David Monniaux

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Billet de blog 10 avril 2025

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Le délétère mélange des faits et de l’opinion

Le traitement médiatique tend à transformer des questions de faits, susceptibles d’argumentation rationnelle ou scientifique, en questions d’opinions politiques. C’est, à mon sens, dangereux pour la démocratie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La façon classique de rendre compte d’une manifestation est de donner les chiffres « de la police » et les chiffres des organisateurs. Ainsi, le Rassemblement national a dit avoir rassemblé 10 000 personnes place Vauban à Paris dimanche dernier.

Ce qui est intéressant dans cette façon classique dont les médias procèdent, c’est qu’elle transforme une question de fait (combien y avait-il de personnes participant à la manifestation) en une question d’opinion. C’est l’inverse du mode de fonctionnement des sciences, où l’on donne, à l’appui de chaque conclusion que l’on propose, le raisonnement qui a conduit à celle-ci.

Pour la manifestation du Rassemblement national, par exemple, un raisonnement valide (et qui a d’ailleurs été reproduit par certains médias) est que la place Vauban est un hémicycle de 140 m de diamètre, donc d’environ 7700 m², pas entièrement utilisable par des manifestants, qu’y placer 10 000 personnes conduirait à une assez forte densité (ce site indique qu’à des densités de foule supérieures à une personne par mètre carré, il est difficile pour un individu de se déplacer), et que cela ne cadre absolument pas avec les images qui ont été prises de cette manifestation.

Regardons maintenant comment le Dauphiné Libéré évoque la construction annoncée d’un data-center dédié à l’intelligence artificielle à Eybens, dans la métropole grenobloise. L’article y décrit les interrogations et arguments des écologistes grenoblois, par exemple que la consommation de ce data-center une fois monté en régime, 1 GW, serait la production d’une tranche de centrale nucléaire.

Or, il s’agit là d’un fait (les tranches de centrales nucléaires françaises, suivant les générations, soit de 900 MW ou 1200 MW environ, l’EPR étant plus puissant) et non d’une opinion des écologistes grenoblois. C’est également un fait qu’une centrale de 1 GW de puissance électrique disperse environ 2 GW de chaleur, soit dans l’eau d’un fleuve ou de la mer, soit par tour aéroréfrigérante.

On peut donc en conclure qu’il faudrait à ce data-center un système de refroidissement équivalent à celui de la moitié d’une tranche de centrale nucléaire. On peut aussi comparer avec la tour aéroréfrigérante nécessaire à refroidir une centrale à charbon de seulement 250 MW. On peut également mentionner que la puissance installée (c’est-à-dire la puissance que toutes les installations débiteraient si mises en marche à plein régime simultanément) du réseau de chauffage urbain grenoblois est de l’ordre de 400 à 500 MW ; autrement dit, même en réutilisant la chaleur de ce data center en hiver, on dépasserait les capacités du réseau de chauffage urbain grenoblois.

Ce n’est donc pas une question d’opinion que de constater que la dispersion de l’énergie de ce data center (égale à l’énergie qu’il prélèvera sur le réseau électrique, suivant le principe de conservation de l’énergie) sera un problème non trivial.

Cette transformation de questions susceptibles d’un débat sur les faits en des questions de personnes ou d’opinions est, à mon avis, délétère pour la démocratie. Savoir de combien de degrés Celsius la température de l’eau d’un fleuve ayant un certain débit va s’élever quand on lui injecte une certaine puissance thermique n’est pas une question d’opinion, mais de thermodynamique, science très bien maîtrisée.

Savoir quelles conséquences cette élévation de température aura sur la flore et la faune est une question scientifique, susceptible d’études et de résultats argumentés. Le seul point où l’opinion politique devrait avoir une importance, c’est au moment de juger de quels impacts nous voulons tolérer sur l’environnement pour tel ou tel usage humain.

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