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Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

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Billet de blog 25 février 2025

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Démocratie, égalité.

L’égalité n’est pas l’uniformité, elle n’est pas un aplatissement du réel. Elle est une tension dynamique, une exigence toujours inachevée qui pousse à corriger les déséquilibres sans nier la singularité des individus.

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    “Le sens de l’injustice n’est pas seulement plus poignant mais plus perspicace que le sens de la justice, car la justice est plus souvent ce qui manque et l’injustice ce qui règne.” – Paul Ricœur

Il est une illusion tenace, une ruse du pouvoir, de faire croire que l’égalité serait un idéal irréalisable, un rêve trop grand pour la nature humaine. Pourtant, ce n’est pas l’égalité qui est utopique, mais son absence qui est insoutenable. Elle est la condition même de la démocratie, le socle sur lequel repose la possibilité d’une vie commune qui ne soit pas un jeu de dupes, où certains naissent pour obéir et d’autres pour dominer.

Dans une époque marquée par la montée des inégalités, où les plus riches concentrent des fortunes indécentes pendant que les plus précaires luttent pour une dignité minimale, la question n’est pas de savoir si l’égalité est désirable, mais comment son effritement met en péril le projet démocratique lui-même. Car si la démocratie est ce contrat fragile qui fonde l’émancipation, alors toute dérive oligarchique, toute justification des hiérarchies arbitraires, est une négation de cette promesse.

L’égalité dans un monde qui se fracture

Les chiffres sont implacables. En 2024, le 1 % le plus riche détient près de la moitié des richesses mondiales, tandis que des millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. En France, 9,1 millions de personnes sont dans cette situation, soit 14,4 % de la population. La question n’est pas seulement économique, elle est existentielle. Que devient une démocratie lorsque l’injustice structurelle devient la norme ? Lorsque l’individu n’a plus d’autre horizon que la survie ?

Loin d’être un luxe, l’égalité est une nécessité politique et anthropologique. Elle est la seule réponse à la fragmentation du monde, à la montée des populismes et aux crispations identitaires. Car ce qui fait la force d’une société, ce n’est pas la somme de ses privilèges mais sa capacité à garantir à chacun un accès réel aux droits fondamentaux.

L’égalité comme tension, non comme nivellement

L’égalité n’est pas l’uniformité, elle n’est pas un aplatissement du réel. Elle est une tension dynamique, une exigence toujours inachevée qui pousse à corriger les déséquilibres sans nier la singularité des individus. Aristote déjà distinguait la justice corrective (qui répare les torts) de la justice distributive (qui répartit les richesses et les responsabilités). Aujourd’hui encore, la question se pose : quelle répartition est juste ? Quels déséquilibres sont acceptables ?

Dans les sociétés libérales, l’inégalité est souvent justifiée au nom du mérite. Mais quel mérite y a-t-il à hériter d’un capital culturel, financier et relationnel qui fait de la naissance le premier facteur de réussite ? Le mérite n’est souvent que l’habillage vertueux de la reproduction sociale. Les élites, sûres de leur légitimité, s’étonnent que le peuple se détourne des urnes. Elles oublient que lorsque la promesse d’égalité est trahie, la démocratie devient un théâtre où ne jouent que les puissants.

L’illusion de l’égalité des chances

L’égalité des chances est souvent invoquée comme un rempart suffisant contre les inégalités. Mais c’est une fiction qui oublie que les dés sont pipés dès le départ. Comment croire à une compétition juste lorsque les conditions d’entrée sont radicalement inégales ? L’école, qui devrait être le creuset républicain, est devenue le miroir des fractures sociales. En 2024, les enfants d’ouvriers représentent moins de 8 % des étudiants des grandes écoles, contre 29 % en 1950. Un recul inquiétant qui en dit long sur la stratification sociale.

John Rawls, dans sa théorie de la justice, défendait une idée simple : les inégalités ne sont acceptables que si elles profitent aux plus défavorisés. Or, aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. L’ascenseur social est en panne, et la précarité n’est plus une phase transitoire mais une structure stable du capitalisme contemporain.

Démocratie et inégalités : un divorce annoncé ?

L’égalité n’est pas un supplément d’âme, elle est ce qui rend la démocratie viable. Une société trop inégalitaire court à sa propre perte car elle délégitime ses propres institutions. À quoi bon voter lorsque l’on sait que les décisions politiques sont dictées par les intérêts financiers ? À quoi bon espérer lorsque l’avenir est écrit d’avance, verrouillé par des logiques de classe qui réduisent l’individu à sa condition initiale ?

La démocratie en tension

Aujourd’hui, 45 % des Français estiment que leur pouvoir d’achat ne leur permet que de répondre aux besoins essentiels, voire pas du tout. Dans le même temps, les grandes fortunes n’ont jamais été aussi prospères. Cet écart nourrit un ressentiment légitime, que les populismes exploitent en opposant les « élites » et le « peuple ». Mais la vraie fracture n’est pas culturelle, elle est économique. C’est la captation des richesses et du pouvoir qui engendre la défiance.

L’État-providence en sursis

Face à cela, deux visions s’opposent.
    •    La première prône un retour de l’État-providence, avec une redistribution accrue, une taxation des grandes fortunes et une politique sociale ambitieuse.
    •    La seconde voit dans l’État un frein à l’initiative individuelle et prône un libéralisme débridé où la solidarité est réduite à une affaire privée.

Or, l’histoire a tranché : les périodes de plus grande prospérité sont celles où l’intervention publique a permis de réduire les inégalités. Dans les années 1950-1970, la part des salaires dans le PIB atteignait 68 %. Aujourd’hui, elle est tombée à moins de 60 %, au profit des revenus du capital. La désindustrialisation et la précarisation du travail ont accentué cette tendance, et la réduction des protections sociales l’a aggravée.

Conclusion : pour une égalité réinventée

Loin d’être une utopie naïve, l’égalité est une boussole. Elle est ce qui permet de penser un monde où la liberté ne soit pas un privilège mais un droit réel. Elle n’oppose pas les individus, elle les réunit dans une même exigence de justice.

Nous sommes à un tournant. Si la démocratie veut survivre, elle doit se réconcilier avec l’égalité. Cela passe par des choix politiques clairs :
    •    Garantir un revenu universel ou un salaire minimum décent pour redonner du pouvoir d’achat et de la dignité.
    •    Renforcer la progressivité de l’impôt pour réduire les écarts de richesse.
    •    Investir massivement dans l’éducation et la santé pour offrir à chacun des chances réelles et non fictives.
    •    Encourager la participation citoyenne à travers des mécanismes délibératifs qui redonnent du sens à l’action politique.

Car l’égalité n’est pas un état figé, elle est une conquête perpétuelle. Elle n’est pas l’ennemie de la liberté, elle en est le levier le plus puissant. Une société véritablement libre est une société où chacun a les moyens d’être ce qu’il veut être, sans que son avenir ne soit dicté par sa naissance. C’est là que se joue l’avenir de nos démocraties.

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