L’exécutif turc, dans la suite de son état paranoïaque, s’empare cette fois-ci du domaine artistique. Le Ministère de la culture et du tourisme a interdit la projection (le 12 avril) d’un documentaire sur les combattants kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) lors du 34è Festival International de cinéma d’Istanbul, organisé par la fondation IKSV.
Le Festival d’Istanbul avait débuté le 4 avril et prend fin le 19. La direction du festival a annoncé aujourd’hui que, même si la projection des films sera maintenue, les compétitions officielles (nationale, internationale et documentaire) sont annulées, ainsi que la soirée de palmarès clôturant le plus grand et prestigieux festival du pays.
Les autorités turques prétendent, dans la version officielle de cet acte de censure, que la réglementation de l’exploitation des produits cinématographiques dans le pays requiert un visa d’exploitation délivré par le ministère pour être projetés dans des festivals, même si le film n’est pas programmé pour une distribution nationale.

Le documentaire censuré, Bakur (Nord), signé Çayan Demirel et Ertuğrul Mavioğlu, suit le quotidien dans les camps d’entraînement du PKK sur le sol turc, pour porter la parole des combattants qui expliquent pourquoi ils ont fait le choix de la lutte armée contre l’Etat turc.
La première réaction à cette censure est venue du réalisateur Hacı Orman, qui devait présenter son long-métrage de fiction Homo Politicus, portant sur le génocide des Arméniens. Presque tous les cinéastes de Turquie ont suivi cet appel : de Nuri Bilge Ceylan, Palme d’Or à Cannes en 2014, à ceux qui présentaient leurs premiers courts-métrages, ils ont décidé de se retirer du festival.

La 34è édition du festival avait pourtant osé programmer une section intitulée « Une souffrance centenaire », commémorant ainsi le génocide des Arméniens quelques jours avant le 24 avril, date symbolique du début des massacres de 1915. Le film en langue allemande de Hacı Orman, est une fiction portant sur la rencontre du théologien allemand Johannes Lepsius et Enver Pasha, l'un des trois instigateurs des massacres. On y voit Lepsius qui essaie en vain d’intervenir auprès Comité d'Union et Progrès pour arrêter les massacres des Arméniens, dont il était le témoin. Dans cette même sélection, le documentaire des Français Guillaume Clere et Anna Benjamin, intitulé « L’Héritage du silence », est un documentaire sur les petits-enfants des rescapés du génocide dont les grand-mères et grands-pères ont été islamisés.
La censure étatique des films dans une manifestation artistique de cette ampleur montre à quel point le pouvoir AKP sombre de plus en plus dans une paranoïa, quelques mois avant les élections législatives de juin 2015.