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Billet de blog 16 septembre 2024

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Présumés coupables

Les millions de témoignages de femmes à travers le monde, de la simple remarque sexiste au viol aggravé ou au meurtre, aucune femme n’y échappe. Et ces témoignages sont confirmés par ce que je vis au quotidien, par ce que mes amies, mes collègues vivent au quotidien. Mais je ne parlerai pas dans cet article des crimes sexistes les plus abominables.

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Présumés coupables

Aujourd’hui, je sens que je me suis endurcie. Je n’emploie pas le mot aujourd’hui pour désigner une période actuelle un peu floue, mais réellement le jeudi 13 septembre. Est-ce dû à l’agression sexuelle que j’ai subie il y a deux mois, aux multiples affaires de viols médiatisées ces derniers temps. Je me sens plus vieille, lorsque je sors dans la rue mon visage se durcit quasi automatiquement une fois la porte de mon immeuble franchie. Il a perdu sa souplesse comme si, en plus de sa lourdeur, il était partiellement composé de carton. En outre, j’ai dû me méfier et répondre à des sollicitations masculines désagréables dans la rue au moins quatre fois cette semaine et cela m’a fatiguée.

Je n’ai de cesse de me poser cette question : les hommes sont-ils, dans une majorité absolue, des pédophiles, des agresseurs, des violeurs potentiels. Les premiers degrés d’agressivité contenue peuvent-ils ou doivent-ils en fonction de certaines circonstances mener au pire.

La question tombe de manière abrupte. D’ailleurs cet article sera abrupte car il m’est impossible, pour ce sujet, de faire autrement. C’est décousu j’en ai conscience, car dans mon cerveau depuis quelques jours mes réflexions féministes affluent de toutes parts et j’ai du mal à les trier, les hiérarchiser. Les affaires Dominique Pélicot et Abbé Pierre y sont certainement pour quelque chose. Je ne sais pas ce qui se passe mais je suis prise d’une envie frénétique d’écrire et d’être lue, de lire des textes qui abordent les questions de dominations masculines. J’y pense quotidiennement, jusqu’à tard dans la nuit.

Je songe, sur la ligne du rer C qui me fait quitter Versailles pour me rendre à Paris, à des statues antiques masculines alignées dans un musée la nuit. Pas dans la salle du musée mais dans une réserve. On ne choisit pas ses inspirations et maintenant, où que j’aille, l’imaginaire versaillais ne me quitte plus, me colle à la peau. Ces statues se brisent les unes après les autres. Les visages de ces héros se fissurent lentement jusqu’à ce que quelques morceaux de plâtre tombent sur le sol, dans le silence parfait de la salle d’atelier. Puis c’est tout le visage qui se décolle et chute d’un seul coup sur le plancher. Le bruit est net. Le corps reste seul, les poings fermés. Parmi ces statues figurent ceux que j’ai admirés, aimés ou aime. Ils sont là et je ne les reconnais plus. Lorsque l’on ôte comme des couches inutiles les fonctions paternelles, inspiratrices, amicales ou amoureuses pour ne voir que l’homme, cela produit une drôle d’impression. Lorsque l’on prend conscience que nos proches sont des hommes comme les autres, que les petits amis de nos amies auraient pu être les nôtres, que les monstres que l’on voit à la télé sont les pères de femmes qui nous ressemblent, que l’on a été violée par un homme au sourire charmant et père de famille lui aussi, c’est brutal. Dès lors ces statues antiques aux visages brisés et effrayants sont partout, deviennent une menace bien réelle. Car comment ne pas craindre d’en être entourée lorsque les rideaux des maisons en apparences tranquilles tombent de tous côtés, et que ce que l’on aperçoit à l’intérieur des foyers nous horrifie.

Les millions de témoignages de femmes à travers le monde, de la simple remarque sexiste au viol aggravé ou au meurtre, aucune femme n’y échappe. Et ces témoignages sont confirmés par ce que je vis au quotidien, par ce que mes amies, mes collègues vivent au quotidien. Mais je ne parlerai pas dans cet article des crimes sexistes les plus abominables. Ceux qui m’intriguent et que j’essaie encore de comprendre sans y parvenir sont tous les autres, ceux qui peut-être ouvrent la voie aux pires. Ceux commis par les hommes normaux. Je me souviens, lorsque j’ai rencontré mon copain, nous avons eu une conversation au cours de laquelle il m’a dit : c’est dommage que pour un homme qui se comporte mal neuf autres en pâtissent. Et je lui avais demandé s’il s’agissait réellement d’une minorité d’hommes qui posait problème. S’il ne fallait pas plutôt inverser les chiffres.

Je suis dans la galerie sombre d’un musée, face à ces statues masculines qui ont accompagné ma vie d’enfant, de jeune femme et de femme : mon père en plâtre, mes amours en plâtre, mes amis en plâtre, et puis toutes les autres en plâtre, celles à venir. Je sens ma respiration derrière ce visage en carton et des gouttes de transpiration ruisseler dans mon dos jusqu’à atteindre la raie de mes fesses. Les rideaux sont tirés, mais on distingue les rayons de lune s’écraser contre les vitres crasseuses. L’odeur de bois délicieuse, flotte, adoucit ce tribunal de fortune.

Cette nuit je serai la victime et le juge de ces hommes sans visages. Cette présomption d’innocence, principe fondamental des droits de l’homme, a été dévoyée. Elle est devenue sur les plateaux télé brunis l’argument préféré des prédateurs sexuels et de leurs amis pour faire taire les victimes, nettoyer les traces de sperme. La présomption d'innocence est devenue l'acquittement avant même qu’il y ait eu procès.

Afin de survivre, je vous présume désormais tous coupables et vous devrez me prouver que vous êtes innocents. Car j’ai peur de vous.

En vous regardant, hommes normaux, je me demande combien d’entre vous se prétendant corrects avec les femmes et fustigeant régulièrement les comportements sexistes de vos pairs, refuseraient, poussés dans vos derniers retranchements, d’avoir une relation sexuelle avec une mineure, pour peu qu’elle fasse un peu plus âgée et soit jolie si l’occasion se présentait.

Je me demande combien d’entre vous, hommes normaux, alcoolisés et fortement désireux d’avoir une relation sexuelle avec une femme, n’iront pas violer directement mais choisiront un chemin plus complexe en insistant jusqu’à obtenir réparation. Car oui, pour vous, ne pas avoir de relation sexuelle quand vous en avez envie est une situation insupportable, une situation que vous subissez. 

Combien d’entre vous, sans avoir violenté physiquement aucune femme de votre vie, se sont autorisés à l’insulter et à l’humilier, lorsque, selon vos dires, elle était hystérique, névrosée et vous avait poussé à bout.

Combien d’entre vous n’iront pas voir ailleurs mais seront incapables de supporter la frustration sexuelle avec votre partenaire si au dernier moment, alors que vous êtes tout feu tout flamme, elle dit non. Alors que cette frustration, nous nous la subissons quasiment à chaque fois que nous couchons avec vous, que nous nous forçons pour vous satisfaire, ou alors que nous acceptons simplement de ne pas avoir de plaisir pour laisser la place au vôtre.

Combien d’entre vous n’insistent pas mais couchent avec leur copine sans se demander si elles ont eu du plaisir, si elles en avaient véritablement envie, si vos gestes ont été suffisamment bien dirigés, ont été doux, agréables pour l’autre.

Combien d’entre vous se permettent de nous faire des remarques sur notre physique imparfait sans pour autant vous être regardés attentivement dans un miroir.

Moi je vous regarde dans mille miroirs, et plus je vous regarde plus vous vous déformez.

https://de-lair.blogspot.com/

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