De Palestine via Paris

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Billet de blog 24 octobre 2023

De Palestine via Paris

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Gaza/Paris/Gaza/Paris/Gaza...

Deux amis, un à Gaza, l'autre à Paris, échangent à distance, et de rares fois en vrai, depuis 20 ans. Ils décident de publier ce qu'ils se disent depuis le début du mois d'octobre. Simplement. Il ne s'agit pas d'un témoignage. Ni d'une analyse. Ni d'une tribune. Juste de la vie qui essaie de se frayer un passage.

De Palestine via Paris

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous nous sommes rencontrés il y a maintenant 20 ans dans le cadre d'un projet de solidarité avec la résistance éducative du peuple palestinien. Il s'agissait de faire de l'animation et de la formation à l'animation scientifique. Depuis la vie s'est déroulée transformant cette rencontre en amitié et en partage à distance, mais aussi de rares fois en vrai, en Palestine ou en France, de nos vies quotidiennes faites de naissances, de projets, de louvoiement avec la situation pour s'envoyer des choses... mais aussi des massacres précédents perpétrés par l'armée israélienne ! Comme celui de 2014 dont l'ampleur faisait jusqu'aujourd'hui référence.

L'échange ici présenté assure notre anonymat. Ce qui explique aussi l'absence de photos. Il y a de nombreuses raisons à cela. Pas seulement pour éviter que celui d'entre nous deux, et sa famille, qui est à Gaza risque des représailles de la part de l'Etat d'Israël pour avoir juste rendu public une amitié. Une autre raison, par exemple, est :  pourquoi, alors que nous savons l'horreur, nous avons besoin que les personnes qui la subissent viennent en témoigner ?

Quelques jours avant

Gaza

« L'ami, j'ai besoin que tu m'envoies par la personne qui vient voir sa famille à Gaza, des médicaments pour l'asthme de mon fils, du collyre pour mes yeux et des graines pour un potager. »

Samedi 7 octobre

Paris

9h43 : « Comment allez-vous ? »

Gaza

9h44 : « Tout le monde a peur et on ne comprend rien »

Paris

19h58 : « Ca bombarde pas trop chez vous ? »

Gaza

19h58 : « Si avec les hélicoptères surtout »

Paris

22h57: « Have you enough Internet ? »

Gaza

23h54: « J’ai besoin de crédit Jawwal »

NB : Jawwal est l'opérateur palestinien

Paris

23h57 : « Pourquoi je t’écris en anglais ? Ok on cherche quelqu’un en Palestine pour le faire »

Dimanche 8 octobre

Gaza

« Hier avec mes frères et mon fils nous avons passé la nuit à la maison. Maman, nos épouses et les filles ont évacué. Aujourd’hui, ils ont bombardé des bâtiments de quelques membres de la grande famille et l’armée a prévenu les habitants de chez nous d’évacuer vers Khan Younis. »

Paris

« What are you going to do ? »

Gaza

« Nothing, just waiting our destiny »

Paris

« Je suis complètement confus. Je mélange les langues. Mon ami, ta destiné est de planter ta nouvelle terre et notre cœur veut l’arroser avec toi, avec vous. »

Lundi 9 octobre

Gaza

« Merci à ton ami pour le crédit Jawwal. Depuis hier on s’est installé dans la maison de mes grands-parents du côté de maman, plus loin de la frontière. On est une centaine… Je suis allé chez nous avec d’autres pour récupérer des matelas, du pain et d’autres aliments. »

Mardi 10 octobre

Gaza

« Tu sais, mon proche que tu as rencontré et qui a une autorisation pour travailler en 48 a réussi à aller en Cisjordanie. C'est préférable mais nous restons très inquiet vu le déchaînement de violence des colons et de l'armée là-bas. »

NB : « 48 » est la partie de la Palestine appelée « Israël ». Cela fait référence à la date du 14 mai 1948, date de création de l'Etat d'Israël et donc à l'officialisation de l'appropriation coloniale de cette partie de la Palestine.

Paris

« Je me demandais justement où il était. Comment vont tes petites ? »

Gaza

« Elles ne vont pas bien »

Mercredi 11 octobre

Gaza

PHOTO DE SA MAISON DETRUITE : un squelette de béton laissant voir la dévastation du mobilier et des affaires à l'intérieur avec des escaliers s'ouvrant sur le vide.

Paris

« Quelle horreur ! Mon ami, mon frère nous reconstruirons avec toi. »

Paris

« Essayons-nous de faire un échange entre vos enfants et des enfants de familles palestiniennes d’ici pour qu’ils puissent écrire, dessiner, dire entre eux et elles ce qu’ils et elles vivent ? »

Gaza

« Je vais voir mais c’est pas garanti. Nous sommes trop nombreux. Et la peur… »

« Crois-moi c’est encore trop tôt… »

Paris

« Oui je te crois. Bien sûr. C'est toi qui sait. »

Gaza

« Je viens juste d’annoncer la destruction de la maison à maman et à tout le monde. Elles pleurent surtout ma fille de 4 ans. Elle m’a brisé le cœur et j’ai pas pu mes larmes… »

Jeudi 12 octobre

Paris

« Ton proche en Cisjordanie vient de nous dire qu’il a eu des nouvelles de vous. Ouf. Bien que je sais l'absence d’électricité, j'étais inquiet de ne pas avoir de nouvelles. Il nous a dit que pour lui ça va... »

Vendredi 13 octobre

Gaza, Gaza, Gaza...

« Les photos, les vidéos que je t'ai envoyées de notre maison c’est mon neveu. J’ai essayé d’y aller mais j’ai du retourner à cause des bombardements. C’est le souffle des explosions mais aussi des impacts directs de missiles qui ont causé la destruction. Toute la ville est complètements vide. Pleins d’enfants et de femmes, de civils sous les décombres. Des centaines. »

« J’ai acheté de l’alcool septique et du coton pour me laver le corps. »

« Pour boire on fait ce qu'on peut. Je souffre de crampes. »

« Avec son diplôme d'infirmier, mon fils a été convoqué à l’hôpital de Khan Younis. Il a choisi les urgences. »

« Le problème c’est que les banques sont fermées et il n’y a pas d’argent dans les distributeurs et c’est sur le point d’être grave côté argent. Il nous faut de l’eau avec des pompes, de la nourriture. Et il n’y a vraiment pas d’aides humanitaires, y’a rien, ni Croix Rouge, ni rien… Rien… on est seuls. Avec des espèces nous pourrions acheter dans les petits magasins. Les grands magasins sont fermés. »

« J’ai essayé d’aller à Khan Younis voir si il y a de la place dans une école. Mais j’ai du rebrousser à cause des bombardements. Et les places sont pour les gens qui commencent à arriver du nord. »

«  Je le jure 51 jours d’attaque de 2014 c’est juste 1% de ce qui s’est déjà passé pendant 6 jours. Ca sent la poudre partout. »

Dimanche 15 octobre

Paris

« Ton autre proche qui travaillait à Tel-Aviv et dont tu es sans nouvelles est peut-être interné avec les autres travailleurs de Gaza en 48 ? »

Gaza

« C’est ce qu’on se dit aussi. Son téléphone est éteint. »

Gaza

« Que disent les informations de vos côtés ? Y’aura une invasion terrestre ? »

Paris

« On cherche et on te dit. Voilà le numéro du mandat qu’on t’a envoyé. »

« Du côté d'Al Jazeera cela semble imminent. »

Lundi 16 octobre

Gaza

« J’ai trouvé une queue d’une centaine de personne. Je n’ai pas récupéré l’argent »

Paris

« Aujourd’hui, les informations donnent l’impression que beaucoup est fait pour éviter l’invasion terrestre. J’espère que ce n’est pas de la manipulation. »

Gaza

« T’es optimiste. Je l’espère aussi. »

Paris

« Non c’est juste que les informations que je lis me donnent cette impression. Par contre je me dis qu’il est possible que les pays qui soutiennent Israël ne sont pas en mesure d’assumer les conséquences d’une invasion. Mais effectivement c’est aussi par peur pour vous que je pense cela. »

Paris

« Ici beaucoup de gens pensent à toi, à vous. »

Gaza

« Embrasse les et passe leur notre grand bonjour »

Mardi 17 octobre

Gaza

« Argent récupéré. 4h de queue. Merci »

Gaza

« Ce n’est pas l’humanitaire que nous voulons mais un cessez le feu. Les gens ne comprennent pas ce que nous subissons depuis toujours. »

Paris

« Je suis d’accord avec toi. C’est un problème que cette solidarité ne soit pas politique. C’est cela qu’il nous faut essayer de transformer. »

Gaza

« Mon fils ne nous dit rien de ce qu'il voit à l'hôpital mais nous savons... »

Mercredi 18 octobre

Paris

« Es-tu là ? »

Gaza

« Oui »

Jeudi 19 octobre

Paris

« Une journaliste veut donner la parole à des gens de Gaza. »

Gaza

« Je n'ai pas la tête à une interview. »

Paris

« Cela peut être la publication de nos échanges. »

Gaza

« Ok. A toi de voir. »

Paris

20h09 : « La manifestation vient d’être autorisée »

Gaza

« Bien »

Paris en famille

  • « Il a fallu que l’hôpital de Gaza explose pour que nous soyons autorisé à manifester… Je me mets à la mise en forme de mes échanges avec l'ami. »
  • « S'il le veut alors oui fais le malgré les biais de perception des situations que génère ici la lecture des paroles de ceux et celles qui subissent l'horreur. »

Lundi 23 octobre Gaza et sa famille ont du fuir leur maison refuge, les bombardements s'en rapprochant trop. Ils et elles sont parti.e.s se réfugier dans une école sans certitude quant à la protection que cela représente et toujours à la recherche d'informations qui leur permettraient d'anticiper autant que possible les détails de l'invasion terrestre annoncée.

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