est muette. » Passons aussi sur le silence des diplomates français quand un des opérateurs du Quai d’Orsay, pourtant chargé de promouvoir la liberté d’expression, s’est trouvé accusé d’avoir contribué à la condamnation à 18 mois de prison ferme en 2019 d’un jeune journaliste africain.

La liberté d’expression, valeur universelle, ne se défend pas uniquement au cœur de Paris sous les ors des palais de la République pendant la conférence des Ambassadeurs ou le 3 mai, journée mondiale de la liberté de presse. C’est bien au jour le jour, sur le terrain, partout dans le monde que la France, à travers l’action de l’ensemble de ses diplomates, doit promouvoir et défendre cette valeur. Et pas uniquement lorsque des journalistes sont menacés, attaqués ou emprisonnés dans des pays en guerre ou dans des pays où la France est en froid avec les régimes.

Défendre cette valeur, si tel est réellement l’objectif, c’est aussi être capables de réaffirmer à nos « amis » en Asie, en Afrique, en Amérique, en Europe ou au Moyen-Orient, ce principe de liberté d’expression. C’est avoir le courage d’exprimer nos désaccords quand ils musèlent, torturent ou embastillent des journalistes. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures : des dénonciations contre les atteintes à la liberté d’expression par les juntes au Sahel mais un silence radio quand, ailleurs, d’autres régimes commettent parfois des actes irrévocables à l’encontre des journalistes.

Ne pas être en capacité de défendre avec courage la liberté d’expression et ceux qui l’incarnent partout dans le monde est synonyme d’aveu de faiblesse face aux États qui ne respectent pas cette liberté. C’est envoyer le signal à ces États que nous n’assumons pas complètement nos principes, que nous avons peur, et donc, qu’ils n’ont pas de souci à se faire quand ils emprisonnent des journalistes. Nous nous affaiblissons face à ces États en n’assumant pas nos convictions.

À l’heure où les pressions et les menaces contre les journalistes ne cessent d’augmenter partout dans le monde, la France risque d’être de plus en plus attendue sur ces sujets. Nous devrons donc répondre présent pour défendre celles et ceux qui incarnent et font vivre la liberté d’expression partout dans le monde. Au-delà des mots, sommes-nous réellement et sincèrement prêts à agir pour les soutenir indépendamment de leurs pays d’origine et de leurs nationalités ? Si tel n’est pas le cas, il serait peut-être préférable de ne plus revendiquer ces valeurs et de cesser de les évoquer dans des discours officiels. Un sujet qu'il serait utile d'aborder lors des Etats Généraux de l’Information qui s’ouvrent prochainement afin de clarifier les positions et le discours de la France relatif au soutien à la liberté d’expression et aux droits des journalistes.

Contrairement à nous, les régimes liberticides n’ont pas de scrupule et n’ont absolument pas peur de nous déplaire quand ils s’attaquent aux journalistes et à la liberté d’expression. Dans les faits, pour que l’équation ne soit pas perdante, la France, et ceux qui la représentent à l’étranger, se doivent donc d’être exemplaires en matière de défense de la liberté d’expression et doivent se donner les moyens et avoir le courage de promouvoir et de défendre cette liberté, en toute transparence, au quotidien et sans exception.

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Expert des médias internationaux et des questions liées à l'audiovisuel extérieur.
Depuis 25 ans, je travaille étroitement avec les médias et les journalistes en Afrique, dans le monde arabe mais aussi en Asie du Sud-Est et en Europe Centrale et Orientale.
En 2023, je me suis porté candidat à la Présidence de France Médias Monde où j'ai défendu un projet stratégique intitulé "Libres !" devant l'Arcom. 

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