Contexte général
Depuis plusieurs années, la fiscalité des pensions alimentaires versées pour l’entretien des enfants suscite un débat récurrent entre équité fiscale, simplification administrative et reconnaissance du rôle des deux parents après la séparation.
Dans ce contexte, le député Philippe Brun (PS, Eure) a déposé en 2024 puis en 2025 deux amendements similaires visant à défiscaliser partiellement les pensions alimentaires perçues par le parent bénéficiaire, tout en introduisant des ajustements pour le parent verseur.
🔗 Amendement n° I-2605 (2024) – Projet de loi de finances 2025 :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0324A/AN/2605🔗 Amendement n° CF1079 (2025) – Projet de loi de finances 2026 :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1906A/CION_FIN/CF1079
Ces amendements ont été discutés en Commission des finances, et le second a été adopté en octobre 2025, suscitant un écho notable dans la presse.
Le Figaro titrait par exemple :
« Budget 2026 : la commission des finances adopte un amendement pour défiscaliser la pension alimentaire »
(source)
Que proposent les amendements Brun ?
Les deux textes visent à modifier l’article 80 septies du Code général des impôts (CGI) afin de :
exonérer d’impôt sur le revenu les pensions alimentaires reçues pour un enfant mineur,
dans la limite de 4 000 € par enfant,
avec un plafond global de 12 000 € par an par foyer bénéficiaire.
En parallèle, ils précisent que le parent verseur ne peut déduire de son revenu imposable que la fraction excédant ce plafond, sauf si l’enfant est déjà pris en compte dans son quotient familial.
Enfin, les deux textes prévoient une compensation budgétaire par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
Les différences entre la version 2024 et la version 2025
Agrandissement : Illustration 2
👉 En résumé : la seule différence notable est l’ajout en 2025 d’une mesure compensatrice pour le parent verseur, lui permettant de choisir d’intégrer les enfants dans son quotient familial.
C’est cette nouveauté qui a conduit Philippe Brun à déclarer en commission :
« Le texte prévoit un certain nombre de garde-fous. Il y aurait d’un côté une défiscalisation […] et de l’autre, pour le parent verseur, une fiscalisation, mais ce dernier gagnerait une demi-part fiscale par enfant. »
Ce que dit (et ne dit pas) l’amendement sur la « demi-part »
La formulation de M. Brun semble être une simplification :
Le texte n’indique pas explicitement « une demi-part par enfant ».
Il prévoit seulement la possibilité d’intégrer l’enfant au quotient familial.
Dans les faits, cela peut se traduire par l’octroi d’une demi-part fiscale par enfant dans la majorité des cas, mais selon les règles générales du quotient familial (plafonnement de l’avantage, cas particuliers des parents isolés, etc.).
Cette précision reste donc techniquement exacte dans l’esprit, mais pas dans la lettre de l’amendement.
Position du collectif Défendre les enfants
Le collectif demande la réalisation d’une véritable étude d’impact avant toute adoption définitive de la mesure.
Il est essentiel de vérifier, à l’aide de simulations fiscales concrètes, que le parent verseur ne se voit pas infliger une « double peine » :
d’un côté, une fiscalisation accrue de ses revenus du fait de la non-déductibilité d’une partie des pensions,
de l’autre, un avantage fiscal incertain lié au quotient familial, dont l’effet réel dépendra de nombreux paramètres (revenus, garde, situation du foyer, plafonnement des parts, etc.).
Sans cette évaluation rigoureuse, le risque est réel que la réforme, pensée pour être équilibrée, désavantage paradoxalement les parents qui contribuent déjà le plus au financement des enfants.
Par ailleurs, le collectif s’étonne que M. Philippe Brun ne se soit pas positionné sur la proposition de loi n° 819 relative à la Résidence alternée, pourtant au cœur des enjeux d’égalité parentale.
🔗 Proposition de loi n° 819 sur la Résidence alternée :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0819_proposition-loi
De plus il parait nécessaire de chiffrer le surcoût des prestations sociales (CAF et aides associés : bourses notamment) suite à ce commentaire du député Philippe BRUN mentionnant le retrait du montant de la pension alimentaire du revenu fiscal de référence pour les prestations sociales :
Rappel des mobilisations citoyennes
En 2024, deux pétitions ont témoigné de la polarisation du débat autour de la fiscalité des pensions alimentaires :
🟩 Les POUR :
« Défiscalisons les pensions alimentaires versées aux mères »
https://www.mesopinions.com/petition/justice/defiscalisons-pensions-alimentaires-versees-aux-meres/243316
🟥 Les CONTRE :
« Pétition contre la nouvelle fiscalité des pensions alimentaires »
https://www.mesopinions.com/petition/politique/petition-contre-nouvelle-fiscalite-pensions-alimentaires/235638/
Ces deux mouvements traduisent bien les enjeux sociétaux et symboliques de cette réforme :
équilibre financier entre parents séparés, reconnaissance du rôle de chacun dans l’éducation des enfants, et besoin d’une réforme plus globale de la fiscalité familiale.
Conclusion
L’amendement de Philippe Brun sur la défiscalisation partielle des pensions alimentaires constitue une évolution pragmatique, mais il nécessite des simulations approfondies pour en mesurer les effets réels.
Le passage de la version 2024 à 2025 marque une amélioration, mais le dispositif reste fragile sans étude d’impact transparente.
Le collectif Défendre les enfants rappelle enfin que la véritable équité entre parents séparés ne peut être atteinte sans repenser globalement la fiscalité, la garde et les droits des enfants.
-- En bonus, retrouvez ci-dessous les échanges lors du débat de 2024 ainsi qu'un tableau de simulation de nouvelles impositions --
Le fichier EXCEL : simu fisc V2
Cf. Compte rendu de la première séance du mercredi 23 octobre 2024 - Assemblée nationale
M. Philippe Brun
Cet amendement, qui nous paraît essentiel, propose de défiscaliser la pension alimentaire au bénéfice du parent qui la reçoit. Nous défendons cette mesure depuis plusieurs années. Déjà en 2022, à l’initiative d’Aude Luquet, nous avions discuté et adopté, à la quasi-unanimité, une proposition de loi visant à défiscaliser les pensions alimentaires – elle dort depuis dans les caves du Sénat. Nous proposons de reprendre ses dispositions dans ce projet de loi de finances.
La pension alimentaire, contribution à l’entretien de l’enfant, n’est pas un revenu. Elle est censée couvrir des dépenses et résulte d’une décision de justice fixant un montant qui ne saurait faire l’objet de déductions et de réductions par l’application d’un barème des impôts.
La défiscalisation des pensions alimentaires contribuerait à la baisse de la précarité parmi les familles monoparentales ; 40 % des enfants, au sein de ces familles, vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Cela permettrait également de faire œuvre de justice, car il est inacceptable de payer des impôts sur des frais résultant d’une décision de justice et qui doivent contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Nous espérons que l’amendement sera largement adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 2045.
Mme Cyrielle Chatelain
Aujourd’hui, en France, un foyer sur quatre ne compte qu’un seul parent : dans 82 % des cas, ce sont des mères seules, avec leurs enfants, le plus souvent à la suite d’un divorce ou d’une séparation. Aujourd’hui, ces mères assument les principales charges liées aux enfants : la charge affective, la charge mentale, la charge pratique et la charge financière. Le montant moyen de la pension alimentaire que reçoivent ces mères est de 190 euros par mois et par enfant, alors que leurs dépenses mensuelles s’élèvent en moyenne à 750 euros par enfant. Leur investissement important n’est pas seulement affectif, il est aussi financier.
Aujourd’hui, les mères paient des impôts sur ces 190 euros qui leur sont versés, alors que c’est une somme normalement due par un père pour s’occuper de son enfant et contribuer aux charges de son éducation. La défiscalisation de la pension alimentaire contribuerait à soutenir ces mères seules avec leurs enfants qui, dans 32 % des cas, vivent sous le seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme Danielle Simonnet
C’est un amendement essentiel !
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Brun, pour soutenir l’amendement no 2605.
M. Philippe Brun
Cet amendement de repli tend à fixer un plafond à la défiscalisation. Il s’agit de ne pas créer une niche fiscale pour des foyers percevant des pensions alimentaires très élevées.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Charles de Courson, rapporteur général
Actuellement, le parent qui verse la pension alimentaire peut la déduire de ses revenus, dans la limite de 6 500 euros par an – un peu plus de 500 euros par mois. Pour le parent qui la perçoit, la pension alimentaire constitue un revenu régulier : elle est donc imposable. Le montant moyen de la pension alimentaire se situe entre 180 et 200 euros par enfant – il est en général fixé en fonction des revenus du père, plus rarement de ceux de la mère.
Cette situation est-elle inéquitable ? L’amendement no 770 prévoit que le parent qui verse la pension ne pourra déduire que la moitié de son montant, ce qui est un peu bizarre. Il vise également à exclure le montant de la pension du calcul de l’impôt sur le revenu de la personne qui la perçoit.
L’adoption de cet amendement créerait une rupture d’égalité avec les personnes qui ont eu des enfants seules ou avec les personnes qui élèvent leurs enfants alors qu’elles sont veuves – elles ne reçoivent pas une telle pension. Le traitement que vous proposez n’est donc pas cohérent. La commission s’est déclarée défavorable à votre amendement et, à titre personnel, je le suis également.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Je partage l’avis du rapporteur général : cet amendement introduit un risque de rupture d’égalité.
Mme Danielle Simonnet
Au contraire, nous recherchons l’égalité réelle !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
La pension constitue un revenu à déclarer, mais celui qui la reçoit bénéficie du quotient familial et se voit attribuer des demi-parts en fonction du nombre d’enfants – je rappelle qu’une demi-part est attribuée aux parents isolés dès le premier enfant. De son côté, la personne qui la verse peut en déduire le montant de ses revenus. C’est ainsi que le système fonctionne.
Si la pension devait être défiscalisée, il faudrait organiser entre les parents le partage des demi-parts, ce qui me paraît compliqué. J’admets que les situations ne sont pas identiques entre les deux parents, mais le quotient familial est là pour atténuer ces disparités.
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Je pense, pour ma part, que ce système est profondément inégalitaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Il repose sur l’idée que c’est aux femmes, toujours aux femmes, de s’occuper de leurs enfants et de s’en occuper seules.
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Cela n’a aucun rapport !
Mme Cyrielle Chatelain
Il repose sur l’idée qu’un père qui verse un peu d’argent à la femme qui s’occupe de ses enfants peut défiscaliser cette somme. C’est absolument injuste !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Je ne vois toujours pas le rapport.
Mme Cyrielle Chatelain
Comme on l’a dit, la charge d’un enfant est estimée à 750 euros par mois et le montant moyen de la pension alimentaire atteint 190 euros. En d’autres termes, une mère séparée prélève chaque mois 560 euros de son budget pour s’occuper de son enfant. Elle tire cette somme de son revenu, sans possibilité de défiscalisation.
Qu’une mère assume seule cette charge me semble très injuste et nous devons corriger cette situation.
M. Thibault Bazin
Elle se trompe de sujet ! Ça n’a rien à voir avec l’amendement !
Mme Cyrielle Chatelain
Vous nous parlez de défiscalisation, mais que dire de toutes ces femmes qui vivent sous le seuil de pauvreté ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre
La pension n’est pas liée au sexe !
Mme Cyrielle Chatelain
Bien sûr que si, et mon propos est cohérent avec l’amendement que je défends. Il pose la question de l’égalité de traitement, de la reconnaissance du travail de ces femmes, de leur charge. Demandez-leur qui prend rendez-vous chez le médecin, qui achète les habits, qui remplit les cartables de crayons, de feutres et de feuilles ! Aujourd’hui, ce sont ces mères célibataires, seules avec leurs enfants ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Si vous voulez faire un geste en faveur de l’égalité, acceptez cet amendement. Beaucoup de ces femmes ne paient même pas l’impôt sur le revenu !
M. Thibault Bazin
Elle raconte n’importe quoi !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Ça n’a rien à voir !
Mme Cyrielle Chatelain
Au contraire, ça a tout à voir ! Si vous voulez contribuer à l’égalité entre les hommes et les femmes, votez cet amendement ! Il faut accepter de corriger ce qui doit l’être, même lorsque cela perturbe vos habitudes. (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre
C’est navrant de démagogie.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve
Je comprends la motivation de cet amendement, mais l’impôt sur le revenu est très bien conçu, puisqu’il est par définition progressif. Vous avez raison, beaucoup de femmes vivent sous le seuil de pauvreté, raison pour laquelle elles ne paient pas d’impôt sur le revenu. Cette contribution ne les concerne pas.
En revanche, pourquoi ne pas assujettir à l’impôt la pension alimentaire perçue par une femme dont les revenus sont importants ? C’est bien votre demande qui est injuste !
Ce que vous ne voulez pas voir, c’est que la grande progressivité de l’impôt sur le revenu permet d’éviter que ne surviennent des cas tels que ceux que vous évoquez.
Mme Cyrielle Chatelain
Encore un homme pour nous expliquer comment ça marche ! (Exclamations sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, HOR et UDR.)
M. Thibault Bazin
Buvez un peu de tisane madame !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Madame Chatelain, je ne nie pas du tout la véracité de vos propos et il est nécessaire de mener le combat contre les inégalités que vous pointez. Je me permets seulement de répondre à votre amendement, qui vise à introduire une mesure fiscale sans lien avec le sexe, le genre, le statut de père ou celui de mère.
Mme Danielle Simonnet
Si, ce sont les femmes qui subissent ces inégalités !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Peut-on éviter de mélanger des faits de société, des faits statistiques, à des problèmes de fiscalité ? En l’occurrence, ce problème se pose autant lorsque la pension est versée par un homme que lorsqu’elle l’est par une femme !
Mme Danielle Simonnet
Mais justement, ce sont en grande majorité les hommes qui versent des pensions alimentaires !
M. Peio Dufau
Ces problèmes sont liés !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Non, ils ne le sont pas ! Modifier le régime fiscal pour que les pensions soient défiscalisées – en contrepartie de la non-prise en compte de la demi-part fiscale –, pourquoi pas, nous pouvons en débattre. Cette modification s’appliquerait aussi bien aux hommes qu’aux femmes qui versent une pension alimentaire – quel que soit le genre, le mécanisme reste le même.
Votre propos laisse accroire que le régime fiscal aggrave les inégalités entre hommes et femmes quand il s’agit de prendre les enfants à sa charge.
Mme Danielle Simonnet
Oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Je ne suis pas d’accord avec votre analyse. La familialisation de l’imposition, avec l’attribution d’une demi-part, impose de déclarer la pension. On peut être contre ce principe, mais il est faux de dire qu’il est lié aux inégalités entre femmes et hommes.
Mme Cyrielle Chatelain
En somme, vous dites aux pères qu’ils ne devraient pas donner l’argent qu’ils doivent !
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Charles de Courson, rapporteur général
Sachez que les pensions alimentaires peuvent être très élevées.
Mme Elsa Faucillon
Eh oui, les enfants coûtent cher !
M. Charles de Courson, rapporteur général
Trouveriez-vous normal qu’une pension alimentaire mensuelle de 3 000 euros ne soit pas fiscalisée ? Votre amendement ne prévoit aucun plafond, alors qu’il arrive que des divorces débouchent sur le versement de pensions supérieures à 3 000 euros par mois ! (Mme Cyrielle Chatelain s’exclame.)
Madame Chatelain, pouvez-vous m’écouter deux minutes ?
Mme Cyrielle Chatelain
C’est difficile !
M. Charles de Courson, rapporteur général
Tel qu’il est rédigé, votre amendement ne prévoit pas de plafond.
M. Philippe Brun
L’amendement no 2605 prévoit une limite de 12 000 euros par an.
M. Charles de Courson, rapporteur général
En réalité, votre amendement est conçu pour les foyers très aisés car les gens modestes ne sont pas imposables. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme Cyrielle Chatelain
Mon amendement est plafonné, monsieur le rapporteur !
M. Charles de Courson, rapporteur général
Deuxième remarque : le parent qui verse la pension peut la déduire du montant de ses revenus, dans la limite de 6 500 euros par an. Même ceux qui doivent verser 3 000 euros par mois – et ils existent – ne pourront déduire de leurs revenus que 500 euros par mois. Je suis donc contre ces amendements.
Mme Sabrina Sebaihi
Vous n’aimez pas les enfants ! (Sourires.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 770.
(Le vote à main levée n’ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 129
Nombre de suffrages exprimés 96
Majorité absolue 49
Pour l’adoption 50
Contre 46
(L’amendement no 770 est adopté ; en conséquence, les amendements nos 2045 et 2605 tombent.)
(Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent.)
-- En bonus, retrouvez ci-dessous les échanges lors du débat de 2025 --
Cf. Compte rendu de la première séance du samedi 25 octobre 2025 - Assemblée nationale
Mme la présidente
Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 569, 2088, 1622, 258, 2025 et 3478, pouvant être soumis à une discussion commune.
L’amendement no 569 de Mme Christelle D’Intorni est défendu.
La parole est à Mme Sarah Legrain, pour soutenir l’amendement no 2088.
Mme Sarah Legrain
Cette série d’amendements porte sur le coût de la séparation et je veux vous parler des mères isolées, ces femmes qui ont la garde exclusive ou principale de leur enfant et qui, de ce fait, sont particulièrement exposées à la précarité. Les chiffres sont alarmants : 41 % des enfants de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, contre 21 % pour l’ensemble des enfants. Les mères isolées exposées à la précarité ne demandent ni la charité ni la pitié. Elles s’organisent partout dans le pays pour demander une chose simple : la justice et l’égalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
La pension alimentaire est l’un des dispositifs dans lesquels se niche une forte injustice pour les femmes. Il ne s’agit ni d’une pension ni d’une rente, mais d’une contribution à l’éducation et à l’entretien des enfants. Avec cet argent, les mères subviennent aux besoins de leurs enfants, et je passe sur le fait qu’il est souvent insuffisant pour faire face au coût réel d’un enfant. Elles ne le touchent pas pour elles ou pour faire du shopping.
M. Pierre Cordier
Vous ne savez pas ce qu’elles font avec ! Est-ce qu’on contrôle les dépenses ?
Mme Sarah Legrain
Or cet argent-là est défiscalisé pour le débiteur – dans l’immense majorité des cas, l’homme, le père – et fiscalisé pour la mère. Celle-ci paie des impôts sur cette prestation comme si c’était un revenu qu’elle avait perçu – comme si c’était un chèque-cadeau offert par son ancien conjoint. Ce dernier, qui lui a laissé la garde et l’entretien de l’enfant – qui représentent beaucoup de temps, d’énergie et d’argent –, est simplement en train d’assumer un tout petit peu sa responsabilité de père, en subvenant un petit peu aux besoins de son enfant.
Cette réalité, profondément injuste, pèse lourdement sur ces mères. Il y aurait bien des choses à dire sur toutes celles qui ne paient pas d’impôt, qui ne perçoivent pas de pension alimentaire et qui touchent une allocation de soutien familial (ASF) au montant très faible. Il faut absolument défiscaliser les pensions alimentaires. Ce serait un premier pas… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe LFI-NFP applaudissent cette dernière.)
Mme la présidente
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire, sur l’amendement no 2088 ; par le groupe Socialistes et apparentés, sur l’amendement no 258 ; par le groupe Écologiste et social, sur les amendements no 2025 et 3478.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain, pour soutenir l’amendement no 1622.
Mme Marie-Pierre Rixain
Je salue les deux millions de familles monoparentales qui sont, pour 82 % d’entre elles, représentées par des mamans solos. Conjuguant parfois l’éducation de leurs enfants avec une vie professionnelle, elles tiennent à bout de bras leur vie et celle de leurs enfants. Il est de notre responsabilité de les accompagner et de les soutenir au lieu de leur envoyer un message de stigmatisation. De nombreux travaux ont été engagés à l’Assemblée nationale par des députés de différents groupes parlementaires. Le moment est venu, en révisant le régime fiscal des pensions alimentaires, de leur montrer que nous les soutenons !
Cela a été souligné, la pension alimentaire n’est pas un revenu mais une contribution. Elle ne représente que 18 % des revenus des mamans solos. Nombre d’entre elles doivent compenser ce manque et s’appauvrissent parce qu’elles subviennent seules aux besoins de leurs enfants. Au lieu de les stigmatiser et de leur envoyer le message que nous ne les comprenons pas, il est temps de leur dire que nous sommes là, que nous les soutenons et que nous les accompagnons – cette mesure est très attendue par les mamans solos.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez, pour soutenir l’amendement no 258.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Il vise à rétablir une forme de justice fiscale entre les parents qui gardent et éduquent leurs enfants et ceux qui n’ont pas la garde de leurs enfants mais qui contribuent à leur éducation. Dans le système actuel, les parents en couple qui assument à deux la charge de leurs enfants bénéficient seulement d’une demi-part fiscale. Dans le cas des couples séparés, le parent qui a la garde de l’enfant reçoit une pension alimentaire comme contribution à son entretien et à son éducation.
Cette contribution, plutôt que d’être considérée comme la prise en charge de frais liés à l’éducation des enfants, est considérée comme un revenu imposable. Mes collègues Marie-Pierre Rixain et Sarah Legrain l’ont souligné, du fait de cette disposition, des femmes – puisque ce sont majoritairement des femmes – doivent payer des impôts et deviennent inéligibles à certaines prestations sociales parce qu’elles doivent déclarer ces sommes dans leur revenu imposable. Dans le même temps, le parent qui n’a pas la garde, en grande majorité le père, bénéficie au contraire d’un avantage fiscal.
Cet amendement vise à rétablir une forme d’égalité en retirant du revenu imposable des parents gardiens le montant de la pension alimentaire et en retirant au parent qui n’a pas la garde de l’enfant l’avantage fiscal dont il bénéficie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Danielle Simonnet applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 2025.
Mme Cyrielle Chatelain
Je défends en même temps l’amendement no 3478.
Ces amendements transpartisans ont été adoptés par notre assemblée l’année dernière, mais n’ont pas été retenus dans la copie finale du projet de loi de finances, adopté par 49.3. Ces dispositions ont également été adoptées dans le cadre de propositions de loi. Cette année, il faut que notre vote soit respecté !
Il existe aujourd’hui une double inégalité pour les parents qui élèvent seuls leurs enfants – dans 97 % des cas, les mères. Première inégalité, ces mères portent seules la charge mentale, mais aussi financière, de leurs enfants. En moyenne, un enfant coûte environ 750 euros par mois à ses parents pour l’habiller, le chauffer et lui proposer des activités sportives. Le montant moyen d’une pension alimentaire est de 190 euros. L’engagement financier des parents solos est donc important.
Deuxième inégalité, le montant des pensions alimentaires entre dans le calcul de leur revenu imposable et de leur quotient familial, lequel détermine le tarif des cantines. Il faut absolument remédier à cette inégalité.
L’année dernière, il avait été relevé qu’une telle disposition bénéficierait majoritairement à des familles aisées. Même si nous pensons qu’il serait juste qu’elle s’applique à tous, nous avons tenu compte de cette observation. Nous proposons donc de limiter le montant non soumis à l’impôt à 4 000 euros par enfant et à 12 000 euros par an.
Cet amendement très raisonnable vise à inscrire dans le projet de loi de finances ce principe d’égalité et à traduire l’idée que la pension alimentaire n’est pas un dû à la mère mais la juste contribution du père à l’éducation de ses enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
L’amendement no 3478 de Mme Cyrielle Chatelain a été défendu.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
M. Philippe Juvin, rapporteur général
Ils ont en commun de permettre à la mère de défiscaliser la pension qu’elle reçoit. Ce qui les distingue est la façon dont ils traitent le payeur. Certains proposent de supprimer la défiscalisation dont il bénéficie aujourd’hui. Un autre propose que le père, puisque c’est le plus souvent lui le payeur, paye des impôts sur la pension.
La commission a émis un avis défavorable sur tous ces amendements. À titre personnel, je voterai pour l’amendement no 569 de Mme D’Intorni, qui maintient la défiscalisation du payeur et permet au receveur de défiscaliser également.
Je rappelle que seuls 20 % des ménages qui reçoivent une pension alimentaire sont soumis à l’impôt sur le revenu. Ces mesures auraient donc assez peu d’impact et seraient même, d’une certaine manière, antiredistributive. Je rappelle également que les divorces se traduisent certes par une diminuation du pouvoir d’achat, mais que le parent qui a la garde de l’enfant bénéficie d’un abattement de 10 % sur le montant de la pension et d’une demi-part supplémentaire.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Ce débat est compliqué car il mêle fiscalité et politique de soutien à l’égard des femmes, en particulier celles qui élèvent seules leurs enfants. À ce titre, je rappelle que notre fiscalité concède une demi-part supplémentaire à tous les foyers dont le parent est dit isolé. Une personne qui élève son enfant seule bénéficie donc d’une part et demie. Cette demi-part peut d’ailleurs être fractionnée en cas de garde alternée. C’est un puissant outil pour prendre en compte les surcoûts liés à l’éducation d’un enfant par un seul parent.
Par ailleurs, notre système social propose de nombreuses bonifications et un certain nombre de prestations pour accompagner les femmes seules. Je pense notamment au complément de libre choix du mode de garde (CMG). Vous avez été nombreux à défendre l’extension de son bénéfice aux familles monoparentales dont l’enfant a jusqu’à 12 ans, contre 6 ans aujourd’hui. Je pense aussi à la bonification de 30 % du montant du CMG pour le parent qui élève seul son enfant ou encore à la majoration du RSA pour les parents isolés.
Ces amendements me posent une difficulté : défiscaliser le donneur et le récipiendaire conduirait à voir circuler dans le pays des revenus non soumis à l’impôt, ce qui est contradictoire et contre-productif car cela incite à l’optimisation. Il est dangereux de créer un système qui distribue des revenus sans aucune fiscalité.
Par ailleurs, en maintenant la fiscalisation du donateur tout en défiscalisant le récipiendaire, on crée des situations qui posent question. Prenons l’exemple d’un monsieur qui a des revenus élevés – je simplifie, n’y voyez aucune malice !
M. René Pilato
Non, ce n’est pas du tout votre genre ! (Sourires.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Si son ex-épouse dispose de faibles revenus, elle n’est pas imposable et le gain de la défiscalisation est donc nul. En revanche, au cas où son ex-épouse exerce un métier bien rémunéré – disons que son taux marginal d’imposition est de 40 % –, le gain de la défiscalisation, pour le même montant de pension, sera très important.
Nous nous posons tous la question de la justice fiscale. Je comprends et je partage l’intention des auteurs de ces amendements, qui souhaitent apporter des réponses aux difficultés des femmes seules par des mesures fiscales et sociales. Toutefois, ces mesures ne concernent pas les femmes seules aux revenus modestes, qui ne sont pas imposables. Elles favoriseraient en revanche les femmes dont les revenus sont importants.
Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.
Mme la présidente
J’ai reçu un grand nombre de demandes de parole. Je prendrai un orateur par groupe.
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Madame la ministre, il y a un malentendu : la pension alimentaire n’est pas réellement un revenu ; elle représente plutôt un transfert d’un parent à l’autre pour compenser la charge supplémentaire de temps et d’argent incombant au parent qui a la garde de l’enfant ; elle permet aussi que l’enfant bénéficie du même niveau de vie chez le parent 1 et chez le parent 2 – rappelons que les couples homosexuels peuvent également se retrouver en situation de divorce.
La question n’est donc pas la fiscalisation d’un revenu, mais la poursuite de transferts au bénéfice de l’enfant après la séparation des parents. Nous ne devons pas nous interroger sur ce qui bénéficie au père ou à la mère, mais sur ce qui bénéficie à l’enfant, qui a besoin d’argent pour son développement.
Vous nous parlez des parts fiscales, mais, vous le savez, elles concernent uniquement les foyers qui payent l’impôt sur le revenu. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.) Nous vous parlons quant à nous de personnes qui ne paieraient pas d’impôt si la pension alimentaire n’était pas fiscalisée. La question est donc une question d’équité et de justice. (Applaudissement sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Caroline Yadan.
Mme Caroline Yadan
Les créanciers de la pension alimentaire, c’est-à-dire surtout les mères, ont le sentiment d’une véritable injustice. En réalité, le problème est fiscal : on ne peut pas fiscaliser cette somme d’un côté sans défiscaliser de l’autre. Il ne s’agit bien sûr pas de défiscaliser totalement, ce qui risquerait de créer un effet de seuil comme celui dont j’ai parlé à propos de la prestation compensatoire et d’inciter les pères à verser une pension moindre.
Comment faire pour que le père puisse déduire la pension alimentaire de ses impôts et pour que la mère ne se soit pas imposée en cas de franchissement d’une tranche d’imposition, ce qui peut en outre, par effet de seuil, lui faire perdre le bénéfice des allocations familiales ou des tarifs réduits à la cantine ? Je propose qu’à l’instar de certains mécanismes fiscaux dans les entreprises, la pension soit considérée comme une charge et qu’elle puisse, à ce titre, être déduite des impôts à payer. Si un tel mécanisme était envisagé, les mesures proposées par ces différents amendements pourraient être adoptées.
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
C’est une erreur de vouloir légiférer uniquement sur l’aspect fiscal de la question. En effet, il faut tenir compte non seulement des parts, elles-mêmes plafonnées, mais aussi – personne ne l’a évoqué – des éventuelles conséquences sur les prestations sociales, puisque le montant de la pension alimentaire est pris en compte dans la définition du revenu utilisée pour bénéficier de celles-ci.
Un amendement équilibré devrait prendre en compte tous ces aspects pour atteindre l’objectif poursuivi par nos collègues. Je les invite à retirer leurs amendements afin de faire un travail global et d’éviter les erreurs.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Je souhaite répondre à certains arguments qui m’ont semblé fallacieux. Les mesures que nous proposons n’avantagent que les femmes qui touchent des pensions alimentaires et qui sont imposées. Elles ne concernent donc pas les plus précaires. C’est un peu culotté de mettre cela en avant car vous savez très bien ce qu’il faudrait faire pour les plus précaires : augmenter les bas salaires, revaloriser les métiers féminisés et augmenter l’ASF ! M. de Courson a parlé des prestations sociales. C’est l’occasion de dire que le budget de la sécurité sociale qui s’annonce est sanglant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Édouard Bénard applaudit également.)
L’argument selon lequel nos mesures incitent à l’optimisation fiscale est insupportable. On vient aussi de nous dire qu’elles pousseraient les pères à payer une pension alimentaire moindre. L’optimisation est déjà là, mais on nous explique que certains pères ne payent la pension alimentaire que parce qu’ils y sont incités par la défiscalisation ! Je ne suis pas d’accord ! La question de l’entretien de l’enfant ne doit pas être examinée au regard de la possibilité d’optimiser ses impôts.
Je ne suis pas d’accord non plus avec le principe du plafonnement, car je crois en l’universalité de certains principes. Soit la pension alimentaire est une rente pour la femme – un chèque qu’on lui donne – et on peut alors la plafonner pour éviter les effets d’optimisation pour les très hauts revenus, soit c’est une contribution à l’entretien de l’enfant, pour qu’il garde le même niveau de vie (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) et je ne vois alors aucune raison pour plafonner, y compris pour les familles les plus aisées.
Certains se targuent d’être raisonnables : je les invite à l’être vraiment en évitant de faire des trous dans la caisse. Figurez-vous que la mesure que nous proposons est avantageuse pour Bercy ! Si on défiscalise des deux côtés, bien sûr, on y perd. Mais si les pères ne sont plus autorisés à déduire la pension alimentaire, ils payent davantage d’impôts, car ils gagnent plus d’argent. Il est plus avantageux de défiscaliser les mères que de défiscaliser les pères ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Danielle Simonnet applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Brun.
M. Philippe Brun
La commission des finances a adopté ces amendements, comme l’Assemblée nationale l’année dernière, car la pension alimentaire n’est pas un revenu : elle est une contribution essentielle à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et ne saurait donc faire l’objet d’une fiscalisation.
L’objet de ces amendements n’est pas de fiscaliser le père sans aucune contrepartie. Je vous invite à lire l’article 156 du code général des impôts. Comme la défiscalisation de la pension alimentaire ne s’appliquera plus, un régime d’options permettra au parent verseur – le père, dans 92 % des cas – de bénéficier d’une demi-part pour chacun des enfants concernés et de rattacher ses enfants à son foyer fiscal.
Ces amendements sont donc équilibrés : défiscalisation de la pension alimentaire pour le parent qui la reçoit – la mère, dans 92 % des cas –, fiscalisation de la pension pour le parent qui la verse, mais compensée par le rattachement de l’ensemble des enfants au foyer fiscal. Ainsi, la question de la pension alimentaire ne serait plus une question fiscale : il y aurait un échange entre les deux parents qui échapperait à tout contentieux, avec une fiscalisation d’un côté et une défiscalisation de l’autre.
Cette mesure a emporté une majorité de voix l’an dernier dans l’hémicycle et cette année en commission des finances ; elle emportera, je l’espère, une majorité de voix aujourd’hui. Son adoption serait un message fort pour les familles monoparentales de notre pays, composées à 83 % de femmes et dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Guillaume Gouffier Valente applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme Marie-Christine Dalloz
Ce débat est intéressant, mais ceux qui affirment que les familles précaires sont soumises à l’impôt sur le revenu parce qu’elles touchent une pension alimentaire disent n’importe quoi ! Je rappelle que 45 % des ménages payent l’impôt sur le revenu des personnes physiques et que le parent qui a la garde des enfants après une séparation ou un divorce – le plus souvent la mère – bénéficie d’une demi-part fiscale supplémentaire pour chaque enfant.
Le vrai problème, sur lequel vous devriez vous pencher, concerne les pères qui ne payent pas la pension alimentaire. Or la compensation de la caisse d’allocations familiales (CAF) n’est pas au niveau des besoins de l’enfant.
Quand le père paie la pension alimentaire, celle-ci est logiquement déduite de ses revenus imposables. Quant à la mère – ce sont majoritairement les mères qui ont la garde des enfants –, elle bénéficie à la fois de l’abattement sur cette pension et de la demi-part fiscale supplémentaire.
Ces amendements ne vont donc pas changer les choses : en parler, c’est débattre pour débattre. La majorité des mères que je rencontre ne sont pas fiscalement imposables ; leur problème principal, c’est que le père ne paie pas la pension.
M. Nicolas Ray
Exactement !
Mme la présidente
La parole est à M. Raphaël Schellenberger.
M. Raphaël Schellenberger
Hier soir, nous avons longuement discuté de la notion de foyer fiscal, dont un certain nombre de nos collègues souhaitent la disparition. Considérant que l’impôt est davantage attaché à la personne individuelle physique qu’à la façon dont elle organise sa vie de couple, ils demandent que la notion de foyer fiscal soit supprimée et que l’impôt soit dû personnellement par chaque individu.
Ce matin, nous débattons de l’exact inverse : partant du principe que le foyer fiscal doit subsister après la séparation des corps, nous nous posons la question de la répartition des revenus. Je trouve le débat intéressant sur le plan de l’évolution de la société et de la liberté que nous souhaitons pour nos compatriotes, mais il doit faire l’objet d’une réflexion globale. À force de coller des rustines dans tous les sens, nous allons faire des trous dans notre système fiscal, qui, même si certains ne le souhaitent plus, est encore assis sur la notion de foyer fiscal, et lui faire perdre toute cohérence ! (Mme Natalia Pouzyreff applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei
Ces propositions relatives à la pension alimentaire me semblent plus légitimes que celle que nous venons d’adopter, qui concernait la prestation compensatoire. Cela n’a posé de problème à personne de défiscaliser la prestation compensatoire, qui vise à compenser les disparités de mode de vie entraînées par la séparation. La pension alimentaire, elle, est destinée à l’entretien des enfants, ce qui pose une question de fond. Sachant qu’un couple marié ne peut déduire de ses revenus imposables les sommes relatives à l’entretien des enfants, on peut s’interroger sur la pertinence de les défiscaliser lorsqu’elles sont versées par un père séparé.
Je suis sur la même ligne que Philippe Brun : l’époux qui verse la pension doit pouvoir revendiquer une demi-part fiscale supplémentaire ; les parents sont alors traités à peu près comme ils l’auraient été s’ils étaient restés mariés. En tout cas, il est légitime que la pension alimentaire soit défiscalisée pour la mère qui la perçoit : contrairement à la prestation compensatoire, qui vise à compenser une perte de revenus, la pension alimentaire correspond réellement à une charge supplémentaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron
Je suis contre ces propositions, car je trouve le système actuel bien équilibré. Je suis pourtant une femme divorcée, vivant avec un conjoint lui aussi divorcé : nous avons tous les deux versé ou reçu des pensions alimentaires. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Le mécanisme actuel fonctionne dans l’intérêt des enfants. Si le père, qui gagne généralement bien plus que la mère, peut déduire la pension de ses revenus imposables, il donne plus à l’enfant. Les couples divorcés ne sont pas toujours en conflit, la femme n’est pas obligée d’être opposée à son ancien mari. (Nouvelles exclamations.)
Au total, le couple paie moins d’impôts si c’est le père qui déduit la pension alimentaire de ses revenus. En outre, le père donne beaucoup plus d’argent pour ses enfants si la pension est défiscalisée qu’il ne le ferait si elle était imposée à 40 %. Le système avantage donc aussi la femme, qui reçoit une somme bien plus importante que si elle n’était pas déductible des revenus du père. (Mme Ségolène Amiot s’exclame.)
Mme Danielle Simonnet
Merci pour elle, quelle générosité !
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Juvin, rapporteur général
M. Brun a malicieusement affirmé que la commission des finances était favorable à ces amendements. En réalité, la commission a rejeté ceux qui ont été soumis à son vote, à l’exception d’un amendement de M. Brun qui a été adopté en commission mais n’a pas été déposé en séance. L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Le président de la commission nous ayant invités à avancer rapidement, je serai concise. Je rappellerai quelques faits pour éclairer votre vote, et chaque député décidera en conscience.
Premièrement, moins de 20 % des familles monoparentales sont imposables : l’immense majorité d’entre elles ne sont donc pas concernées par ce débat.
Deuxièmement, dans notre système fiscal, avoir la charge d’un enfant ne donne pas droit à une compensation monétaire, mais à des demi-parts ou à des parts supplémentaires. Les parents isolés bénéficient donc automatiquement d’une demi-part supplémentaire, qui peut d’ailleurs être partagée en cas de garde alternée.
Troisièmement, je suis entièrement d’accord avec Mme Dalloz.
Mme Marie-Christine Dalloz
Merci !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’aimerais que nous mettions autant d’énergie à résoudre le problème principal, à savoir le défaut de paiement des pensions alimentaires, que nous en mettons à débattre de ces amendements. En 2021, d’après les données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), un quart des parents dits non gardiens qui étaient solvables ne payaient pas la pension alimentaire due.
M. Jérôme Guedj
D’où l’Aripa !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Exactement. La députée Christelle Dubos, accompagnée de certains d’entre vous, avait bâti une proposition consensuelle : la création de l’Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (Aripa).
M. Jérôme Guedj
C’est aussi l’œuvre de Najat Vallaud-Belkacem !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
L’Aripa a été renforcée, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, par le versement automatique de la pension lorsqu’il y a une décision exécutoire : ce mécanisme donne à l’État un rôle d’intermédiation et lui permet de récolter les pensions alimentaires impayées. C’est une très bonne mesure qui mérite d’être défendue de manière transpartisane.
Enfin, je tiens à alerter ceux qui ont à cœur de défendre les revenus du travail sur le fait que si nous défiscalisons totalement les pensions alimentaires reçues, nous inciterons très fortement les bénéficiaires à préférer les pensions aux revenus du travail, qui sont fiscalisés. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.) L’effet de cette réforme serait socialement très inégalitaire,…
Mme Sarah Legrain
C’est le système actuel qui est inégalitaire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…car les personnes ayant des compléments de revenu élevés en bénéficieraient bien davantage que les familles de classe moyenne. Je réitère donc mon avis défavorable.
M. Matthias Tavel
Honteux !
Mme Sarah Legrain
C’est incroyable de dire des choses pareilles !
Mme Anna Pic
C’est incroyable !
(L’amendement no 569 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2088.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 314
Nombre de suffrages exprimés 268
Majorité absolue 135
Pour l’adoption 82
Contre 186
(L’amendement no 2088 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 1622 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 258.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 308
Majorité absolue 155
Pour l’adoption 152
Contre 156
(L’amendement no 258 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2025.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 311
Nombre de suffrages exprimés 303
Majorité absolue 152
Pour l’adoption 207
Contre 96
(L’amendement no 2025 est adopté ; en conséquence, l’amendement no 3478 tombe.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Cf. Analyse du scrutin n°3083 - 17e législature - Assemblée nationale
--Mise à jour au 6 novembre 2025--
Le groupe La France Insoumise a programmé dans sa niche parlementaire du 27 novembre une proposition de loi similaire à l'amendement Brun
Cf. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1956_proposition-loi.pdf
Le collectif Défendre les enfants renouvèle se demande d'une étude d'impact.
Sur ce lien retrouvez le mailing adressé à l'ensemble des parlementaires le 6 novembre 2025 : https://defendre-les-enfants.eu/wp-content/uploads/2025/10/Courriel-06-11-2025.pdf