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Billet de blog 17 septembre 2024

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Les loups

 Je suis sur le quai du métro. Je l’ai déjà repéré me repérer. Car nous sommes deux loups. L’un attaque et l’autre se défend. J’ai appris, avec les années, à développer un odorat relativement puissant. Je suis aujourd’hui capable de sentir un prédateur sexuel à environ 20 mètres dans Paris.

Le prédateur me regarde passer sur le quai, et attend que je le dépasse pour me suivre. Ses jambes sont lestes et toniques, ses mouvements se coordonnent parfaitement avec les miens, ce n’est pas un chasseur débutant, je dois être prudente.

J’étais heureuse que le jeune réfugié dont je m’occupe ait trouvé une cravate à la boutique du secours populaire en bas de l’immeuble, heureuse d’avoir repris le boulot après un arrêt relativement long. Et voilà que le prédateur, en venant s’asseoir en face de moi dans le métro aux places de quatre alors que le wagon est vide, arrache le sourire de ma figure. Arrache en une seule action 8 mois de dur labeur pour ce sourire retrouvé.

Nous sommes seuls dans le wagon, il sort son ordinateur portable en me jetant régulièrement de petits regards. Je lis mon téléphone alors que je n’en ai pas envie pour faire distraction, et je m’efforce surtout de ne pas le regarder. Car je sens bien que dès que je commence à lever la tête, il relève instantanément la sienne en essayant d’établir un contact visuel. Le moindre relâchement corporel peut m’être fatal. Mes muscles se crispent, mes poils se dressent. Je tente tant bien que mal de me transformer en statue mais dans mon corps c’est l’emballement. Car malgré mon expérience, chaque rencontre avec un prédateur est toujours la première. Si on sait comment la rencontre débute, plane toujours un mystère quant à la manière dont elle va se terminer.

Il est très élégant, a le sourire de ceux qui marchent dans la rue et s’assoient dans le métro sans s’excuser. Je me demande à quoi peut bien ressembler l’environnement urbain lorsqu’on est un prédateur aguerri. Quelle physionomie a la ville lorsqu’on sait que chaque centimètre carré de l’espace qui nous entoure, chaque centimètre carré du corps de la femme nous appartient. Lorsque rien n’est obstacle mais terrain de jeu.

Pour moi la ville est remplie d’installations dangereuses. Les trottoirs que je quitte quand je veux éviter de croiser un homme, les sièges que je quitte quand un homme s’assoit trop près ou qu'il écarte les jambes, les magasins que je quitte quand je remarque que je suis suivie, les rames de métro que je quitte lorsqu’un homme s’est frotté à moi, les escaliers que je dévale avec acharnement quand je ne me sens pas en sécurité. La ville est pour une femme un parcours d’obstacles. Mais lui a le regard de celui qui se meut sans effort aucun, arrive en forme au travail en serrant fermement la main de ses collaborateurs.

En me bloquant ainsi le passage, ne remarque-t-il pas que je vais remarquer que le wagon est vide ? Ou n’a-t-il tout simplement pas ce genre de pensées polies. Car je ne dois pas oublier que la question que je viens de poser appartient au monde des loups dominés, pas à celui des chefs de meute.

Il sourit discrètement, de satisfaction. Peut-être vient-il d’apprendre que son entreprise a remporté un gros contrat, que sa fille a eu une bonne à l’école, que sa femme s’est excusée après une dispute où elle n’avait pas eu tort. Ses doigts, tels des griffes pianotent sur le clavier d’un mac à 5000 euros. Moi mon sourire ne reviendra pas avant 20h.

https://de-lair.blogspot.com/

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