Hénin-Liétard, 11 avril 1934. La petite ville minière du bassin lensois dirigée par le maire socialiste Adolphe Charlon est en effervescence.
Le soir-même, elle doit accueillir une réunion publique de l’Action française. On annonce la venue de l’un de ses principaux dirigeants, Léon Daudet.
Deux mois après les événements parisiens du 6 février, la présence de l’Action française à Hénin-Liétard, dans une ville qui fut naguère l’un des bastions du "Jeune syndicat" de Benoît Broutchoux après la catastrophe de Courrières de 1906, est perçue comme une provocation par les forces de gauche locales qui viennent de constituer un comité antifasciste qui rassemble SFIO et CGT, PCF et CGTU ainsi que la LDH. Le comité antifasciste distribue des milliers de papillons et appelle à manifester devant le Palais des Fleurs, le café du centre-ville où doit se tenir la conférence de l’Action française.
Le soir du 11 avril, plus d’un millier de manifestants de gauche sont rassemblés sur la place Carnot. De nombreux élus socialistes et communistes des localités voisines sont présents. Un groupe de manifestants se dirige vers le Palais des Fleurs pour apporter la contradiction, mais l’entrée leur est refusée et une bagarre éclate dans le café entre eux et une quinzaine de Camelots du Roi qui assurent le service d’ordre.
Aux côtés de Nestor Calonne, le chef de file du PCF local, se trouve Joseph Fontaine, un mineur communiste et unitaire de 55 ans. C’est lui qui s’écroule, mortellement touché, sous les coups de feu d’Eugène Fritsch et Jean Théry, les deux camelots du Roi qui avaient sorti leurs revolvers.
La mort de Joseph Fontaine fait la une de la presse régionale et nationale et suscite une grande émotion dans la région.
Un premier procès a lieu le 15 juin 1934 au tribunal correctionnel de Béthune. Six antifascistes et douze royalistes sont condamnés à des petites peines de prison pour coups et blessures ou port d’armes prohibées.
Les 20 et 21 juin 1934, Eugène Fritsch, inculpé du meurtre de Joseph Fontaine et Jean Théry, inculpé pour tentative de meurtre sur la personne de l’ouvrier Puchois sont jugés à la cour d'assises de Saint-Omer. Les avocats de l’Action française plaident la légitime défense. Fritsch et Théry sont finalement acquittés mais Eugène Fritsch est sommé de verser 50 000 francs de dommages-intérêts à la veuve de Joseph Fontaine. Le verdict scandalise le PCF qui érige Joseph Fontaine en martyr de l’antifascisme.
Une plaque à la mémoire de Joseph Fontaine a été installée sur les lieux du drame, rue Montpencher, à la mémoire de celui que le PCF local considère comme la "première victime du fascisme". Chaque année, le PCF organise une petite cérémonie locale à laquelle il convie les forces de gauche.
Depuis l’arrivée au pouvoir du FN en 2014 à Hénin-Beaumont, la cérémonie commémorative du 11 avril à pris un sens encore plus politique : l’antifascisme n’est plus seulement une question mémorielle quand l’extrême droite locale est à la tête de la ville, du canton, de la circonscription, et parvient à s’y faire réélire.
Sur un plan plus personnel, la mémoire de Joseph Fontaine m’a accompagné à toutes les étapes de mon engagement. Secrétaire de la section d'Hénin-Beaumont du PCF entre 2006 et 2018, j’ai rendu hommage chaque année à Joseph Fontaine, comme ma prédécesseure le faisait avant moi. Je lui ai consacré un article dans Gauheria, qui s’est étoffé et transformé en un mémoire de master recherche soutenu en 2016. J’ai rédigé sa notice sur le Maitron. Mon master consacré à l’affaire Joseph Fontaine m’a donné le goût de la recherche et m’a amené à la thèse de doctorat, soutenue en 2023, sur le PCF et la CGTU dans le Pas-de-Calais pendant l’Entre-deux-guerres.
Quelque part, Joseph Fontaine ne m’a plus jamais quitté...
Joseph Fontaine est mort il y a 90 ans. Je pense à lui. On continue son combat et j’espère en être digne. Salut à toi, camarade Joseph !