Le sens de ce titre n’est pas très clair. Est-ce que M. Bouzou, ou les personnels du Figaro qui ont choisi ce titre, souhaiteraient qu’il y ait en France un milliardaire qui se fait nommer à un poste quasi gouvernemental parce qu’il a favorisé l’élection du président et fait des saluts nazis à la foule quand on l’invite à la tribune ?
S’agit-il de présenter comme modèle une personnalité qui a profité d’une abondante fortune familiale pour pouvoir se lancer dans la vie entrepreneuriale ? M. Musk a tant de caractéristiques (usager de drogues, habitué à proposer à des femmes de les inséminer…) qu’il n’est pas évident de savoir lesquelles sont censées plaire au lectorat du Figaro.
La lecture de l’article permet toutefois de nous éclairer. M. Bouzou déplore qu’il n’y ait pas plus en Europe d’industries technologiques qui garantissent une certaine indépendance stratégique, et établit un lien entre elles et les recherches en mathématiques, en physiques et en biologie (et plus généralement en « sciences exactes »), tandis qu’il déplore qu’on ait en France, et notamment au CNRS, trop de gens payés avec de l’argent public à s’occuper de sciences sociales.
La question que pose M. Bouzou dans le texte de l’article est bien plus précise que celle du titre : il demande « pourquoi l’Union européenne n’a laissé naître sur son sol aucun équivalent de X, de Tesla ou de SpaceX » ? Constatons tout d’abord qu’il s’agit d’une question… de sciences économiques et sociales, et qu’il y a un certain paradoxe à nier l’importance de celles-ci tout en les sommant de répondre à une question présentée comme cruciale.Il n’est pas dans mes compétences professionnelles de répondre à celle-ci, mais peut-être puis-je formuler des hypothèses.
Il me semble qu’en France il y a, dans les structures politiques, financières et administratives, une certaine aversion au risque, combinée à l’ignorance des réalités techniques. Ceci aboutit, dans les grandes lignes, à ne financer que ce qui est semblable à ce dont les décideurs ont entendu parler dans la presse économique — par exemple, M. Bouzou évoque l’intelligence artificielle et le quantique, sujets tarte à la crème du moment.Or, si un sujet est déjà dans la presse, c’est soit qu’il existe déjà des produits, soit (c’est le cas du calcul quantique, qui est loin de produits utilisables) qu’il y a des intérêts, des entreprises, munis de services de communication, qui font du battage ; dans tous les cas, si on attend ce moment, c’est qu’on part en retard.
Cette aversion au risque et cette méconnaissance des enjeux techniques et industriels se traduit également par une propension à d’interminables négociations, chacun voulant couvrir les cas les plus hypothétiques. J’ai ainsi assisté, assez médusé, à plusieurs mois de négociation sur la durée de confidentialité des informations échangées entre une université et un industriel, alors qu’il avait été convenu qu’aucune information confidentielle ne serait échangée.
En d’autres termes, faute de savoir partir à temps (qu’on se rappelle comment on maltraitait Internet dans la presse dans les années 1990), on part en retard et en accordant moins de moyens que n’en ont eu ceux déjà installés.
Maintenant, analysons quelques succès européens — toujours dans une optique sans prétention, je rappelle que je ne suis pas économiste ou sociologue de l’innovation. Airbus a décollé en prenant des risques (prêter des avions à Eastern Air Lines) et en proposant un produit commercialement innovant (un avion bimoteur à fuselage large, capable d’embarquer des conteneurs de soute), pas en imitant la gamme Boeing.
L’entreprise a ensuite introduit les premiers avions de ligne à commande de vol électrique. Quant à Ariane, elle a profité de l’obstination américaine dans des choix technico-politiques hasardeux (la navette spatiale, qui avait de gros problèmes de fiabilité) ; là encore, le succès a été de ne pas copier les Américains.
Je n’ai évidemment pas de solution toute faite à nos problèmes économiques ou d’indépendance technologique. En revanche, je sais que ceux-ci n’ont que peu à voir avec HelloQuitteX.
PS : J’ai rédigé ce billet le soir, hors temps de travail.