La « guerre contre le terrorisme » (‘War on Terror’), quel non-sens. La guerre, c’est du terrorisme généralisé. Le terrorisme, c’est la guerre condensée. La guerre contre le terrorisme, c’est donc la terreur au carré. Quand François Hollande déclare que « nous sommes en guerre », c’est vouloir nous replonger dans la terreur ; lorsqu’il appelle à « renforcer nos actions en Syrie comme en Irak », c’est vouloir faire de forces françaises des terroristes en puissance. Lâcher des bombes sur la Syrie ou l’Irak tue des civils tout aussi innocents que des promeneurs à Nice ou des jeunes au Bataclan. Sans parler des jihadistes qu’elles recrutent.
Ce qu’il nous faut ce n’est pas une surenchère de la terreur, mais son contraire. Ou du moins ce qui y résiste le plus, ce qui fait contrepoids à la terreur. Sur le plan des affects, on sait depuis Aristote, c’est la pitié. Les deux pôles de la catharsis : la frayeur, c’est-à-dire la terreur, et la pitié. Il nous faut de la pitié – pitié même pour les terroristes. (Camus le savait bien lorsqu’il écrit dans sa pièce sur le terrorisme, « pitié pour les justes », pour ceux qui se croient « justes », porteurs d’une justice surhumaine, donc inhumaine). La pitié c’est l’empathie pour ceux qui sont moins que ce qu’ils devraient être ou moins que ce qu’ils pourraient être. Pour les lâches et les nuls. La pitié c’est ce qui fait notre humanité et ce qui est à la base de notre solidarité et de notre empathie, le contraire d’une France qui sera « impitoyable » envers ses ennemis. Et envers ses citoyens ? Au manque spectaculaire d’imagination des jihadistes, lecteurs d’un seul livre, nous opposons toutes les forces de nos imaginations, de notre culture et des littératures florissantes, multiformes et transgressives. D’où puiser des exemples et des exercices d’empathie et de pitié sans nombre et sans fin.
Mais on sait que la pitié à elle seule ne suffit pas. L’autre contrepoids à la terreur, on le trouve chez Montesquieu. C’est la vertu. Le régime despotique est le foyer de la « crainte », autrement dit de la terreur. La vertu, par contre, c’est la volonté de mettre les intérêts de la chose publique devant ses intérêts privés. C’est le sacrifice de soi pour autrui. Non celui des terroristes, dans la mort, mais se sacrifier dans la vie, pour la vie. Le régime où la vertu prospère et dont il est le ressort ou le principe agissant, c’est la république. Son arme, c’est l’éducation. Ce n’est pas un hasard si la France est une république dont l’enjeu majeur et l’institution principale est l’éducation nationale. Mais l’éducation de la vertu n’a rien à voir ni avec l’ascétisme (abnégation morale) ni avec l’austérité (abnégation économique). C’est tout le contraire, un don continu de soi, celui des artisans entrepreneurs, de jeunes artistes, des fonctionnaires désintéressés, des ONGs, etc. Donc cette éducation n’est pas l’instruction sèche et hiérarchique. Il s’agit d’une éducation en continu et en dialogue et, par conséquent, une éducation porteuse non du consensus tant vanté, mais du dissensus, du désaccord vital et respectueux. Cette activité constante se maintient par la vertu parce que la vertu elle-même, dixit Montesquieu, est ce qui fait agir la république, c’est une forme dynamique, tel le vortex, qui n’existe que parce qu’elle est en mouvement. C’est aussi donc la révolution en permanence.
Il se comprend alors que la Révolution française dont on tire les valeurs républicaines ait su conjuguer tous ces éléments : vertu, éducation nationale et… terreur. On pourrait, bien sûr, citer Robespierre et son amalgame original et paradoxal de la terreur et de la vertu (puisé d’ailleurs dans Montesquieu) dont il a fait une politique terroriste d’état. On retrouverait alors des mêmes termes qu’utilise Hollande : « la justice prompte, sévère, inflexible », « les ennemis du dedans ne sont-ils pas des alliés des ennemis du dehors » etc. Mais la différence c’est que Hollande ne fonde pas la république, il veut la conserver : deux violences bien différentes (Robespierre le savait bien, voir son discours du 25 décembre 1793). Le président ne mène pas un gouvernement d’urgence militaire, mais il vient de déclarer l’état préalable. Le prolonger de nouveau va dans le même sens. Il n’a pas encore suspendu la constitution à la différence des jacobins de 1793, mais il n’est pas inconcevable que ce soit une mesure à considérer entre autres. De là on arrive non pas à combattre Daech, mais à l’imiter.
Ainsi œuvrons à retrouver et à déployer pitié et vertu.