« Veux-tu dîner avec nous ? La conversation sera probablement intéressante, même s’il ne s’agira pas de science. » Je ne me souviens pas des plats de ce repas ; mais la discussion entre mon collègue, un Franco-Israélien, et son invité, un Américain d’origine palestinienne, me revient bien à l’esprit douze ans plus tard, tant elle était prémonitoire, en un sens.
Mes collègues discutèrent le conflit israélo-palestinien, très poliment et posément. Je dus parfois demander des rappels chronologiques, car ils maîtrisaient bien sûr le sujet bien mieux que moi. Surtout, à un moment, notre invité eut cette réflexion glaçante :
Vous avez commis l'erreur de ne pas nous exterminer. Vous avez créé une situation sans issue.
Je songeai, à l’époque, que l’histoire lui avait donné raison. La colonisation de l’Amérique du Nord par les États-Unis était passée par l’extermination de peuples autochtones et la relégation des restants dans des réserves, de sorte qu’ils étaient devenus très minoritaires sur leurs anciens territoires et ne représentaient plus un risque pour les nouveaux occupants. À l’inverse, dans les colonies où la population d’origine européenne coexistait avec une majorité autochtone, cette dernière avait exigé et in fine obtenu le contrôle politique du pays, d’où souvent d’ailleurs le retour des coloniaux dans leurs pays d’origine. Autrement dit, pour qu’un état colonial reste stable, il faut qu’il ait exterminé ou presque les populations locales ; voilà la morale que tirait mon collègue d’origine palestinienne.
Je repense aujourd’hui à ce dîner, à ces paroles.