ParcourSup est un système qui distribue des candidatures à des formations (universitaires ou autres), en récupère des classements, puis, grosso modo, appelle les candidat(e)s sélectionné(e)s par ordre de classement : si la formation a 100 places, ParcourSup appelle les 100 premier(e)s classé(e)s, puis appelle les rangs suivants au fil des désistements. Notamment, ParcourSup n’évalue pas les dossiers : ce sont les formations qui les évaluent.
Le système est en réalité un peu plus compliqué que ce que j’ai décrit. Il est possible pour une formation d’appeler plus que sa capacité, si elle s’attend à beaucoup de désistements (par exemple, appeler 150 personnes pour 100 places si on s’attend à ce que de toute façon seulement la moitié viendra). Par ailleurs, ParcourSup modifie les classements fournis par les formations pour faire respecter des quotas de boursiers et des quotas d’étudiants « locaux », et il y a un bricolage pour gérer les formations à internats (classes préparatoires). Tout ceci est décrit en détail dans des documents disponibles sur le site du Ministère de l’enseignement supérieur.
Ces quelques points permettent d’éclairer des réflexions surprenantes que l’on entend parfois. On voit ainsi des gens s’étonner que leur enfant (forcément génial) soit in fine refusé par une formation mais que d’autres personnes (forcément moins bonnes) soient admises ; mais cela peut être dû aux quotas indiqués plus haut. Il en est de même des affirmations de certains universitaires selon lesquelles « le Rectorat » leur aurait changé leur classement. Rappelons également que les modalités selon laquelle les boursier(e)s et candidatures locales sont avantagés sont parfaitement définis dans les documents que j’ai indiqués ci-dessus ; mais il est vrai que peu de gens semblent en connaître l’existence.
ParcourSup fait appel de façon répétée aux candidat(e)s pour leur demander si ce qu’on leur propose est mieux que leur meilleure proposition précédente, auquel cas ils acceptent temporairement la proposition courante et démissionnent de la proposition précédente. De nombreuses personnes trouvent ce procédé inutilement lent et stressant et préféreraient que l’on demande aux candidat(e)s de classer leurs vœux par ordre de préférence. On obtiendrait alors un système similaire à APB, le système qui précédait ParcourSup. De façon un peu pompeuse, on aurait alors « l’algorithme de Gale & Shapley avec priorité aux formations » ; cet algorithme revient à appeler les gens par ordre de classement et à avoir pour chaque candidat(e) un répondeur automatique qui regarde les propositions par rapport à l’ordre des vœux et accepte ou non en comparant la nouvelle proposition avec la meilleure proposition précédemment reçue.
Je l’ai dit, ParcourSup ne classe pas les candidatures ; ce sont les formations qui le font, au vu des dossiers, et notamment des notes. La presse se fait parfois l’écho de candidat(e)s admis dans des formations alors que leur dossier comportait des lettres de motivation volontairement fantaisistes. C’est fort probablement parce que ces dossiers n’ont pas été lus, sans doute parce qu’il n’y avait pas nécessité de le faire au vu des notes plutôt élevées et du type de formation. Il n’y a tout simplement pas assez de personnel dans les établissements d’enseignement supérieur pour lire tous les dossiers. Les enseignants de ces établissements ont mieux à faire, par exemple enseigner et, s’il s’agit d’enseignants-chercheurs, faire des recherches. Des collègues qui lisent des lettres de motivation me disent que, parfois, elles permettent d’identifier que le/la candidat(e) a mal compris le contenu de la formation, peut-être faute d’avoir lu sa description (par exemple, croire qu’une formation en informatique est une formation en bureautique).
Les critères selon lesquels les commissions d’examen évaluent les candidatures sont normalement publiquement disponibles. Par exemple, la licence d’informatique de l’Université de Picardie indique :
« Résultats dans les disciplines scientifiques :
- Toutes les notes obtenues dans les disciplines scientifiques
- Notes obtenues dans la discipline « Mathématiques »
- Toutes les notes obtenues dans les autres disciplines scientifiques
Résultats dans les disciplines littéraires :
- Résultats des épreuves anticipées au baccalauréat français
Niveau de langues :
- Disposer d’un bon niveau dans au moins une langue étrangère (Niveau B) »
Une de mes collègues résume cela par « français, maths, anglais ». De fait, pour une formation d’informatique, il n’est pas étonnant qu’on ne se préoccupe pas de la note d’EPS ou de latin… En outre, le système national ParcourSup peut, grâce à des procédures automatisées (dont je n’ai hélas pas trouvé de description publique), informer une formation si son classement diffère trop de celui établi par des formations similaires, ce qui pourrait indiquer une erreur systématique de traitement. J’ai ainsi entendu parler (là encore, sans pouvoir avoir d’informations plus précises) de formations qui avaient établi un classement faussé suite à des erreurs de copier-coller et des décalages de ligne dans une feuille de tableur…
La presse se fait également l’écho de l’étonnement ou de la déception de jeunes, ou de leurs parents, devant des rangs de classement élevés, bien plus élevé que le nombre de places dans la formation visée. Peut-être est-ce ma formation mathématique, mais cela me paraît tout à fait attendu. Imaginons 1000 jeunes visant tous le même genre de formation (mettons ,un type de classe préparatoire), 10 formations de chacune 100 places. Si toutes les formations ont exactement les mêmes critères, 100 jeunes (10 %) vont trouver une place dès le début, et 90 % auront initialement des refus partout, même si à la fin on trouve effectivement une place pour chacun des 1000. Bien sûr, ceci est un cas idéal, mais dans la réalité, on voit sans doute (je n’ai pas accès aux données) le même genre de phénomène : une petite minorité de candidats pris partout, et qui de toute façon vont libérer des places.
Il faut aussi rappeler un autre phénomène numérique : être très bon relativement à sa classe de lycée ne veut pas dire qu’on est dans le top national. Si une formation a 100 places, elle n’a pas assez de places pour accueillir tous les « premiers et premières de la classe » de France. C’est une banalité, dit comme cela, mais visiblement certains parents ont du mal à l’admettre.
Beaucoup d’autres points pourraient être évoqués au sujet de ParcourSup, par exemple la cruauté qu’il y a à soumettre à un système de concours des classes d’âges entières de mineurs pas très sûrs de ce qu’ils veulent faire (et leurs parents), ou encore les transformations de l’enseignement et de son évaluation quand les notes servent à la sélection. Ce billet ne saurait tout aborder.
Passons maintenant au commentaire personnel. Je suis frappé de ce que les débats autour de ParcourSup reviennent souvent à dire que c’est un méchant algorithme qui prive des jeunes des études qu’ils visaient. Or, le caractère algorithmique du processus est un leurre, pour deux raisons : premièrement, l’algorithme est (si l’on fait abstraction des surclassements de boursiers etc.) tellement simple (appeler les gens par rang de classement !) qu’on peut se demander si cela vaut la peine de parler d’algorithme ; deuxièmement, et de façon plus importante, ce n’est pas ParcourSup qui prive les jeunes de place dans le supérieur, c’est le manque de places disponibles. S’il n’y a pas les places dans les formations désirées, alors, quelle que soit la façon dont on répartit, il y aura des mécontentements.
Mon collègue Yassine Lakhnech, président de l’Université Grenoble Alpes, interrogé par le Monde, a parlé de « sous-financement chronique » national des universités. Pour ma part, je pense depuis longtemps qu’on impose à l’enseignement supérieur français des injonctions contradictoires, découlant des désirs de divers groupes d’intérêts :
Il doit être bon marché pour l’État. Une partie de la haute administration considère que les universités sont des paniers percés, mal gérés par des hurluberlus qui mènent des recherches fantaisistes et inutiles. Eux-mêmes n’y ont souvent jamais mis les pieds. L’université, dans cette vision (voir points 3 et 4), hors peut-être médecine et droit, est un parking à étudiants, destiné à les stocker hors statistiques du chômage entre le moment où ils sortent du lycée et celui où ils ont la maturité pour occuper un emploi tertiaire.
Il doit mener de la recherche de classe internationale, ou du moins qui en ait l’apparence — de là les regroupements administratifs visant à monter dans le classement de Shangaï, celui-ci favorisant les grosses structures. On peut résumer cela ironiquement en « être compétitif avec Stanford ou Cambridge, mais avec un dixième de leurs moyens ».
Il doit être présent partout, chaque ville voulant son université ou son antenne universitaire même s’il y en a une autre à 60 km (et ceci est compréhensible : loger chez ses parents est bien moins onéreux que loger en logement privé, le CROUS est insuffisant, etc.).
Il doit accueillir tout le monde en sortie de lycée et diplômer tout le monde.
Il doit proposer des formations spécialisées répondant à toutes les demandes de l’économie.
Bien entendu, il est impossible de répondre simultanément à tous ces désirs. Ainsi, une formation spécialisée en alternance qui répond à des demandes précises de l’économie est bien plus coûteuse en gestion pédagogique et administrative qu’une formation généraliste. De même, si on veut du pas cher et intense en heures de cours, alors on a des enseignants-chercheurs surchargés qui ne peuvent mener de la recherche de classe internationale.
L’incapacité politique à résoudre ces contradictions amène de perpétuelles réformes, recompositions de structures, créations de montages divers, qui au bout du compte ne résolvent rien et mettent un désordre constant. Les conditions de travail se détériorent ; les rémunérations stagnent malgré l’inflation, c’est-à-dire baissent. Certains concours de recrutement d’enseignants-chercheurs du supérieur sont infructueux, faute de candidatures, comme le sont depuis longtemps les concours de recrutement d’enseignants du secondaire dans certaines disciplines. Les recrutements de contractuels et de vacataires sont acrobatiques.
C’est pour toutes ces raisons que je considère que les slogans du type « abolir ParcourSup » sont un peu courts. Abolir ParcourSup ne résoudra pas le problème du manque de places, découlant d’un manque de moyens, découlant au fond d’une incapacité de notre société à définir des objectifs cohérents à son système d’enseignement supérieur et de recherche.
(NB: Je ne m'exprime ici pas en tant que représentant de mon employeur ou de l'université qui héberge mon laboratoire.)