Je me dois de rendre compte.
Je suis à Tahiti à l’heure où j’entame ces lignes. Plus particulièrement dans la ville de FAA’A dont le Maire est l’ancien Président de la Polynésie Française, Oscar TEMARU. Homme politique parfaitement intègre et ayant dévolu sa vie entière au service des plus déshérités et plus largement, de son Peuple. Je témoigne de la simplicité dans laquelle il vit, je témoigne de la sincérité de son engagement.
Au-delà de sa vision politique plus largement entendue, Oscar TEMARU, dont je suis l’avocat, est adepte de l’accession à la souveraineté de son « pays » et l’un des premiers, il y a plus de quarante ans, à avoir alerté sur les dangers des essais nucléaires français dans le Pacifique.
Depuis lors, il n’a cessé d’en dénoncer les effets, qui touchent chaque famille Polynésienne, la sienne également.
En 2013, le Président Oscar TEMARU a obtenu, auprès de l’ONU, la réinscription de la Polynésie Française sur la liste des pays à décoloniser et, malheureusement, la France ne joue pas le jeu de ce processus international. C’est très précisément à ce moment-là que les « ennuis » judiciaires du Président TEMARU ont débuté.
Le 02 octobre 2018, Oscar TEMARU a également déposé une communication pour crime contre l’humanité auprès de la Cour Pénale Internationale du fait des 193 essais nucléaires et de leurs conséquences dramatiques sur la population polynésienne et sur l’environnement. Ce sont là deux actions politiques très gênantes pour le gouvernement français, alors même que le précédent Président de la République a reconnu, sans contredit possible, les conséquences néfastes desdits essais.

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Dans la même ligne, l’actuel Président de la Polynésie Française, Edouard FRITCH, vient de reconnaître avoir menti, avec d’autres, s’agissant des essais nucléaires qui - on le sait aujourd’hui-, n’étaient pas « propres », contrairement à la doxa entretenue par les pouvoirs publics. Ses propos sont tout à fait clairs : « Notre propre leader a vu une bombe péter : lorsqu'on voit une bombe atomique péter, je pense qu'on se rend compte que ça ne peut pas ne pas faire de mal ». Il ajoutait donc : « Je ne m'étonne pas qu'on me traite de menteur alors que pendant 30 ans, nous avons menti à cette population, que les essais étaient propres : nous avons menti, j'ai fait partie de cette bande ».
La France a montré ce dont elle était capable lorsqu’il s’est agi de réduire au silence le Député Polynésien Pouvana'a a O'opa, surnommé de son vivant « Te Metua », « le père », dans les années 60, accusé à tort et fabriquant ainsi un martyr. La France fait de même avec ceux qui combattent aujourd’hui aux côtés d’Oscar TEMARU.
Je le dis en étant meurtri, mon pays use encore des mêmes supercheries judiciaires pour porter atteinte à la crédibilité du Président Oscar TEMARU, en entachant sa probité, envoyant un Ministère public aux ordres, le poursuivant pour une infraction qu’il n’a pas commise. Loin de s’en contenter, ces procureurs détournent la Loi et les principes du procès équitable.
Le temps venu, lorsqu’Oscar TEMARU sera innocenté des accusations iniques portées contre lui, nous les nommerons et montrerons les insupportables dysfonctionnements de cette procédure, comme autant de dévoiements de notre Droit et de nos valeurs.
Nous sortons en effet d’une semaine d’un procès historique, où nous avons pu observer le vide argumentaire du Parquet général, seulement occupé à mener sa charge politique contre Oscar TEMARU et une radio locale TE REO O TEFANA, accusée à tort d’être un organe de propagande au service du parti d’Oscar TEMARU.
De nombreux médias locaux, ainsi que Le Monde, ont rendu compte de ce qui s’est passé dans les prétoires de TAHITI, sous des titres évocateurs : « Oscar Temaru, leader indépendantiste de Tahiti, au cœur d’un procès très politique » ; « Procès Oscar Temaru : le procureur de Tahiti ciblé par les avocats de la défense » ; « Au procès d’Oscar Temaru, l’accusation en difficulté »
Je vous y renvoie donc.
Je veux ici rendre hommage à mes courageux amis et Confrères du Barreau de PAPEETE : Thibaud MILLET, avec lequel j’ai l’honneur de défendre Oscar TEMARU, Stanley CROSS, Vincent DUBOIS et le Bâtonnier Dominique ANTZ. Ces hommes honorent la France, la Justice et la robe que nous portons.
Nos dirigeants actuels doivent décider s’ils entreront dans l’histoire au rang des accusateurs de Pouvana'a a O'opa et d’Oscar TEMARU ou en défenseurs des idées universelles que ces hommes politiques Polynésiens portent dans le respect des textes fondamentaux. Ce choix les engage.
Évidemment, c’est moins abordable et sans doute moins intéressant que l’affaire PALMADE ou d’autres faits divers qui saturent -à dessein- les médias à l’heure où j’écris : il n’y a pas de drogue, il n’y a pas de sexe. Il ne s’agit que du droit fondamental d’un Peuple à disposer de lui-même, en parfaite adéquation avec les règles du droit international, auxquelles la France est tenue de se soumettre.
Pour autant, j’ai vu ici des enfants, des femmes, des hommes souffrant des pires maux : des cancers, des leucémies, des malformations. Le nombre de cancers, appelé « la prévalence », et le nombre de nouveaux cas annuels, que l’on appelle « l'incidence », explosent. Pour le cancer de la thyroïde par exemple, les Polynésiens sont sept fois plus touchés que le reste du monde, dans l’indifférence générale.
Ceux dont la peau part littéralement en lambeaux, dont la vie de la naissance à la mort est vouée à la souffrance, marquent à tout jamais mon esprit, et le hanteront sans doute à jamais.
Pour le Français métropolitain que je suis, le débat n’est pas simple : aimer la France impose de regarder cette réalité en face, telle qu’elle est et non telle que nous aimerions la raconter, d’assumer nos actes, de présenter nos excuses et de réparer les conséquences de nos actes, s’agissant notamment des essais nucléaires ; que l’on dirige ce pays ou que l’on en soit citoyens. Les impératifs d’indépendance français au sortir de la seconde guerre ayant motivé ces essais nucléaires et la main mise gardée sur les cinq archipels, pour des raisons géostratégiques, n’existent plus aujourd’hui de la même manière (entre autres propos, mais doit pouvoir être étendu aux autres territoires d’outre-mer, avec d’autres scandales, à l’instar de celui du chlordécone aux Antilles). Et notre devoir, en tant que français, nous dont les plus grands textes constitutionnels consacrent l’autodétermination comme un droit suprême de chaque Peuple à disposer de lui-même, nous commande de ne plus mentir aux Polynésiens et, avant toute chose, de ne plus nous masquer la réalité, en payant sur l’autel du réel le tribut de l’honnêteté.
Alors que les essais nucléaires débutèrent le 2 juillet 1966, ce n’est qu’en 1976 que furent placés aux abords de Mururoa d’insignifiants panneaux blancs marqués de rouge à l’adresse des polynésiens, « NE PAS BOIRE L’EAU DE COCO – NE PAS PÉCHER LES POISSONS DU LAGON ». Ces deux illusoires injonctions à destination d’un Peuple millénaire, et pacifique à tous égards, furent la seule précaution bien tardive qui leur fut adressée.
Lorsque le Président TEMARU que rien ne destinait à la lutte menée inlassablement depuis plus de quarante ans a, parmi les premiers, compris ce qui se jouait ici, il fut traité de « terroriste », il était décrit tel « l’antéchrist », « l’agent de Cuba », « à la solde des puissances de l’Est » qui ne voulaient rien de moins que trahir la France en l’affaiblissant sur la scène internationale.
Il s’agit de ce même Peuple qui, sur la base du volontariat deux décennies plus tôt, envoyait ses jeunes s’enrôler pour combattre au sein de l’armée de la France Libre, tel le père de mon Confrère Stanley CROSS, quittant Tahiti à 17 ans, se rendant en Angleterre, pour voler sous la bannière des Forces Françaises Aériennes Libres, aux côtés de Romain GARY et de tant d’autres héros anonymes. Il revint suite à un crash, le visage et les mains brulées pour la France et pour les valeurs qu’elle portait fièrement et qu’elle trahit depuis.
La différence majeure, notable, entre le fier Peuple Maohi et les autres peuples aujourd’hui décolonisés est qu’ici la violence n’est pas de mise, que la tradition de respect et d’accueil de « l’étranger » est une valeur cardinale de l’organisation de cette société. Le Président TEMARU incarne mieux que quiconque ces valeurs et s’est posé en pacificateur pendant les fameuses émeutes de 1995, alors que le Président CHIRAC annonçait la reprise des essais nucléaires.
Le Président Oscar TEMARU, à l’inverse du message qu’il porte, n’est pas éternel. Au nom de l’amour que je porte aux Maohi et à mon pays, la France, j’espère que la violence ne sera pas la solution pour que le combat légitime de ce Peuple pacifique soit entendu.
La France se doit de reconnaître les conséquences de ses actes passés s’agissant des essais nucléaires et doit les réparer. Cette reconnaissance aussi légale que justifiée est aujourd’hui implorée pacifiquement par ce Peuple entamé dans sa chair et dans son âme.
Et demain ?
Monsieur le Président de la République, Emmanuel MACRON, Madame la Première ministre Elisabeth BORNE, Monsieur le ministre de la Justice, Eric DUPOND-MORETTI, Monsieur le ministre des Outre-mer, Jean-François CARENCO, entrerez-vous dans l’histoire française pour avoir réparé cette injustice ou pour l’avoir couverte ?
David Koubbi
Avocat à la Cour en charge de la défense d’Oscar TEMARU