L'ILLUSION COMIQUE, de Corneille - Mise en scène de Galin Stoev - A la Comédie-Française, salle Richelieu

Les critiques sont rudes. Après avoir lu celles de Libération et du Figaro au sujet de L'Illusion comique de Corneille mise en scène par Galin Stoev, je me suis nonchalamment acheminée vers la Comédie-Française, partagée entre mon désir de voir la plus étrange des pièces du XVIIè siècle et mon scepticisme face à la sévérité des journalistes.
Eh bien, je vous le dis : soyez audacieux, et détournez-vous de ces critiques blasés. Cette Illusion comique est somptueuse !
C'est toujours un grand moment de rentrer dans ce sanctuaire du théâtre. La scène est encombrée de vitres, de cases de verres ; un escabeau à jardin, derrière un paravent ; des chaises disséminées ici et là. Le sol scintille. On retrouve là une idée largement utilisée (par Giorgio Strehler à l'Odéon, par Marion Bierry au Théâtre Hébertot, pour ne citer qu'eux) : le plancher-miroir qui reflète l'illusion. Il est ici démultiplié par les nombreuses autres façades vitrées. C'est dans un monde de glaces que nous pénétrons, un monde dans lequel nous nous mirons autant que nous observons les aventures des comédiens.
Tel est bien le but du metteur en scène : dès la première scène, les regards insistants de Pridamant (Alain Lenglet) et de Dorante (Loïc Corbery), qui s'adressent bien à nous, nous signalent que nous participons pleinement à cette illusion comique*. Alcandre, joyeusement interprété par Hervé Pierre, tire les ficelles de cette histoire et nous entraîne sur un rythme trépidant à travers l' « étrange monstre » de Corneille. Il déambule à travers les pièces, à travers les personnages, leur ordonne de jouer, prend le rôle du page, puis celui de Géronte, cet archétype du père, qui fait autant la morale à sa fille Isabelle qu'à Pridamant, cet autre père que le mage initie. Conservant toute sa grandeur, le père-spectateur, investi personnellement dans l'histoire qui se joue devant nous, apprend, pas à pas, l'humilité.
Les scènes s'enchaînent, et mon ravissement va grandissant. Je suis subjuguée par le couple croustillant créé par Clindor (Loïc Corbery, qui joue, à juste titre, Dorante et Clindor) et Matamore. Denis Podalydès campe là un capitaine surprenant, criant d'une voix suraigüe ces pseudo-hauts-faits passés et à venir. Savoureux. Ce Matamore timoré est un vrai délice pour le spectateur.
L'illusion fonctionne à fond. Galin Stoev pose des touches de couleurs sur le tableau gris de la scène : du rouge pour Isabelle (Judith Chemla), oscillante, mouvante, joyau de cette pièce baroque, passant du rire aux larmes ; du rouge pour Lyse, double malheureux et lucide de sa maîtresse, la servante sacrifiée de cette histoire, le vrai personnage tragique de la comédie cornélienne (quel révolutionnaire ce Corneille !). Tout est dessiné, chorégraphié ; les personnages courent, volent (« et nous vengent » ; ah, non, je me trompe de pièce...), spectres virevoltants dans la caverne théâtrale d'Alcandre.
Allez rire devant les bravades bouffonnes de Matamore, pleurer devant les répliques cyniques de Lyse. Allez prendre une bouffée de théâtre bienfaisant. Laissez-vous illusionner par une pièce royalement revisitée par le metteur en scène bulgare au Théâtre Français.
* comique est à prendre ici dans le sens de « théâtral ». « comique » = ce qui a trait au théâtre, à la comédie, au jeu dramatique