Il faut avoir la lucidité de le voir : depuis plus de 20 ans, le PCF est devenu un parti électoralement marginal au plan national.
Alors que Robert Hue avait recueilli 8,64 % des suffrages et 2,63 millions de voix aux élections présidentielles de 1995, le PCF n'obtient que 3,37 % des suffrages en 2002, avec 960 000 voix, dépassé pour la première fois par les candidats de Lutte Ouvrière et de la LCR.
En 2007, deux ans après la belle campagne unitaire contre le Traité constitutionnel européen, des voix s'élèvent pour renoncer à une candidature communiste au profit d'une candidature d'union de la gauche antilibérale portée par un non-communiste, comme José Bové. Le PCF estimant, à juste titre, avoir joué un rôle majeur durant la campagne pour le Non au TCE et pouvoir porter la candidature d'union de la gauche antilibérale présente la candidature de Marie-George Buffet qui apparaît, de manière parfaitement injuste, comme une candidature de division et n'obtient que 707 000 voix et 1,93 % des suffrages.
Un parti qui obtient moins de 2 % des voix aux élections présidentielles est un parti qui ne peut plus peser sur le débat politique national. Même si le PCF conserve encore ses groupes parlementaires et des milliers d'élus locaux, reconnus et respectés par les électeurs, même si le PCF compte encore nombre de militants investis dans le mouvement associatif et syndical, les désastres électoraux de 2002 et de 2007 ont conduit la direction du PCF à opter pour une stratégie de rassemblement de la gauche antilibérale.
Dans ce contexte, le PCF a été à l'origine, dès 2008, de la création du Front de Gauche avec le club Pour la République sociale (PRS) de Jean-Luc Mélenchon, qui quitte le PS au congrès de Reims, fonde le Parti de Gauche et noue immédiatement une alliance avec les communistes pour les élections européennes de 2009.
Le Front de Gauche a contribué à redynamiser l'espace de la gauche antilibérale. Les militants qui s'étaient tournés par défaut vers le NPA s'investissent dans le Front de Gauche, qui mène une brillante campagne et parvient à obtenir un score à deux chiffres lors des élections présidentielles de 2012, sans que ce succès ne se traduise par des gains électoraux aux législatives qui suivent.
Au lendemain de 2012, les tensions vont pourtant s'accumuler entre le PCF et le PG qui n'ont pas la même conception de ce que devrait être l'alliance de la gauche antilibérale. Pour les communistes, le Front de Gauche est un cartel utile aux présidentielles et aux législatives, dans lequel ils entendent peser afin, notamment de reconquérir les circonscriptions perdues, mais l'alliance n'est pas aussi pertinente aux élections municipales ou régionales pour lesquelles le PCF travaille dans de nombreuses collectivités avec ses partenaires socialistes et écologistes de l'ancienne gauche plurielle.
Inversement, tourné vers une stratégie présidentielle d'incarnation de l'opposition antilibérale, Jean-Luc Mélenchon entendait diriger le Front de Gauche sur le même registre que celui de la campagne de 2012 et entendait en faire une réalité électorale à toutes les élections locales, poussant le PCF à rompre avec ses autres partenaires locaux. Face au refus du PCF, le leader du PG, qui tourne son regard vers Podemos, est à l'initiative de la création de LFI en 2016.
La création de LFI constitue une rupture dans les précédentes tentatives de rassembler la gauche antilibérale. Passer d'une coalition de partis, dont les représentants élaborent des consensus afin d'arriver à une ligne commune, et dont chaque organisation doit pouvoir tirer profit en terme de renforcement propre, à un mouvement de supporters tourné vers la présidentielle, qui ignore les autres organisations de gauche et ambitionne de réaliser une OPA sur leurs électeurs et sur leurs militants a été perçu comme une attaque et une OPA hostile sur le PCF par un grand nombre de militants communistes, et pas seulement par leurs dirigeants.
C'est ce qui a amené dans un premier temps, à l'automne 2016, les communistes à refuser de s'engager dans la campagne de LFI avant qu'un vote serré des adhérents ne prenne la position inverse, après que Pierre Laurent se soit engagé dans ce sens. La campagne présidentielle de 2017 a pourtant été tout sauf unitaire. Les communistes ne souhaitaient pas rejoindre le cadre de LFI. Attachés à la souveraineté de leur parti et hostiles à la double-appartenance érigée en système, les communistes n'ont jamais envisagé que leurs adhérents rejoignent les groupes politiques d'un autre mouvement que le leur, appelés à désigner les candidats du mouvement sans accord politique législatif PCF/LFI comme il y en avait eu en 2012.
Après 2017, deux options se présentaient au PCF : une partie des dirigeants communistes estime, et c'est leur droit, que le PCF est devenu un parti marginal, ne peut plus jouer à lui seul de rôle propulsif, et qu'il gagnerait à s'intégrer dans le mouvement structuré par Jean-Luc Mélenchon. Dans leur vision, les militants communistes pourraient s'investir dans les groupes de LFI et quelques cadres du PCF sélectionnés par Jean-Luc Mélenchon pourraient intégrer les cercles de direction de LFI, mais le PCF n'aurait plus, en tant que tel, de rôle politique autonome à jouer.
Cette vision a été nettement battue lors des congrès de 2018 et de 2023. Une majorité des adhérents communistes considère que le PCF a encore un rôle à jouer et que pour retrouver une audience nationale et une influence plus importante, il est nécessaire qu'il se présente aux élections nationales, notamment aux élections européennes et présidentielles.
Avec 2,49 % pour la liste de Ian Brossat aux élections européennes de 2019 et 2,28 % pour Fabien Roussel aux présidentielles de 2022, le pari est encore loin d'être gagné, mais le PCF a retrouvé un accès aux médias et une visibilité qu'il n'avait plus entre 2012 et 2017. Fondamentalement, les communistes sont convaincus que dans un espace de gauche qui est pluriel, il y a de la place pour la famille communiste, aux côtés de la famille sociale-démocrate, de la famille écologiste et de la famille de la gauche mouvementiste insoumise dans laquelle le PCF n'est pas réductible.
La NUPES a provisoirement réuni les quatre familles de la gauche sur des bases qui ne pouvaient pas être durables. L'accord électoral conclu pour les législatives de 2022 a fait la part belle à LFI, convaincue que les candidatures des trois autres familles de la gauche étaient illégitimes et ont coûté à Jean-Luc Mélenchon la qualification au second tour de la présidentielle. Pour les dirigeants de LFI, la NUPES était une sorte de prolongement de LFI et de l'Union populaire, destinée à neutraliser les autres formations de gauche et à les contraindre à accepter par avance le leadership de Jean-Luc Mélenchon et du mouvement LFI sur la gauche dans la perspective des élections présidentielles de 2027.
Évidemment, cette perspective n'a jamais été celle du PCF, ni celle du PS et d'EELV. Pour le PCF, la gauche n'est pas faible parce qu'elle se compose de familles distinctes et leur effacement dans un seul mouvement ne règlerait pas le problème de sa faiblesse. Au contraire, le PCF entend profiter des élections comme les européennes de 2024 pour faire entendre sa voix originale, mais aussi recruter et renforcer son audience électorale et ses effectifs militants, ce que l'effacement dans une liste unique ne permet pas de faire.
Les sondages restent modestes pour la liste communiste, mais les sondages ne sont pas l'essentiel quand on mène la bataille idéologique et qu'on lutte contre l'effacement. Le résultat de la liste de Léon Deffontaines sera un jalon de plus dans la longue marche entamée par le Parti communiste depuis 2018 pour retrouver un poids dans la société, élargir son audience, étoffer ses réseaux associatifs et syndicaux qui seront nécessaires pour les futures victoires de la gauche pour lesquelles nous nous battons.
Tout cela ne veut pas dire qu'il ne pourra pas y avoir d'alliance, demain, aux présidentielles ou aux législatives, face au risque grandissant d'une victoire de l'extrême droite, mais cette alliance ne pourra se faire que si chacun renonce à l'hégémonie et si chaque famille d'une gauche qui a toujours été diverse peut y contribuer à part égale. La NUPES ne le permettait pas ; d'autres formes d'alliance le permettront à l'avenir.