Cher S.,
J'espère que tu vas bien !
Merci pour ton message, ta gentillesse et ton soutien aux Palestiniens en ces temps si horribles !
Je m'appelle H., je vis à Gaza avec M., mon mari, et mes deux enfants, Y., une fille de huit ans, et K., un garçon de six ans, et Mesho à nos côtés, un chaton de six mois. Mon mari et moi travaillons depuis plus de 15 ans dans des organisations humanitaires internationales non gouvernementales. Y. est en troisième année d’élémentaire et K. en première année. Ils vont tous les deux dans une école privée. Ils passent 7 heures à l'école et nous 8 heures au travail. Le bus scolaire les emmène le matin et les dépose ensuite chez ma famille jusqu'à ce que nous ayons terminé notre travail. Nous passons chez ma famille pour les récupérer, diner, les aider à étudier et à faire leurs devoirs. Nous regardons la télévision, nous passons du temps sur notre téléphone portable ou nous flânons en voiture et en profitons pour boire un jus de fruit frais ou un café (ou un café au lait que j'aime) ou manger des pan cake que Y. choisis ou une crêpe que K. aime. Puis nous rentrons à la maison pour nous préparer à dormir. Le jeudi de chaque semaine, M. sort avec son ami pour diner ensemble, puis il se rend dans un café pour profiter d'un café et jouer aux cartes. Je me rends à la maison familiale où ma mère, mes deux sœurs, mes nièces et mes neveux se réunissent pour planifier comment passer la soirée et où aller pour s'amuser. Soit nous commandons à manger, soit nous allons diner dans un restaurant, soit nous prenons à emporter et allons à la plage pour passer du bon temps en mangeant, buvant, discutant, jouant, faisant une longue promenade et écouter les blagues de mon neveu, qui a un caractère amusant et nous fait rire aux éclats lorsqu'il essaie d'imiter des personnages célèbres ou qu'il partage des souvenirs amusants. Le week-end (vendredi), nous le passons dans la maison des parents de M. dans la zone centrale de la bande de Gaza. Nous profitons de la réunion des familles de ses sœurs et de ses frères, tout en mangeant un déjeuner spécial préparé par la mère de M.
Après le 7 octobre, notre vie a basculé, pas de travail, pas d'école, de longues files d'attente de personnes risquant leur vie pour acheter du pain, des produits de première nécessité et de la nourriture. Après le 3ème jour, les Forces d'Occupation Israéliennes (FOI) ont coupé l'électricité. Dans notre immeuble, il y a un générateur d'électricité, dont nous dépendons pour faire fonctionner le réfrigérateur, les lumières et recharger nos téléphones portables. Dans notre vie quotidienne, M. et moi ne suivons pas l'actualité politique et nous faisons attention de ne pas impliquer nos enfants dans les débats politiques. Ainsi, depuis le 7 octobre, nous ne suivons l'actualité que par le biais de nos téléphones portables, nous ne regardons pas les journaux télévisés parce que nous ne voulons pas qu'ils voient des scènes effrayantes et sanglantes. Nous les laissons regarder la télévision pour regarder des dessins animés et des films ou jouer sur leurs tablettes. Quelques jours plus tard, la pénurie de carburant a commencé à se faire sentir, de sorte que le générateur d'électricité ne s’est mis à fonctionner que pendant 4 heures, puis 2 heures. Les connexions internet et les moyens de communication ont été coupés à cause du bombardement des installations de télécommunication. Nous avons à peine pu nous connecter quelques heures par jour. Les enfants n'ont donc pas pu regarder la télévision, des films sur Netflix ou jouer à des jeux qui nécessitent une connexion internet. Depuis la première nuit, les enfants ont dormi dans notre chambre plutôt que dans la leur parce qu'ils ont peur. Comme les bombardements sont de plus en plus aléatoires et agressifs, ciblant les bâtiments civils, nous avons pris nos matelas et les avons mis dans le salon, qui est un abri plus sûr, loin des fenêtres et pas du côté de la route. Nous essayons de réconforter les enfants et de détourner leur attention du bruit des bombardements pendant la journée ou des secousses de notre bâtiment dues aux bombardements intensifs pendant le jour et la nuit. Même Mesho a peur et se cache lorsqu'il entend les bombardements. Nous avons essayé de nous procurer des conserves et des aliments qui peuvent se conserver sans utiliser le réfrigérateur. Nous avons dû nous débarrasser de la nourriture qui se trouvait dans le congélateur car elle pourrissait. M. ou moi essayons d'aller au marché une fois par semaine et non tous les jours pour ne pas risquer notre vie à cause des bombardements aléatoires qui ont lieu partout. Je n'ai pas pu voir ma famille qui se trouve à 10 minutes de chez nous. Les magasins qui vendent des produits de première nécessité pour les animaux de compagnie sont fermés, mais nous avons su par hasard qu'il y en avait un qui était ouvert pendant une heure, ce qui nous a permis d'acheter de la nourriture et de la litière pour Mesho.
Lorsque les FOI ont demandé aux Palestiniens vivant dans le nord et dans la ville de Gaza d'évacuer vers le centre et le sud, nous n'étions pas sûrs qu'il était juste de le faire. D'après notre expérience avec les FOI, ils trompent les gens et les mettent en danger. Après leur appel et les messages enregistrés envoyés sur les téléphones de nombreuses personnes leur demandant de quitter la ville de Gaza et le nord de Gaza, nous avons remarqué que les bombardements devenaient de plus en plus intenses. Une nuit, nous n'avions pas de générateur, nous avons dû allumer des bougies que nous utilisons à la maison comme décoration. Il n'y avait pas d'internet, j'ai essayé de vérifier sur mon portable si la radio fonctionnait alors que nous entendîmes d’intenses et incessants bombardements. J'ai réussi à ouvrir la radio sur mon portable et nous avons été stupéfaits d'apprendre que les FOI avaient pris pour cible l'hôpital Al Ahli, qui accueille des milliers de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Environ 800 personnes, dont des femmes et des enfants, sont tombées en martyrs. Le lendemain, nous avons décidé de prendre nos bagages que nous avions préparés dès le premier jour de la guerre, comme toujours lors d'une attaque. Il s'agit de nos papiers officiels et de quelques vêtements. Nous sommes allés avec les enfants et Mesho à la maison de la famille de M. dans la zone centrale, nous avons trouvé la famille de son frère et celle de ses deux sœurs. Le chemin était très effrayant, nous craignions des bombardements, nous avons vu la destruction de nombreux bâtiments sur notre chemin, la route côtière a également été détruite, il y avait des familles avec leurs matelas et leurs biens.
Vous pouvez imaginer avoir 13 enfants et 12 adultes dans une maison, vous devez faire très attention à la consommation de l'eau de lavage, à l'eau potable, à la préparation de la nourriture. Comme il n'y a pas d'électricité, le générateur du quartier fonctionnait une heure par jour. Lors d'un bombardement, le générateur a été gravement endommagé et a cessé de fonctionner. Nous essayons de vérifier si l'un de nos voisins possède des panneaux solaires pour charger nos téléphones portables et la batterie que nous utilisons la nuit pour nous éclairer. Nous manquons de ressources alimentaires, d'eau propre et d'eau potable, ainsi que de carburant pour les transports et les générateurs dans les hôpitaux. Lorsque nous nous lavons le visage, l'eau n'est pas propre et très salée, elle abîme nos cheveux, nos yeux et notre corps. L'eau potable n'est pas propre et provoque des problèmes de santé, notamment des diarrhées. Les FOI ont ciblé différentes boulangeries. Pour obtenir du pain, il faut faire une longue queue et attendre plus de 3 heures. De nombreux massacres ont été commis contre des civils sur le marché local, devant les boulangeries, dans de nombreuses mosquées et dans une église qui abrite de nombreuses familles, causant la mort de dizaines de personnes déplacées.
Nous avons peut-être plus de chance que d'autres d'avoir réussi à obtenir de la nourriture et de l'eau, même si ce n'est pas suffisant. D'autres familles qui ont trouvé refuge dans les écoles de l'UNRWA souffrent du manque d'aide financière, non alimentaire ou alimentaire, la majorité d'entre elles étant des travailleurs journaliers qui ont perdu leur source de revenus. Vous pouvez imaginer le manque d'intimité, les conditions d'hygiène, l'utilisation des toilettes, le manque de nourriture et de boissons dans les écoles où vivent plus de 1500 personnes, dont des femmes et des enfants, des personnes handicapées, des nourrissons et des femmes enceintes.
La tragédie et le chagrin sont infinis et il faut beaucoup de temps pour les exposer et en parler.
Un soir, ils ont coupé la connexion internet et tous les types de communication dans toute la bande de Gaza, c'était un black out complet, nous ne pouvions pas suivre les nouvelles, savoir où se trouvaient les bombardements, nous ne pouvions pas contacter nos familles et nos amis pour vérifier s'ils allaient bien. Aucune couverture médiatique, plus de 24 journalistes sont tombés en martyrs depuis le début de la guerre. Les ambulances, les équipes paramédicales et les pompiers n'étaient pas en mesure de savoir où se trouvaient les bombardements et où ils devaient se rendre. La coupure a duré près de 24 heures, puis la connexion est revenue, mais elle ne fonctionne pas complètement, elle continue de couper à tout moment. Ils bombardent tout un quartier, comme le massacre du camp de Jabalia et du camp al-Shati, qui sont des zones surpeuplées, tout le quartier a été rasé et il y a plus d'un millier de personnes sous les décombres.
Un soir, les FOI ont bombardé une maison près de chez nous, les enfants criaient, c'était l'obscurité et le chaos, j'ai été légèrement blessé près de mon œil droit et jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours l'impression qu'il y a quelque chose à l'intérieur de mon œil et que je ne peux pas l'enlever. Notre voiture a été légèrement endommagée.
Jusqu'à présent, j'ai perdu mon cousin qui a étudié en Ukraine, est devenu dentiste, s'est marié à une Ukrainienne et a deux belles filles. Il a fui la ville de Gaza avec sa famille et sa mère vers Rafah, à la recherche d'un endroit plus sûr, mais un jour qu'il était parti chercher de la nourriture pour sa famille, il est tombé en martyr lors d'un bombardement.
L'une de mes parentes qui s'est réfugiée dans la région centrale a dû, une nuit, accompagner sa mère à l'hôpita,l sous les bombardements, pour accoucher. Elle a vécu la pire des expériences : à l'hôpital, il n'y a pas de couverture, pas d'hygiène, une seule infirmière et un seul médecin pour 24 femmes qui accouchent. Il y a une grave pénurie de fournitures médicales. Elle a vu des personnes blessées par les bombardements des FOI sur le sol, car l'hôpital n'a pas la capacité de traiter le grand nombre de blessés. Les médecins ne nettoient pas les blessures et pratiquent des opérations chirurgicales sans anesthésie. Les médecins ne peuvent pas traiter tous les cas, malheureusement ils donnent la priorité aux cas les plus graves, les autres sont priés de quitter les hôpitaux.
La nourriture de Mesho s'épuise et nous essayons de lui trouver une alternative avec notre nourriture, mais il ne mange rien. Nous ne savons pas comment lui procurer sa nourriture. Nous essayons de le familiariser avec cette situation difficile afin qu'il puisse se débrouiller seul au cas où nous serions martyrisés ou qu'il serait perdu s'il prenait peur et s'échappait lors d'un bombardement dans l'un des quartiers.
Ma maison, mon lit et le matelas confortable me manquent, mes parents, mon frère, mes deux sœurs, mes neveux et nièces me manquent, nos sorties, nos rires, nos discussions tous les jeudis soirs me manquent. Prendre mon café au lait dans mon lieu préféré me manque, mon amie me manque, mon travail me manque malgré la pression et la charge quotidiennede travail. Notre routine quotidienne me manque. L'école, les professeurs et les amis manquent à mes enfants.
Ma plus grande peur est de perdre l'un des membres de ma famille, si ce n'est tous, puisqu'ils ont ciblé au hasard tout le voisinage. Chaque fois que je peux leur parler, je fais de mon mieux pour retenir mes larmes, je veux qu'ils soient forts. J'ai peur de me retrouver sous les décombres sans que personne ne puisse nous atteindre ou d'être blessée alors que les conditions sanitaires dans les hôpitaux s'effondrent et que toutes les personnes blessées ne sont pas en mesure de recevoir un traitement médical. La peur de l'immigration forcée, car nous sommes actuellement contraints de quitter notre ville et de nous installer dans la zone centrale. La plus grande crainte est d'être obligés d'immigrer en dehors de Gaza sous la menace des bombardements. Où devrions-nous aller et que ferions-nous loin de nos maisons ? Nous avons peur d'un avenir sombre et inconnu, car ils ciblent les infrastructures de la bande de Gaza, des milliers de personnes ont perdu leur maison et leur travail