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Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

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Billet de blog 28 février 2025

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La démocratie et l’humanisme en danger : pour un réveil collectif !

La sidération qui domine depuis l’élection de Trump, la montée des conflits armés et de la violence politique doit nous conduire à relever le drapeau de l’humanisme.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
— Albert Camus, Discours de Suède

Nous y sommes. Un monde qui se défait. Un modèle qui, sous couvert d’efficacité, de rationalité économique, produit du ressentiment, du désespoir et, bientôt, de la barbarie. Ce modèle, né au XVIIIe siècle et devenu hégémonique au XXe, repose sur des principes qui, loin d’apporter paix et prospérité partagées, nous mènent à la fragmentation sociale et à l’effondrement écologique.

La croissance infinie comme dogme, la marchandisation de toutes les sphères de l’existence, la croyance que la réussite individuelle se mesure à l’accumulation de richesses ont installé une société où l’économie a avalé le politique, où la finance a vidé la démocratie de sa substance, où l’injustice est devenue un horizon indépassable. Loin de civiliser le monde, ce modèle l’épuise. Il nourrit une guerre de tous contre tous, un marché où l’individu est sommé d’être un entrepreneur de lui-même, comptable de son échec comme de son succès.

Le résultat ? Une explosion des inégalités, qui atteint des niveaux jamais vus dans l’histoire moderne. Thomas Piketty l’a démontré : les sociétés deviennent politiquement instables lorsqu’une minorité accapare les richesses au détriment du plus grand nombre. Cette instabilité, nous la vivons : montée des extrêmes, désaffiliation sociale, méfiance généralisée. Un monde où la frustration devient rage, où le ressentiment structure le rapport à l’autre, où l’espoir est une denrée rare.

L’économie, cette idole qui exige des sacrifices

« Il y a des civilisations qui choisissent de se suicider, d’autres de se régénérer. »
— Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme

Nous avons fait de l’économie une divinité jalouse. Tout doit plier sous son joug : la justice sociale, l’environnement, le politique, le sens même de la vie. Dominique Méda l’a bien analysé : nous avons fait du travail un totem, du marché un dogme, de la compétition une morale. Résultat ? Une société épuisée, où le sens du commun se délite, où les liens sociaux sont broyés au nom de la rentabilité.

Karl Polanyi l’avait déjà averti : le capitalisme débridé, lorsqu’il est livré à lui-même, détruit la société qu’il prétend enrichir. En transformant le travailleur en simple variable d’ajustement, en précarisant des pans entiers de la population tout en sanctuarisant les profits d’une minorité, nous avons construit une société sans reconnaissance, sans égalité, sans horizon. Une société où l’on humilie les classes populaires, où l’on méprise ceux qui prennent soin des autres – enseignants, soignants, travailleurs sociaux. Où la vie humaine est une donnée comptable.

Et pourtant, nous continuons. Aveuglés par une idéologie qui fait du court-termisme une règle, du profit immédiat une boussole, du sacrifice de la planète une fatalité. Une course vers l’abîme, où les conflits géopolitiques s’intensifient pour le contrôle des ressources, où la démocratie s’effondre sous le poids du cynisme et de l’inefficacité, où la montée des extrêmes devient le symptôme d’un monde qui ne sait plus où il va.

La grande fatigue démocratique

« La démocratie n’est pas un état acquis. Elle se défend. »
— Cynthia Fleury, Les pathologies de la démocratie

L’abandon du politique au profit du marché a eu un prix : l’affaiblissement de la démocratie elle-même. Quand l’État devient un simple gestionnaire de flux économiques, il perd sa capacité à incarner une vision collective, à fixer un cap. Le politique, réduit à la gestion des crises, n’est plus porteur d’un projet commun.

Le résultat ? Une défiance généralisée. Un sentiment d’abandon qui nourrit le populisme et l’extrême droite, ces forces qui prospèrent sur le chaos et la rancœur. La mondialisation, loin d’avoir apporté la prospérité espérée, a exacerbé la compétition, dissous les repères sociaux, vidé le politique de son pouvoir d’agir.

Cette fatigue démocratique, ce déclin du sens civique, c’est le prix du renoncement. À force de prôner un monde où seul le mérite individuel compte, nous avons créé une société du ressentiment, où chacun est sommé de se battre seul, où l’échec est stigmatisé, où la solidarité est perçue comme une faiblesse.

Si nous ne changeons pas de cap, le désespoir fera le reste. Car l’histoire est claire : une société qui humilie ses citoyens, qui détruit ses ressources, qui fragilise ses institutions, ne peut que sombrer dans la violence. Quand le sentiment d’injustice devient insoutenable, quand l’horizon se ferme, la brutalité suit.

Remettre l’économie à sa place : une question de civilisation

Il ne s’agit pas d’un débat technique, d’une réforme de plus à ajuster. Il s’agit d’un choix civilisationnel. Soit nous continuons sur cette voie – celle de la compétition absolue, du marché roi, de l’individualisme exacerbé – soit nous décidons de reprendre le contrôle de notre destin collectif.

Cela passe par :
• Une réhabilitation du politique, qui ne doit plus être soumis aux diktats des marchés mais retrouver son rôle de protecteur du bien commun.
• Une économie au service de la vie, qui valorise la coopération plutôt que la compétition, qui protège le travail plutôt que de le précariser.
• Une transformation du rapport au progrès, où l’innovation ne sert plus seulement la rentabilité mais la qualité de vie et la préservation de la planète.
• Une société du respect et de la dignité, où chaque individu est reconnu non pour sa capacité à générer du profit, mais pour sa contribution à la communauté humaine.

Il est temps de sortir du mythe du marché omniscient et de reconstruire un monde où l’économie redevient un moyen, et non une finalité.

Nous avons le choix : le sursaut ou la barbarie.

Si nous ne voulons pas que le ressentiment et la haine deviennent nos seules boussoles, si nous ne voulons pas voir notre société se déliter sous le poids du désespoir et de la division, il est temps de refonder un horizon commun.

La politique doit reprendre la main. La justice sociale doit redevenir un principe non négociable. L’économie doit cesser d’être une idole et redevenir un outil au service du bien commun.

Parce que ce n’est pas la survie des plus forts qui fera notre avenir, mais la capacité à bâtir ensemble un monde où chacun trouve sa place. Et où le respect de la vie retrouve la première place comme guide des sociétés.

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