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Billet de blog 12 mars 2025

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Manifeste pour un nouvel humanisme politique

« Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » — Albert Camus

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Manifeste pour un nouvel humanisme politique

« Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » — Albert Camus

Il est un fait que nous avons laissé l’économie devenir l’alpha et l’oméga de nos existences. Ce fut d’abord un glissement insidieux, puis une évidence proclamée : l’organisation sociale devait obéir aux lois du marché, les individus n’être que des rouages d’une machine productive, et la réussite se mesurer en chiffres. Ce n’était plus la politique qui dictait le destin des peuples, mais les indices boursiers, les agences de notation, la sacro-sainte « compétitivité ».

Sous le joug d’un système marchand hégémonique, nous avons oublié que l’histoire humaine ne s’est jamais résumée à un simple calcul d’efficience. Ce n’est pas l’optimisation des profits qui a façonné les civilisations, mais le courage des révolutions, la beauté des grandes œuvres, la quête de justice et de vérité. « Ce n’est pas la richesse qui fait le bonheur, mais l’honneur », disait Jean Jaurès, rappelant que la grandeur d’un peuple se mesure à la noblesse de ses idéaux et non à la courbe de son PIB.

Mais nous avons laissé ces idéaux être relégués au rang de nostalgies. La solidarité est devenue une charge, la culture un divertissement, la dignité une variable d’ajustement. La morale, l’éthique, la responsabilité collective ont été dissoutes dans un seul impératif : l’efficacité. « Le capitalisme est le premier système économique à sacraliser l’absence de limites », écrivait Karl Polanyi. Et le prix de cette transgression fut immense : esclavage, exploitation illimitée des ressources humaines et naturelles, colonisation, guerres, domination sociale. Aujourd’hui encore, l’ordre économique dominant produit des inégalités vertigineuses, détruit la planète et sape les fondements mêmes de la démocratie.

Un divorce entre les peuples et leurs élites

Malgré tout, l’humanité résiste. Les peuples, eux, continuent de se reconnaître dans ce qui fait le sel de l’existence : l’amitié, l’amour, la transmission, l’engagement, l’entraide. Ils refusent, instinctivement, qu’on leur impose un monde où tout s’achète et se vend. C’est là, dans cette contradiction fondamentale, que réside le grand divorce de notre temps : entre des citoyens qui aspirent à une vie digne et un système politique qui, sous prétexte de réalisme, n’offre qu’un management des masses.

Le rôle de la gauche ne peut être de simplement atténuer cette violence en humanisant l’ordre néolibéral. Elle ne peut être ce supplément d’âme que l’on accorde à une machine infernale pour en adoucir les effets. Si elle abdique devant la logique du marché-roi, si elle se contente de redistribuer les miettes d’un festin confisqué, elle ne sera plus qu’un avatar de la droite, un correctif, jamais une alternative.

Non, elle doit porter un autre récit. Un récit où la politique n’est pas soumise à l’économie mais la précède et la guide. Où le travail n’est pas un simple outil d’enrichissement individuel mais une contribution au bien commun. Où l’innovation ne sert pas la spéculation mais l’émancipation. Où la valeur d’un être humain ne se mesure ni à son salaire, ni à son patrimoine, mais à la manière dont il enrichit, par sa présence et ses actes, la communauté des vivants.

Remettre l’économie à sa place

« L’économie est là pour être au service des hommes, et non les hommes au service de l’économie », rappelait François Mauriac. Mais depuis quarante ans, nous avons inversé cette évidence. Il ne s’agit pas de nier l’économie — ce serait une absurdité — mais de lui redonner sa juste place : celle d’un outil, et non d’une finalité.

Cela signifie :

• Réinvestir massivement dans l’éducation et la culture, non comme des marchés, mais comme des sanctuaires de l’esprit libre.

• Reconnaître le soin, l’attention à l’autre, la gratuité et l’engagement comme des piliers d’une société véritablement humaine.

• Cesser de traiter la nature comme un stock de ressources et la voir pour ce qu’elle est : la condition même de notre existence.

• Démocratiser radicalement nos institutions, pour redonner aux citoyens le contrôle de leur destin et ne plus abandonner leur souveraineté aux oligarchies économiques.

La gauche ne peut plus s’accommoder de l’idéologie du profit généralisé. Elle doit redevenir cette force qui, selon Simone Weil, « incarne dans la cité le refus du mensonge ». Cela signifie parler un langage de vérité, assumer un clivage, refuser le mirage du compromis perpétuel avec un modèle qui nie l’humain au profit du chiffre.

Une méthode pour bâtir ce nouvel humanisme politique

Changer de paradigme ne se décrète pas. Il ne suffit pas d’avoir raison, encore faut-il construire un rapport de force, donner corps à un nouvel imaginaire collectif et expérimenter des alternatives. Pour cela, il faut une stratégie en plusieurs dimensions :

1. Une mobilisation de la société civile et des citoyens

• Relancer les luttes sociales et écologiques sur le terrain.

• Réactiver des espaces de débat populaire pour reconstruire une culture politique vivante.

• Développer des initiatives citoyennes qui expérimentent un autre modèle de vivre-ensemble.

2. Un engagement des intellectuels et des artistes

• Redonner à la pensée critique un rôle central dans le débat public.

• Développer un récit mobilisateur, ancré dans la culture et les mythes collectifs.

• Encourager la création artistique engagée qui ouvre l’imaginaire vers d’autres possibles.

3. Un combat médiatique sans relâche

• Développer des médias indépendants pour contrer la domination idéologique des grands groupes privés.

• Former à la lecture critique de l’information pour lutter contre la manipulation et la désinformation.

• Faire émerger des voix nouvelles capables de porter un contre-discours puissant.

4. Des expériences locales pour construire des alternatives concrètes

• Soutenir et multiplier les initiatives de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).

• Développer des communes expérimentales, des zones autonomes où l’on teste une autre organisation sociale.

• Soutenir les coopératives, les circuits courts, et les monnaies locales pour réinventer la production et l’échange.

5. Faire émerger de nouvelles forces politiques

• Encourager des partis et mouvements réellement ancrés dans les luttes sociales et écologiques.

• Bâtir des alliances larges, au-delà des vieux clivages institutionnels.

• Expérimenter de nouvelles formes de démocratie directe et participative.

Un appel à la détermination

Nous sommes à l’heure des choix. Soit nous poursuivons cette route qui mène à l’absurde, à l’épuisement du monde et des âmes, à la soumission totale de la politique aux forces du marché. Soit nous retrouvons l’audace d’un nouvel humanisme politique, où l’économie n’est plus le maître mais le serviteur, où la démocratie reprend ses droits, où la dignité redevient la boussole.

« Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste, mais d’être déterminé », disait Gramsci. Il est temps que la gauche, enfin, retrouve cette détermination. Non pour corriger le monde tel qu’il est, mais pour bâtir celui qui doit être.

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