Un mois avant la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens, l’exécutif turc et ses représentants s’ingèrent dans l’espace public de par le monde, prônant un discours négationniste presque décomplexé, par le biais d’interventions souvent forcées dans les événements portant sur les sujets qui (les) fâchent.
Personne n’a été réellement surpris en apprenant, il y a plusieurs mois déjà, que le gouvernement turc tenterait en 2015 d’ombrager le centenaire du génocide des Arméniens en mettant en avant la commémoration du centenaire de la victoire tuque des Dardanelles (Gallipoli). Mené par le Président Recep Tayyip Erdogan, un énorme rassemblement était prévu non pas les 17-18 mars, dates de la bataille historique mais… le 24 avril 2015! Cette décision voulue et programmée a bien évidemment choqué, voire révulsé, bien au-delà des Arméniens. Néanmoins, cette fourberie pris fin sans trop d'effort, puisque les chefs d’Etats des pays impliqués dans la bataille des Dardanelles ont répondu absent à l’appel de M. Erdogan.
Cependant, les porteurs du discours officiel de l’Etat turc ont multiplié leur vigilance, qui vire plutôt à une paranoïa collective. Depuis le début de l’année 2015, ils interviennent dans les débats sur la Turquie, sur le génocide des Arméniens, sur l’histoire de la Turquie, sur la laïcité en Turquie dans des universités françaises, dans des associations françaises et dans d’autres lieux de l’espace public en France pour aller jusqu’à contrôler la composition des intervenants. Et ce, pour ne citer que les exemples en France.
En Turquie, les 19-21 mars à Istanbul se tenaient une exposition « Les archives de la première guerre mondiale en son siècle » et un congrès « Congrès mondial des dirigeants d’archives ». Le discours d’inauguration de M. Erdogan, publié sur le site officiel de la Présidence turque, ne laisse aucune nécessité de commentaire... La seule modification qu'il apporte au discours négationniste habituel, où l'on parlait des Turcs massacrés par des Arméniens, Erdogan persiste à utiliser l'expression "les Musulmans tués", sans prononcer le mot "Turc".

Vous trouverez ci-dessous la partie concernant les Arméniens que nous avons traduit en français.
« Chers amis,
Alors que nous célébrons en cette année 2015 le centenaire de nos combats vaillants, de nos glorieuses victoires, d’autres veulent la transformer en drapeau de l’hostilité et de la haine contre la Turquie.
De par le monde, la diaspora arménienne entreprend d’injecter l’hostilité contre la Turquie à travers des campagnes fondées sur des allégations de génocide. Je voudrais préciser que le but de ces campagnes, plutôt que d’empêcher que la souffrance des Arméniens vécue à un certain moment de l’histoire tombe dans l’oubli, est un acte d’hostilité visant directement notre pays et notre peuple.
Depuis le début, nous avons gardé une position fondée sur des bons principes, cohérente et honnête. Que disons-nous ? Ceci : Il se peut qu’il y ai eu des souffrances, des tragédies vécues lors de la grande guerre, comme il y en a eu dans toutes les périodes de l’histoire. Mais les Arméniens ne sont pas les seuls à avoir souffert. Les plus grands massacres des Musulmans ont eu lieu à la même époque dans les Balkans, dans le Caucase. En Anatolie, tout autant que les Arméniens eux-mêmes, des centaines de milliers de Musulmans ont souffert à cause des Arméniens. Ceci est inscrit dans les documents (NDLT : d’archives).
Cette question ne doit pas être instrumentalisée par la politique quotidienne, et encore moins par la politique internationale. Moi je l’ai toujours affirmé, je l’affirme aujourd’hui et je le ferai demain : Vous, diaspora arménienne, vous dirigeants d’Arménie. Venez, nos archives, nos documents sont là. Nous avons des centaines de milliers, voire plus d’un million de documents déjà répertoriés. Combien en avez-vous, montrez-les. Nous demanderons aux historiens, aux responsables d’archives, aux politologues, et même aux archéologues, aux juristes de faire travailler dessus. Qu’ils viennent travailler sur ces documents, tout est au grand jour, cherchons la vérité ici.
Vous ne tirerez aucun profit des campagnes visant la Turquie, en recourant à des moyens immoraux, notamment en payant ou créant des lobbys dans divers pays. Vous n’arriverez pas à trouver la vérité, dont nous avons tous besoin, en faisant voter des lois contre la Turquie dans les divers parlements ou sénats, en faisant publier des articles ou des émissions dans leurs médias. Nous savons très bien comment cela se fait. Nous savons très bien comment sont menées ces campagnes.
La vérité doit être poursuivie dans ces archives-là (NDLT : les archives turques). Mais personne n’a répondu présent à cet appel jusqu’ici. Nous avons proposé de passer par des pays tiers, pour faire des recherches là-bas ; pas de réponses affirmatives. Nous avons déjà annoncé que nous étions même prêts à rendre publiques les archives de notre armée. Personne n’a répondu à l’appel. Nous avons proposé de créer une commission mixte d’historiens, de scientifiques, pour qu’ils travaillent ensemble ici et dans les archives d’autres pays. Qu’ils puissent rassembler tous les documents et données pour faire connaître la vraie photographie (NDLT : des événements).
On s’obstine à ignorer notre proposition. Pourquoi ? Parce que le but n’est pas de trouver la vérité. C’est au contraire de s’en prendre à la Turquie, de nuire à la Turquie à partir de cette perception fabriquée. Rien d’autre. Désolé, mais nous n’avons de compte à rendre à personne sur le sujet. Si nous cherchions simplement la vérité en ce qui concerne les souffrances que notre peuple a subit ces dernières 100-150 années, nous aurions dix fois plus de choses à dire que les allégations arméniennes, voire dix fois plus de compte à demander, je vous le dis sincèrement ».
Pour retrouver le discours intégral en turc :
Et pour le programme du "Congrès":
http://www.devletarsivleri.gov.tr/assets/content/HaberDuyurular/bilimsel_program.pdf