David Monniaux

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Billet de blog 9 juin 2025

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Pourquoi vouloir installer d'immenses data-centers dans les villes françaises ?

Ces derniers temps, divers acteurs politiques et médiatiques ont pris position en faveur de l’implantation de data-centers en France, notamment destinés à l’intelligence artificielle. J’avoue ne pas très bien comprendre le raisonnement politique et économique derrière cela.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commençons par expliquer ce qu’est un data-center. Il s’agit de locaux munis de connexion Internet à très haut débit dans lesquels on va installer des moyens informatiques de stockage et de traitement de données. Ces moyens vont différer suivant ce que l’on fait : pour diffuser des vidéos (YouTube, Netflix…), on a besoin de beaucoup de stockage et de matériels dédiés à chiffrer des connexions réseau (le https), mais a priori guère de moyens de calcul ; à l’inverse, si on veut faire de l’intelligence artificielle par apprentissage profond, il faudra de gros moyens de calcul. Tout ceci fonctionne avec de l’électricité ; le calcul intensif, notamment, va être très gourmand en énergie électrique. Il faut donc une alimentation électrique conséquente. Par ailleurs, toute cette énergie va être transformée en chaleur, qu’il va falloir évacuer ; j’y reviendrai.

Les data-centers sont très largement téléopérés. On peut avoir sur place du personnel de gardiennage, il faudra faire venir des gens pour installer les matériels, etc. ; mais tant l’administration système que le lancement des services, processus de calcul etc. se font à distance, via des connexions Internet, au besoin depuis l’autre bout du monde. On peut très bien avoir un data-center en France faisant tourner des calculs lancés par des ingénieurs indiens. Les matériels installés dans les data-centers sont, pour autant que je sache, très largement importés ; les composants électroniques sont fabriqués à Taïwan ou ailleurs, le matériel est monté en Chine, etc.

Un data-center peut être refroidi par circulation d’air, circulation d’eau, etc. Comme pour une centrale électrique, la « chaleur fatale » produite peut être évacuée dans l’air, par rejet d’eau chaude dans un cours d’eau, par évaporation d’eau ou récupérée pour chauffer une piscine ou autre. Il faut toutefois ici préciser les ordres de grandeur. On parle d’installer des data-centers de 1 GW de puissance électrique consommée, soit la production électrique d’une tranche de centrale nucléaire (les centrales françaises, suivant le modèle, produisent de 0,9 à 1,3 GW, l’EPR de Flamanville est un peu plus puissant). Une centrale nucléaire disperse environ 2 fois plus d’énergie sous forme de chaleur qu’elle n’en produit (ceci est lié au second principe de la thermodynamique). Un tel data-center devrait donc avoir un dispositif de refroidissement équivalent à la moitié de celui d’une tranche électronucléaire. En France, à l’exception de centrales en bord de mer ou de certaines en bord de grands fleuves, le refroidissement nécessite d’imposantes tours aéroréfrigérantes.

J’ignore à quel point la récupération de chaleur pour injection dans un réseau de chauffage urbain est possible : on me dit que l’eau chaude produite par un data-center ne l’est pas suffisamment pour que cela soit facile, il faudrait des dispositifs supplémentaires de pompage de chaleur. Par ailleurs, il faut être conscient des puissances en cause : 1 GW, c’est deux fois la puissance installée du réseau de chauffage urbain de la région grenobloise, c’est-à-dire sa production de chaleur si on mettait en route toutes les installations en même temps à plein régime. Un réseau de chauffage urbain ne débite pas toute l’année ; l’été, il ne sert qu’à produire de l’eau chaude sanitaire, et si j’ai bien compris la chaleur fatale de l’incinérateur d’ordures ménagères grenoblois y suffit largement. Un data-center tirant 1 GW en continu disperserait en chaleur, sur un an, 15 fois ce que le réseau de chauffage urbain grenoblois distribue sur la même période.

Pour toutes ces raisons, j’avoue ne pas comprendre la rationalité qui pousserait à installer des data-centers dans des zones urbaines françaises où il y a déjà des problèmes de place, de puissance des raccordements électriques, d’eau…, sauf si le plan économique est juste de leur vendre de l’électricité nucléaire.

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