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Billet de blog 6 septembre 2015

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Triste anniversaire du Pogrom d’Istanbul

Il y a soixante ans, l’un des actes les plus honteux de l’histoire de la Turquie contemporaine se préparait : « Septembriana » (Σεπτεμβριανά) pour les Grecs, « 6-7 Eylul Olayları » (les évènements du 6-7 septembre) pour les Turcs. Le Pogrom d’Istanbul restera pour la Turquie contemporaine comme l’une des pages les plus obscures de son histoire.

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Il y a soixante ans, l’un des actes les plus honteux de l’histoire de la Turquie contemporaine se préparait : « Septembriana » (Σεπτεμβριανά) pour les Grecs, « 6-7 Eylul Olayları » (les évènements du 6-7 septembre) pour les Turcs. Le Pogrom d’Istanbul restera pour la Turquie contemporaine comme l’une des pages les plus obscures de son histoire.

Une foule déchaînée, mais organisée, détruit et pille les commerces et les bâtiments appartenant aux Grecs d’Istanbul. Ce sera l’un des derniers épisodes violents d’une politique d’épuration ethnique de plusieurs décennies, ainsi que l’une des dernières vagues du départ des Grecs de Turquie. Ces événements sont également un exemple des plus destructeurs de la désinformation des médias, instrumentalisés par la volonté politique.

Dans la matinée du 6 septembre 1955, la radio turque annonce que le Consulat de Turquie à Salonique—bâtiment hautement symbolique où naquit le fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk en 1881— vient d’être profané par les Grecs. Le quotidien local, Istanbul Ekspres, alors dirigé par le fondateur de l’Agence SIPA à Paris, Gökşin Sipahioğlu, décide de publier la nouvelle dans sa deuxième édition de l’après-midi. La nouvelle se propage en un temps record et soulève une gigantesque vague de protestation. Sous le gouvernement du Parti Démocrate de Adnan Menderes, les services secrets turcs profitent du contentieux entre les communautés grecques et turques sur l’île de Chypre et le mouvement EOKA œuvrant pour la réunification de l’île à la Grèce pour manipuler la foule déchaînée.

Des milliers de Turcs se ruent dans un premier temps vers le vieux quartier de Beyoğlu, où se trouvent des centaines de commerces de Grecs de Turquie, ainsi que d’Arméniens et de Juifs. En l’espace de neuf heures, les magasins, commerces, bâtiments, cimetières, demeures et églises des « non-musulmans » seront saccagés et pillés, leurs marchandises brûlées et saccagées. Le bilan des pertes humaines est de 11 morts selon les Turcs, 15 selon les sources grecques. Presque 200 femmes grecques auraient été violées (60 furent prises en charge à l’Hôpital grec). Selon les chiffres officiels, 5300 bâtiments et commerces sont détruits, 7000 selon les chiffres officieux. Selon les historiens, 40 pour cent de ces biens auraient appartenus à des minorités non-grecques. Le plus grand ravage se fait à Beyoğlu, mais également dans les quartiers de Eminönü, Fatih, Şişli, Beşiktaş, Sarıyer, Kadıköy, Adalar, Üsküdar, Bakırköy où les communautés non-musulmanes se trouvaient en grande majorité. Lors de son inspection des lieux au lendemain du pogrom, on entendra le Président de la République, Celal Bayar dire à haute voix à son Ministre de l’Intérieur, Namık Gedik, « Je pense que nous sommes allés trop loin, Namık... ».

La plus grande conséquence de ce pogrom restera la perte de la quasi totalité de la communauté grecque d’Istanbul. Suite à l’accord « d’échange de population » entre Mustafa Kemal Atatürk et le premier ministre grec Elefterios Venizelos, signé en 1923 et mis en œuvre en 1924-25, la population grecque de Turquie ne comptait plus que 120 000 âmes en 1927, puis 7800 en 1978. Aujourd’hui, il ne reste que 2 500 âmes grecques en Turquie, majoritairement à Istanbul. 

Réalité et désinformation: un cas unique d’exaction médiatique

Il eut suffi d’attendre quelques heures pour apprendre que la nouvelle relayée par la presse turque était issue d’une machination. Le jour même des évènements, la police grecque arrêtera un employé turc du consulat de Salonique, qui avouera avoir agi sur les ordres du Milli Amale Hizmeti (MAH), l’ancêtre du MIT, les services secrets turcs. Avant même que la fausse nouvelle de l’attentat à la bombe se propage en Turquie, les services turcs avaient déjà rassemblé des centaines de vauriens zélés. Transportés la veille par camions ou en car, ils attendaient à la périphérie de la ville pour lancer le pogrom.

Le quotidien local Istanbul Ekspres, qui ne tire quotidiennement que 20-30 000 exemplaires, prépare alors une deuxième édition distribuée à partir de 16h30 à 230 000 exemplaires ! Le jeune rédacteur en chef, Gökşin Sipahioğlu, ne voulant pas « rater un scoop », a décidé de passer la nouvelle à la Une.

Dès 18h00, les attaquants agissent et hurlent des slogans anti-grecs, notamment «  Chypre appartient aux Turcs ! », « Mort à Makarios ! » ; le pogrom durera environ neuf heures. La police locale ne réagit pas, c’est l’armée qui interviendra le lendemain pour mettre fin aux violences tandis que le gouvernement annoncera la loi martiale à Istanbul.

Les dirigeants d’Istanbul Ekspres ne s’en excuseront qu’à moitié, des années après, prétendant avoir été soumis aux pressions des services secrets pour publier la désinformation. Aujourd’hui, la société civile turque commémore ce triste anniversaire avec des conférences, des projections de films présentés et animés par des historiens et chercheurs grecs.

Le problème de la division de l’île de Chypre, qui abrite l’un des derniers murs de l’Europe suite à l’intervention militaire de la Turquie en 1974 reste à résoudre. 

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