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Billet de blog 15 décembre 2022

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Les féministes s'unissent contre le tournant autoritaire en Amérique centrale

L’Amérique centrale vit une crise majeure, près de trente ans après les accords de paix signés à la fin des années 1980, trois décennies après les guerres internes qui ont profondément meurtri les populations de l’isthme. Des féministes centraméricaines ont élaboré un agenda commun pour lutter contre les politiques répressives de la région.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Article de Lizbeth Hernández, avec l’aimable autorisation de l’autrice et de Agencia Presentes (traduction de l'espagnol par D.Lacombe).

Article original: https://agenciapresentes.org/2022/12/13/los-feminismos-se-unen-para-frenar-a-las-derechas-en-centroamerica/ 

L’Amérique centrale vit une crise majeure, près de trente ans après les accords de paix signés à la fin des années 1980, trois décennies après les guerres internes qui ont profondément meurtri les populations de l’isthme.

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© Lizbeth Hernández

Gouvernements autoritaires, dictatures, corruption, violence généralisée, violences contre les femmes et contre toute expression de dissidence sexuelle, criminalisation de la protestation sociale, restriction de l’exercice des droits reproductifs et sexuels, militarisation, persécution des défenseuses et défenseurs des droits humains et de l’environnement, prisonnières et prisonniers politiques : c’est dans ce contexte, particulièrement prégnant au Honduras, Nicaragua, El Salvador, Guatemala, que se sont réunies 500 femmes des pays de l’isthme (à l’exception de Belize) dans la ville de Guatemala du 22 au 24 novembre dernier. L’objectif était aussi de s’organiser dans la perspective de la 15ème rencontre féministe d’Amérique latine et de la Caraïbe, qui aura lieu dans un an, autour du 25 novembre, au Salvador.

Elles ont prolongé l'étape historique d'articulation qui avait été franchie en mars 1992 avec la Rencontre féministe d'Amérique centrale à Montelimar, au Nicaragua.

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Concert durant la rencontre © Lizbeth Hernández

« Le corps des femmes est notre premier territoire »

María Elena Reynoso Velázquez est originaire du Guatemala.

Elle a commencé à militer en 1988. Elle a rejoint le collectif Mujeres Tierra Viva. Plus tard, elle a participé à des réunions féministes au Chili et au Salvador. "C'est une contribution du féminisme que de reconnaître que le corps des femmes est notre premier territoire. Si nous ne nous en occupons pas, nous nous détruisons. Et j'ai entrepris de me sentir comme une personne, par la sanación, en retrouvant mon identité de femme indigène", partage-t-elle.

Elle est venue à cette rencontre en tant que représentante du Réseau d'éducation populaire des femmes d'Amérique latine et des Caraïbes, REPEM LAC. "L'unification des efforts est importante en ce moment car nous avons un contexte difficile en Amérique latine. Je crois que nous devons mettre en commun nos priorités politiques pour faire quelque chose collectivement et joindre nos efforts pour rompre avec beaucoup de choses : les violences contre les femmes, le racisme, la discrimination, nous devons ouvrir des chemins", dit-elle.

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María Elena Reynoso, Guatemala © Lizbeth Hernández

"Le régime a été le principal ennemi des féministes".

 Mariángeles Delgado a dû quitter son pays, le Nicaragua, en 2021, après que plusieurs de ses amies ont été emprisonnées. "J'ai dû partir pour protéger ma sécurité et ma vie".

 Elle vit au Costa Rica. Là-bas, elle ne participe pas aux activités de plaidoyer politique, mais elle s'efforce de sensibiliser le public à la situation des Nicaraguayennes prisonnières dans les geôles du régime Ortega-Murillo. Elle fait partie du groupe de bénévoles Sé Humano, qui mène diverses initiatives pour soutenir ces personnes.

 "Le régime a été le principal ennemi des féministes, il y a toujours eu une chasse aux féministes", dit-elle. Elle affirme qu'au Nicaragua, aucune action de protestation ne peut avoir lieu, qu'il n'y a pas d'accès aux droits sexuels et reproductifs, comme l'avortement. Mais malgré cela, "les femmes restent organisées".

 La Rencontre était sa première réunion féministe. Au Nicaragua, elle a assisté à des manifestations commémoratives telles que celles menées autour du 8 mars, mais elle n’avait jamais eu l’expérience d’un tel rassemblement. Elle doit sa sensibilisation à sa mère, une féministe indépendante, non engagée dans une organisation. « J'étais assez émue, j'ai aimé. Je me suis rendue compte que je n’étais pas seule, que nous sommes nombreuses à avoir des critiques et des questions sur les mouvements organisés. En même temps, nous constatons que ces collectifs nous sont ouverts. »  

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Mariángeles Delgado, Nicaragua © Lizbeth Hernández

"Au Nicaragua, rien n'est normal, il y a une dictature qui violente et écrase les femmes, dans toute leur diversité".

Yasuri Potoy Ortiz a dû s’exiler il y a quatre ans. En avril 2018, lorsque la crise a éclaté au Nicaragua, elle a rejoint les unités médicales qui ont soigné les personnes blessées lors des manifestations réprimées par le régime de Daniel Ortega et Rosario Murillo.

Elle étudiait pour obtenir un diplôme d'infirmière, mais après son appui aux manifestant.es, elle a été arbitrairement exclue de l’université où elle étudiait. Elle a été témoin des violences exercées contre les femmes transgenres qui participaient à la rébellion. C'est pourquoi elle a décidé de quitter le pays. "Au Nicaragua, rien n'est normal, il y a une dictature qui violente et écrase les femmes dans toute leur diversité".

Elle a récemment obtenu le statut de réfugiée au Costa Rica. Elle vit désormais en zone rurale et c'est de là qu'elle mène son action militante. Elle est la coordinatrice d'un espace LGBTQI+ qui fournit un accompagnement juridique et social à d'autres femmes trans et personnes LGBTQI qui ont dû s’exiler. Elle travaille également avec d'autres femmes victimes de violences.

 A propos de sa participation à la Rencontre féministe centraméricaine, elle déclare : "Une telle rencontre qui s'engage à reconnaître l'identité, la diversité et la construction de l'identité féminine au-delà du biologique, cela a beaucoup compté pour moi. Je sais que les défis sont nombreux, mais nous agissons pour qu'aucune femme ne soit exclue d'espaces comme celui-ci, et nous continuons ainsi à tisser des liens".

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Yasuri Potoy, Nicaragua © lizbeth Hernández

"Les contextes se sont aggravés et ont poussé les personnes à migrer".

 Isabel Ascencio est originaire du Salvador. Dès son plus jeune âge, elle a voulu devenir une femme autonome. Elle a affronté la vie en tant qu'orpheline. Elle a commencé son militantisme féministe en 1990 dans le contexte de la cinquième Rencontre féministe latinoaméricaine et de la Caraïbe en Argentine. Elle a aussi participé à la rencontre féministe centraméricaine à Montelimar (1992).

 Isabel se décrit comme une femme cosmique maya. Elle dit être préoccupée par la régression fondamentaliste au Salvador, particulièrement depuis ces quatre dernières années.

 "La violence de genre, la violence institutionnelle, les bouleversements environnementaux, le régime d'exception qui a conduit l’Etat salvadorien à emprisonner des femmes des secteurs pauvres, qu'elles soient accusées de regroupement illégal ou qu’elles aient agi en défense de leurs enfants ou des membres de leur famille, la disparition de personnes, principalement des jeunes, continuent. Tous ces contextes se sont aggravés. Les gens cherchent à sauver leur peau en quittant le pays. "

 Pour Isabel, cette Rencontre a atteint ses objectifs. "A partir de la diversité qui nous caractérise, nous faisons face aux contextes de dictatures, de fondamentalismes religieux, mais nous partageons aussi différentes luttes pour éradiquer le patriarcat. Nous avons renforcé nos rêves, et nous nous sommes engagées à organiser la 15ème Rencontre féministe d’Amérique Latine et de la Caraïbe, en 2023, au Salvador.

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Isabel Ascencio © Lizbeth Hernández

Déclaration finale de la rencontre féministe centraméricaine (extraits) :

 "Nos féminismes sont la voix de celles qui luttent pour une Amérique centrale unie et en résistance".

 1.Lutter ensemble pour empêcher l'installation et la perpétuation de gouvernements autoritaires et de dictatures en Amérique centrale.

 2. Lutter contre toutes les formes de violence à l'encontre des femmes et des corps dissidents dans toute leur diversité, y compris contre la violence d'État et des entreprises transnationales.

 3. Défendre la laïcité de l'État comme une condition indispensable à la reconnaissance et à l'exercice des droits des femmes, et en particulier de ceux liés à la sexualité et à la reproduction.

 4. Défendre le droit des femmes, des filles et des corps dissidents à migrer dans la dignité et en sécurité. Il est de la responsabilité des États qui expulsent et accueillent des migrant.es de protéger les droits humains de la population migrante.

 5. Défendre la terre et les territoires qui assurent la pérennité de la vie des communautés. Que cessent les projets qui menacent les biens communs et la qualité de vie de chacun.e.

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© Lizbeth Hernández

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