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Billet de blog 15 mars 2025

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Un autre football est-il possible (avec Sociochaux) ?

Il n’y a pas beaucoup de clubs qui peuvent dire que leur risque de disparition aurait créé un émoi aussi fort que celui du FC Sochaux Montbéliard. Sedan, Bordeaux, et le tout récent Tours FC (pour ne citer qu’eux) sont redescendus dans un calme relatif.

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Alors pourquoi Sochaux ? Parce que l’association Sociochaux s’était préparée depuis des années à une levée de fond, parce que la réputation du centre de formation est internationale, parce que les ultras de la tribune nord ont su mobiliser dans la rue, parce que Sochaux représente une France industrielle sacrifiée (par Peugeot puis Stellantis). Et le talent de communicants de certaines personnes, n’en doutons pas.

Onze milles socios ont donnée 780 milles euros et quarante investisseurs locaux ont participé au sauvetage du club à l’été 2023, en un temps record. Dans l’euphorie, la nouvelle direction (Plessis – Wantiez) s’accorde avec Sociochaux pour que le passage en coopérative (SCIC) soit un horizon proche.

C’était avant que la rationalité économique du football moderne ne rattrape ces belles intentions. Seul le centre de formation sera en coopérative. « Le FCSM n’a rien inventé. Assez éloigné du football populaire, son modèle reste celui où ce sont les argentiers qui s’assoient sur le trône ». (Atlas du football populaire Europe - Amérique latine Yann DEY-HELLE)

« Sur le podium, il n'y a que nous Tu veux t'asseoir sur le trône, faudra t'asseoir sur mes genoux « (Booba). Ou se mettre à genoux.

Concrètement, comment cette mise au pas se concrétise ?

Par la gouvernance, d’abord. Simple, basique : Celui qui a investi le plus devient président du conseil de surveillance. Dans ce conseil de surveillance, il y a aussi le père du président de ce conseil. Mais ce n’est pas du népotisme. Le président de Sociochaux siège aussi dans ce conseil de surveillance. Et surveille le comité de surveillance.

Il y a aussi le directoire : Le président et le manager général.  A ce niveau, il y a une première « prise de recul » (c’est comme ça qu’on dit) de PW. PW « parti », c’est J-C P qui redevient président, avec le manager général qui est un des derniers vestiges de l’ère chinoise.

Le président prend sa retraite quelques mois plus tard. Il sera remplacé par son beau-fils. Mais ce n’est pas du népotisme. Non, non. Il était commercial au club, puis à Strasbourg et La Havre. Son beau-père avait prévenu : « il s’exprime bien ». Comprendre par là : il parle à merveille le langage managérial, et sait endormir son interlocuteur.

A partir de sa prise de fonction, qui ne faisait pas l’unanimité à Sociochaux, tout va s’accélérer, sauf les résultats. Sociochaux ne démentira jamais sa loyauté envers la direction du club. Les projets de Sociochaux fleurissent : un jeu de société, une bière Sociochaux, le match des socios, etc.

Y'a ceux qui vivent bien et ceux qui au bonheur n'sont pas abonnés
Mais dans l'fond, on pense tous monnaie monnaie (scred connexion)

Les résultats insatisfaisants s’enchaînent, jusqu’au derby contre Nancy. Deux équipes de l’est, des supporters ultras dont les noyaux durs ont des orientations politiques divergentes : A Sochaux, la gauche. A Nancy, une extrême droite. Sochaux perd, les provocations et ce qui devait arriver arriva : Des incidents en tribune éclatent. Des sièges volent. Au moins un salut nazi est fait depuis la tribune nancéienne.

Pour le président du club, « cette violence est incompréhensible[1] ». La stratégie totalement assumée de la direction a été de dépolitiser les incidents[2]. Sociochaux n’a pas jugé utile de prendre une position collective. Si Auguste Bonal, qui a donné son nom au stade, avait eu le même positionnement politique, il serait resté dans l’histoire comme un cadre de chez Peugeot, et non comme un cadre de Peugeot membre des Forces Françaises Combattantes et fusillé par les nazis le 23 avril 1945. On comprend que pour un autre football, il ne faudra pas compter sur un positionnement à rebours de la direction.

Au niveau du courage, putain c'était ric rac
Diplomate à plat ventre, devant l'armée Macaque (LSD)

Coups de communication

Ces incidents ont eu au moins le mérite de faire bouger des lignes (d’autant plus que les résultats ne s’améliorent pas). Les adhérents de Sociochaux sont invités par la direction du club à une présentation de la situation. C’est à un exercice de transparence inédit que les adhérents vous pouvoir assister. Finalement, une centaine de personne y participent, sur les 3500 adhérents de l’association. La rencontre est filmée afin que les adhérents ne pouvant participer puissent quand même voir la rencontre. On se croirait quand même à une conférence de presse : les bouteilles d’eau sont placées de manières à ce que le public puisse voir la marque. Un du directoire est un commercial, il a des réflexes.

La caméra est fixée sur le directoire, ce sont eux les stars de la soirée, pas les diapos qui seront commentées pendant plus d’une heure et demie. Les diapos ne seront pas transmises. C’était ça, ou rien. Le contenu des diapos est commenté dans large majorité ; mais une petite part restera invisible pour les absents (qui ont toujours tort de toute façon). En acceptant cette compromission, (« c’est ça ou rien »), cette condition toute symbolique, l’association a accepté de servir de paillasson au directoire. Sur le trône, il n’y a que eux. Ce sont eux qui imposent leurs règles.

Le point d’orgue est atteint à dix minutes de la fin, quand le président du club insiste pour présenter l’état financier. Après le commerce, c’est son truc : chasseur de coût (cost killer). C’est là qu’il excelle, alors il faut montrer. « Il n’y a rien de secret, c’est ce qui sera présenté à la DNCG, c’est officiel, ce sera diffusé très prochainement. Mais si vous pouvez éviter de prendre des photos par contre, c’est cool. Bon, c’est pas grave. (Rires du directoire). On est transparent avec vous, mais bon voilà, c’est des sujets qu’on traitait ensemble ». Transparent mais pas trop quand même. Le socio qui voudra donc la même info devra aller fouiller le site de la DNCG.  Là encore, c’est le directoire qui impose sa règle, quand bien même elle ne fait pas sens puisqu’elle n’est pas expliquée. Dès lors, le sens, c’est de montrer qui a le pouvoir.

Tout du long de son intervention, le président du club distillera tranquillement ses idées : C’est clair, pour le président de Sochaux, le club est une entreprise, il le dit, et l’assume. Mais merci quand même aux bénévoles. Le public devient alors un client, qui doit « vivre des expériences ».

Les « socios », les adhérents de l’association auraient pu attendre un peu plus de la part de leur président jadis candidat aux municipales affilié à la France Insoumise. Mais le système (économique, social, politique) a l’art de digérer ses critiques et ses oppositions, et cette association ne fait pas exception.

Les zones d’intérêts : Les zones de consommation

Arsène Wenger proposait de distinguer les « clients » qui cherchent un divertissement, les «spectateurs» qui veulent voir du bon football, les «supporters du club» qui vont au stade quand ils peuvent et enfin les «fans» qui sont toujours là.

A celui qui râle, le président du club lui répond que les fans ne représentent que 16% du public. On se demande d’ailleurs d’où il tient ça, vu qu’à Sochaux, la moyenne du public tourne autour de 9000 personnes, après 3 mois sans victoire. Sans doute l’expérience client, dans les zones de consommation. La captation du client est la boussole préférée du président du club. Avec lui, il ne faut pas s’attendre à de l’innovation. Il reprend les vieilles recettes des écoles de commerces, des trucs qui datent. Le client doit vivre une expérience sociale au stade.

De la zone de consommation à la zone de répression

 Le 7 mars, le Le match des « socios » sera l’occasion de vivre une expérience sociale : celle de plus en plus habituelle de la répression. La police a voulu procéder à des contrôles d’identité du noyau de la tribune nord (les « ultras »), « sans distinction », afin de permettre l’accès aux gradins du stade Bonal[3]. Ceux-ci boycotteront le match. Si la police s’est sentie poussée des ailes (alors que Retailleau n’avait pas encore communiqué sur la dissolution de groupes ultras), c’est qu’elle se sentait soutenue par la communication du club, et le peu de soutien que cette tribune avait eu après le match à Nancy.

Sans eux, l’ambiance sera celle « d’une cathédrale ». Le tifo sponsorisé par une marque de pizza n’y fera rien. Les zones de consommation ne font pas d’un stade un lieu de vie. Sans tribune active, les zones de consommation ne font d’un match qu’un vulgaire produit de supermarché : une fois payé, il n’a plus de valeur.

De même que le club a besoin de Sociochaux pour son image de marque (la fameuse responsabilité sociale de l’entreprise), Sociochaux a besoin de la tribune nord pour assurer l’illusion d’un club vivant.  Enfin, l’association communiquera son soutien ; car « la fête est gâchée ». Le comité des fêtes aura bien vite oublié ses adhérents qui demandaient des interdictions de stades, ou ceux qui s’improvisaient en police du vêtement (ceux qui s’habillent en noir), ceux qui moquaient les soutiens de la tribune ou qui demandaient plus de transparence (« tu dois être marier (sic) à Mathilde Panot toi c’est pas possible pour raconter autant de connerie »).

Le match des « socios » a aussi été l’occasion d’inaugurer une fresque rendant honneur à ceux qui ont marqué le club. Et ho surprise, une des figures marquantes du sauvetage n’y figure pas. A la demande du club. Là encore, le président de Sociochaux a accepté les règles de la direction du club, et les adhérents de l’association n’ont pas été consulté. Mais Staline a-t-il consulté les soviets avant d’effacer le Nikolaï Iejov  de la photo, et de l’effacer de l’Histoire ?

Illustration 1
Staline et Iejov
Illustration 2
Il manque un sauveur du club sur la fresque

Il manque un sauveur du club sur la fresque

[1] https://www.estrepublicain.fr/sport/2025/02/15/clement-calvez-sur-les-incidents-apres-nancy-sochaux-cette-violence-est-incomprehensible

[2] Alors que les seuls incidents impliquant Sochaux impliquent quasi systématiquement ce que les adversaires considèrent comme des ennemis politiques.

[3] https://www.estrepublicain.fr/sport/2025/03/07/pourquoi-le-bloc-de-la-tribune-nord-sochaux-est-reste-vide-contre-nimes

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