Lorsque la justice condamne un prêtre, un entraîneur sportif, un enseignant pour des agressions sexuelles envers les mineurs qu’il avait en charge et sous son autorité, elle lui interdit d’exercer des fonctions en contact avec des mineurs. On n’estime pas que c’est à l’Église, à la fédération sportive ou à l’école qui l’emploie, ou encore aux parents des autres élèves, qui ne connaissent le plus souvent d’ailleurs pas le dossier, de juger si l’on peut encore confier des mineurs à cette personne ; et on n’organise pas de référendum auprès d’eux pour en décider. Pourquoi cela ?
Un des rôles de la justice pénale est de protéger les autres victimes potentielles du risque de récidive et, ce, indépendamment de la popularité de la personne condamnée. J’irai même plus loin : c’est justement quand la personne condamnée est populaire qu’il lui convient d’être particulièrement vigilante ; à l’inverse, il n’y a pas grand mérite et grande difficulté à condamner une personnalité impopulaire. La justice doit protéger le faible contre le fort, par exemple la gymnaste mineure et qui veut réussir face à l’entraîneur « qui obtient des résultats » mais qui abuse d’elle, et cela même si les autres parents ou la fédération sportive aimeraient qu’on laisse tout cela derrière et qu’on en revienne au sport.
Dans l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen, qui sont les victimes ? Les contribuables, les citoyens et citoyennes. Quel serait le risque de récidive ? Que des gens condamnés pour avoir confondu les ressources publiques avec leurs affaires privées, même s’il ne s’agissait pas directement de leur fortune personnelle, puissent parvenir à de plus hautes responsabilités et à nouveau pratiquent la même confusion des genres, l’impunité les encourageant. De cela, on doit protéger tous les citoyens et les citoyennes. L’état de droit n’est pas une tyrannie de la majorité.
L’indignation que suscite la décision de justice envers Marine Le Pen auprès des membres de son parti ou de personnalités politiques qui, d’habitude, prônent les peines planchers ou automatiques, la lutte contre la récidive, la dissuasion par la répression, peut faire sourire ; mais nous sommes habitués à ce que les élites s’indignent quand on leur fait subir ne serait-ce qu’une fraction de ce que le peuple, et notamment les classes défavorisées, subit au quotidien. La défense par d’autres, plus à gauche, de la légitimité électorale contre le Droit ne peut que faire pleurer : c’est exactement l’argument de Donald Trump.