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Docteur en histoire contemporaine et chargé d'enseignement vacataire à l’Université de Lille. Président de la LDH 62.

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Billet de blog 8 avril 2024

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Misère du campisme

Encore prégnant dans une partie de la gauche, l'anti-impérialisme de guerre froide se distingue du pacifisme. Produit du stalinisme et de la défense de l'URSS, il conduit aujourd'hui à une forme de "campisme" et de relativisme dans l'analyse du conflit russo-ukrainien qui fait du tort à la gauche.

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Le PCF est né du refus de la guerre. Au Congrès de Tours, en décembre 1920, les jeunes adhérents séduits par la Révolution d'Octobre 1917 et la radicalité révolutionnaire de Lénine et des bolcheviks font le choix de la IIIe Internationale et de la rupture avec la IIe Internationale qui aurait failli ; au congrès de Strasbourg de février 1920, puis à Tours en décembre, les majoritaires de guerre, engagés dans l'Union sacrée sont désavoués.

L'attachement à la paix est consubstantiel au communisme français. Il s'est identifié avec la figure de Jean Jaurès, martyr de la paix assassiné parce qu'il refusait la guerre.

Pendant longtemps, ce combat pour la paix est allé de pair avec la défense de l'URSS, assimilée à la Révolution d'Octobre et à la paix et au service des luttes de libération nationale, menacée par les impérialismes.

L'URSS représentait l'espérance socialiste tandis que les États-Unis, champions du capitalisme, étaient dénoncés pour leurs guerres, comme au Vietnam, leur soutien, par anticommunisme, aux dictatures d'Amérique latine, leur impérialisme.

Cette grille de lecture héritée de la guerre froide, certains militants de gauche la partagent encore pour l'essentiel alors même qu'elle faisait déjà l'impasse, à l'époque, sur les responsabilités propres de l'URSS, le caractère répressif de son régime dictatorial et la vassalisation de la moitié de l'Europe.

Malgré la déstalinisation, dur dur, pour certains, d'ouvrir les yeux sur la nature véritablement contre-révolutionnaire du régime soviétique, qu'avaient pourtant vu les libertaires et les syndicalistes révolutionnaires, puis les communistes oppositionnels dès les années 1920...

Pour les campistes d'aujourd'hui, qui en sont restés à une lecture de guerre froide, c'est l'OTAN qui aurait agressé la Russie, les révolutions de couleur en Géorgie, en Ukraine et en Biélorussie seraient des complots de la CIA, le régime de Kiev serait nazi, et les militants de gauche qui refusent le principe d'une victoire russe, de l'annexion de vastes territoires ukrainiens par la Russie et de la vassalisation de l'Ukraine au Kremlin seraient des atlantistes.

Tout est faux dans cette analyse.

L'OTAN n'a pas agressé la Russie. L'OTAN ne menaçait pas la Russie et une adhésion éventuelle de l'Ukraine à l'OTAN n'aurait en rien menacé la sécurité russe sauf dans l'esprit paranoïaque du dictateur du Kremlin.

Les révolutions de couleur ne sont pas non plus des complots de la CIA, pas plus que la révolution des parapluies à Hong-Kong. Il est navrant que des militants de gauche, admirateurs de la Révolution française, de la Commune de Paris et de la Révolution d'Octobre 1917 en viennent à tenir un discours proprement contre-révolutionnaire en voyant dans la révolution de Maïdan de 2014 je ne sais quel complot fomenté par des forces obscures comme les réactionnaires du passé voyaient la main des franc-maçons derrières 1789, de l'AIT derrière la Commune, des juifs et des Allemands derrière Octobre 1917...

Le régime de Kiev n'est évidemment pas nazi, même si la mémoire de l'Holodomor et des crimes du stalinisme ont accompagné la glorification, par une partie des nationalistes ukrainiens d'aujourd'hui, des nationalistes de Stepan Bandera et de l'OUN-B qui ont activement participé aux massacres de la Wehrmacht et des Einsatzgruppen pendant la Seconde Guerre mondiale.

La volonté de la Russie de Vladimir Poutine de s'appuyer sur les BRICS et d'incarner un "Sud global" face à l'Occident capitaliste, impérialiste et néocolonialiste relève de la pure propagande. Alliée de la Chine, de l'Iran, de la Syrie et de la Corée du Nord, la Russie de Poutine ne porte aucun projet émancipateur pour la planète. Son seul projet réside dans le maintien au pouvoir des régimes les plus despotiques et l'écrasement des velléités d'émancipation dans son étranger proche.

La Russie est aujourd'hui une dictature mafieuse et criminelle dans laquelle la liberté de la presse n'existe plus, dans laquelle on assassine les journalistes, dans laquelle les élections sont truquées et les opposants emprisonnés. 

Dans les rangs du PCF et de la CGT, certains camarades se laissent prendre au piège de la rhétorique anti-impérialiste de la Fédération syndicale mondiale (FSM). Ultime survivance de ce qu'a été le mouvement communiste international sous la guerre froide, la FSM regroupe des syndicats proches de partis communistes orthodoxes comme les grecs du PAME et des syndicats officiels aux mains du régime comme la centrale syndicale syrienne. Pour la FSM, la lutte pour la paix passe par la dénonciation de l'OTAN et de ses aventures guerrières, mais il n'y a aucun problème à se rendre en Syrie rencontrer Bachar El Assad et l'assurer du soutien de la FSM à la lutte du peuple syrien contre l'impérialisme... 

D'autres, sombrant dans le relativisme le plus indigne, en viennent à mettre sur le même plan la répression en Russie ou en Iran et les violences policières en France.

Le campisme, cet anti-impérialisme de guerre froide obnubilé par les fautes de l'UE et de l'OTAN et aveugle et sourd sur celles des pires dictatures de la planète, fait florès dans les groupuscules staliniens qui ont fini par quitter le PCF accusé d'être "révisionniste" ou trop "social-démocrate", à l'instar du PRCF (Pôle de renaissance communiste en France) ou du RC (Rassemblement communiste), mais on le trouve également chez une partie des militants communistes et chez LFI.

Les positions adoptées tant par la direction du PCF que par les dirigeants de LFI sur le conflit russo-ukrainien ne sont pas fondamentalement "campistes", mais souffrent de leur ambivalence. Communistes et insoumis entendent rester fidèles à leur histoire pacifiste et invoquent Jaurès, mais ce-faisant, ils sont surtout fidèles à une part de leur histoire, celle de la guerre froide où le pacifisme a été capté et utilisé au profit du camp soviétique. Et s'il était temps de s'en défaire ? En dénonçant une agressivité imaginaire du camp occidental et en appelant à une paix avec la Russie qui passerait par la neutralisation de l'Ukraine, sans tenir compte de la volonté du peuple ukrainien de choisir son propre destin et de choisir ses propres alliés, le PCF et LFI satisfont leurs tendances internes les plus radicales, qui restent marquées par la rhétorique anti-impérialiste de guerre froide, au risque du relativisme. Il n'est pas sûr que ce positionnement soit à la hauteur des enjeux du moment.

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