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Billet de blog 4 août 2015

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« Love » : la critique non censurée

Vous vous apprêtez à lire une relique. Je vais vous parler de « Love », ce film de Gaspar Noé que j’ai vu lorsqu’il n’était encore interdit qu’aux moins de 16 ans. Cet arrière-goût de stupre et d’interdit flottait dans la bouche des quelques mineurs de la salle, désormais indésirables depuis que le TA de Paris a tranché : Love sera finalement interdit aux moins de 18 ans. Le plus triste sera de ne plus croiser leur regard fasciné à mesure qu’une prostituée transsexuelle se déshabillait sous nos yeux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous vous apprêtez à lire une relique. Je vais vous parler de « Love », ce film de Gaspar Noé que j’ai vu lorsqu’il n’était encore interdit qu’aux moins de 16 ans. Cet arrière-goût de stupre et d’interdit flottait dans la bouche des quelques mineurs de la salle, désormais indésirables depuis que le TA de Paris a tranché : Love sera finalement interdit aux moins de 18 ans. Le plus triste sera de ne plus croiser leur regard fasciné à mesure qu’une prostituée transsexuelle se déshabillait sous nos yeux.

« Electra, quel est ton fantasme ultime ? »

« Et bien… Puisque tu me le demandes Murphy… Non arrête, je n’ose pas. Je veux pas que tu me juges, je t’aime trop. Arrête t’es sûr que tu veux savoir ? Bon… Ok.. Je sais pas j’ai toujours éprouvé quelque chose de spécial pour les petits robots. Ceux en métal, ceux très intelligents. Comme celui qu’on voit dans « Salut les terriens » tu sais. J’aimerais que le mien s’appelle Henry, et qu’il soit gérant de supermarché. Un jour, lorsque je viendrais lui acheter une bouteille de lait et des tampons, il me prendra la main et… et il me montrera la réserve. J’aime aussi la proximité des boites de conserve, c’est vrai. Les petits pois plus particulièrement. »

Mais, mais voilà qui est très excitant Electra. Et original en sus. Si tu lui avais répliqué ça, qu’aurait répondu ton petit-ami Murphy ? Son sang n’aurait-il fait qu’un tour ? Ses pupilles se seraient-elles dilatées par l’excitation et la hâte ? Se serait-il précipité pour acheter un petit robot sur Amazon ? Nous ne le saurons pas, car « Love » n’a pas choisi d’emprunter ce chemin scénaristique. Sans surprise, le plus grand fantasme d’Electra était tout simplement faire du sexe avec une fille. Malgré les déboires qui l’attendaient, je pense que ça arrangeait quand même bien Murphy.

Mais je serais de mauvaise foi si je disais que je n’avais pas été surprise pendant ce film. Je l’ai même été très rapidement. En effet, un pénis nous passe ses amitiés dès le premier plan. Peut-être trop habituée aux histoires d’amour chastes et censurées de l’Amour est dans le pré sur M6, la vision sans fard de ce fringuant compagnon m’a faite sursauter sur mon fauteuil. Je vous rassure, la présence d’organes génitaux devient vite familière à mesure que le film avance. Sans même m’en apercevoir, je m’étais déjà prise à leur donner de petits surnoms ; tel que « Loupiotte » ou « Joli Edmond ».

À certains moments, il faut toutefois souligner que Joli Edmond prend un peu la confiance. Par deux fois, il éjacule au visage de nous, spectateurs incrédules vautrés dans nos fauteuils. Affublés de lunettes 3D, nous n’avons d’autre choix que de fermer fort les yeux, protéger nos M&M’s et nous recroqueviller. Mais nous n’avons pas tous la même réaction face à l’adversité. Mon voisin de gauche s’est par exemple simplement essuyé la joue, les yeux embués par la dopamine.

Le sexe est donc bien présent dans ce film de Gaspar Noé. Présent mais sublimé, justifié. Avec musique, jolis corps et jolies expressions, le réalisateur parvient notamment à faire d’un club libertin « le plus bel endroit de la terre ». C’est plus beau que le ciel d’Air France, et il y a plus de zizis, aussi. Dans un souci de réalisme, j’aurais toutefois préféré que les protagonistes soient appelés autrement : « Marie-France », « Paulo » et « Sandrine » auraient été de parfaits patronymes. Je n’ai pas aimé « Electra », « Murphy » et « Aomi » ; ces prénoms qui n’existent que dans les œuvres de fiction et qui représentent assez mal la morbide banalité de l’existence, vous en conviendrez.

Alors le sexe d’accord. Mais qu’en est-il de l’érotisme ? Peut-être ne suis-je pas la mieux placée pour en juger. Mon expérience de la cinématographie érotique se résume à de longs et tristes dimanches soirs sur D8, en compagnie de knackis balls et de « Delphine ou les plaisirs simples ». Le point culminant des aventures de Delphine était d’une part la découpe d’une mangue très mure en léchant le couteau, d’autre part des ébats cachés derrière le mouvement agaçant d’un rideau sale. « Love » fut alors pour moi une expérience très réussie de cinéma érotique, et de cinéma tout court. C’est beau, c’est chaud, c’est rouge comme un bain de sang dans lequel se plongent sans le savoir les héros. Même si j’aurais aimé plus de petits robots lubriques, « Love » était quand même un bon film.

« Love » de Gaspar Noé, au cinéma depuis le 15 juillet 2015.

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