Les politiques d’achat publiques favorisent l’avion au détriment du train
Les administrations et organismes publics, et les grandes entreprises privées, ont recours à des agences de voyage « professionnelles » pour les déplacements de leurs personnels. Dans tous les cas dont j’ai eu à connaître, ces agences de voyage favorisent les déplacements en avion au détriment du train. Explications.
Ces agences ne savent pas vendre des trajets en train avec correspondance à l’étranger, chose que des agences grand public telles que Trainline ou Deutsche Bahn savent faire. Si, par exemple, vous devez aller en Italie ou en Allemagne pour une réunion, si la ville est desservie directement depuis la France (peut-être uniquement avec la SNCF ou les entreprises ayant un accord avec celle-ci ?), alors c’est bon, mais si vous devez changer de train à l’étranger c’est impossible (il faut faire une « demande hors ligne » qui part à un service toujours indisponible et qui, si par extraordinaire il répond à la demande, a tendance à faire des erreurs). En revanche, vous n’aurez aucune difficulté à réserver un trajet en avion.
Ce problème est connu des dirigeants. On m’a cependant expliqué qu’on n’y fera rien, car les services chargés des marchés publics disent que si l’on met dans le cahier des charges la possibilité d’établir des billets en correspondance à l’étranger, alors aucune agence ne soumettra.
Je trouve cette argumentation très troublante. Si l’on n’exige rien des fournisseurs, on n’obtiendra rien. Le marché Matinfo (matériels informatiques) de l’enseignement supérieur et la recherche est à ce titre exemplaire : on a exigé des fournisseurs des durées de garantie qu’ils n’offraient nulle part dans le monde, et on les a obtenues. On essaye d’en obtenir des encore plus longues. Il est légitime de se demander pourquoi il est impensable d’obtenir d’agences de voyages « professionnelles » qu’elles fournissent un service électronique que des agences grand public fournissent au quotidien, tandis qu’il est possible de demander à des fournisseurs de mettre en place une logistique de pièces détachées qu’ils ne fournissent pas par ailleurs.
J’ai parfois entendu suggérer des explications à cet étrange phénomène, ce choix récurrent de services médiocres, parfois surfacturés, parfois de simples surcouches sur d’autres agences. Je ne pense pas opportun de les reproduire ici.
Je pense qu’on a ici un bon exemple des limites des politiques publiques en matière d’écoresponsabilité. On va demander à des personnels de suivre des formations sur le sujet, on va leur demander de remplir des bilans de gaz à effet de serre (procédure qui peut être très lourde et gourmande en temps de travail), mais on va refuser de mettre en place des mesures collectives et institutionnelles à partir du moment où elles posent des difficultés administratives.
Une question de billetterie
On a voulu interdire les liaisons court-courrier en France, celles remplaçables par un trajet d’au plus un certain nombre d’heures en train. J’ai trouvé que le débat à ce sujet avait un angle mort : pourquoi les gens prennent-ils des court-courriers ? Un certain discours écologiste parlait de gens qui, par exemple, iraient de Lyon (la ville) à Paris (la ville) en avion. Or, je ne connais personne dans ce cas (je ne dis pas que cela n’arrive pas) : le TGV met deux heures pour ce trajet de centre à centre, donc moins de temps qu’aller à l’aéroport en avance, passer la sécurité, prendre l’avion, et prendre un transport pour le centre-ville. En revanche je connais des cas de gens qui, partant de Grenoble ou Chambéry, prennent l’avion pour aller à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle et y changer pour un vol international.
Là encore, il est considérablement plus simple d’enchaîner vol international et vol court-courrier que d’enchaîner vol international et train. Sauf sur de rares destinations et compagnies aériennes, un tel enchaînement procède de deux billets séparés fer et avion. En cas de retard ou de dysfonctionnement sur l’un des deux modes, la correspondance n’est pas assurée et le voyageur doit payer tarif plein pour changer l’autre billet. À l’inverse, quand on a un trajet avion partant de Lyon et arrivant à l’étranger via un changement à Paris, c’est à la compagnie aérienne de gérer les conséquences de ses retards ou de ceux de ses partenaires.
Le même genre de problèmes se pose pour les trajets par une succession de trains opérés par des compagnies différentes. Quelle assurance les voyageurs ont-t-ils de pouvoir sans surcoût poursuivre leur trajet en cas de problème qui ne sont pas de leur fait ?
Je suis bien conscient que ces questions de billetterie, de marchés publics, etc. sont ennuyeuses et manquent de panache. Il est bien plus parlant politiquement de faire de grandes déclarations, de dire qu’on va interdire telle pratique choquante (même si dans les faits on assortit cette interdiction de tellement d’exceptions qu’elle n’a aucune portée) que de s’occuper de cahiers des charges ou de garantie de continuité de trajet...