Ils sont décidés. De très nombreux citoyens ont rejoint le mouvement « Bloquons tout », né sur les réseaux sociaux au début de l'été. Et ce 10 septembre, ils commenceront un mouvement social d'un genre nouveau. Très hétérogène, ce mouvement converge dans sa volonté de se débarrasser de Macron et de son monde !
En effet, « il n’est plus possible de militer comme il y a 20 ans » comme le souligne Manuel Cervera-Marzal dans son petit bouquin paru en 2022 chez 10/18 dans la collection Amorce (Résister, petite histoire des luttes contemporaines). Et oui, ce qui hier nous semblait impensable devient tristement réalité. L’état libéral-autoritaire ne cesse d’accroître son emprise, forçant les mouvements sociaux à s’adapter et innover en permanence !
1/ Les métamorphoses de la contestation sociale :
Tout le monde se souvient des manifestations des années 1990 où les familles venaient avec les landaus dans les fumées de merguez et au son de sono bancale du camion CGT...Impossible dans la France de Macron. De vieilles modalités d’action du XIXe siècle refont à l’inverse surface comme les émeutes, héritage de la mémoire collective populaire longtemps oublié. L’actuelle radicalisation de l’État (police et justice) alimente celle des mouvements sociaux en retour.
Les petits défilés « sauvages », ludiques et imprévisibles du XIXe siècle des classes « laborieuses et dangereuses » arrivaient à arracher aux bourgeois terrorisés quelques concessions. L’institutionnalisation de la manifestation au XXe siècle a permis sa massification mais à aussi conduit à l’affaiblir. Plus nombreux et plus sages, les manifestants ne faisaient plus peur. D’où le retour de ces petits groupes violents, affinitaires et autonomes au XXIe siècle.
Le « black bloc » (et variantes) ne sont plus considérés comme des intrus mais forme le cortège de tête. Leur violence est un réflexe de survie et un acte de bon sens face à la brutalité policière de plus en plus mutilante et meurtrière. Le Bulletin officiel des annonces des marchés publics nous prouve que l’achat de balles pour les LBD explose d’année en année (300000 euros en 2005, 5 millions d’euros en 2017…).
2/ Le confinement des colères :
Le paradigme sécuritaire des « démocraties défaillantes » nous invite à « faire barrage » (au RN, au Covid, aux crues, aux réfugiés…), à « faire front ». Pour cela, le gouvernement « socialiste » d’Hollande n’a pas hésité à interdire les manifestations dès 2014. Ces interdictions à géométrie variable ont suscité des poussées légitimes d’indignation. En 2021, un sondage montrait qu’1/3 des Français comprenait le recours à la violence contre des décisions politiques.
Le tournant identitaire de l’idéologie républicaine et le tournant autoritaire de l’État de droit alimentent un tournant insurrectionnel des mouvements sociaux. Les conflits sociaux se dérégulent avec la violence policière depuis 2014 (mort de Rémi Fraisse). La très faible popularité des élus (Macron en est le symbole) et le sentiment de ne plus être écouté font prendre conscience aux citoyens que la voix de la rue et plus légitime que celle des urnes.
Les lois de surveillance et d’antiterrorisme depuis 2015 font entrer dans le droit commun les contrôles d’identité facilités, les interdictions de manifester, les assignations à résidence, les fichages massifs (pour opinions politiques, religieuses ou syndicales!), les perquisitions administratives...Plus récemment, « l’état d’urgence sanitaire » a permis à un « Conseil de défense » d’enfermer une population puis d’instaurer un couvre-feu pendant des mois !
3/ L’engrenage de la violence » :
La main droite de l’État se muscle, la main gauche s’atrophie. Le néolibéralisme ne peut qu’être autoritaire. Comme il s’attaque aux droits sociaux, il suscite des contestations qu’il faut réprimer et surveiller de plus en plus brutalement. Les compagnies privées de la sécurité se frottent les mains avec l’inflation des vigiles, des dispositifs de vidéo-surveillance publics et privés, de la technopolice et des armes « non-létales »…
Des collectifs prônent face à ce Léviathan la « non-violence ». La destruction des biens est efficace comme le montre la destruction des engins de chantier, le fauchage des champs d’OGM, le sabotage des pipelines ou encore la destruction de CRA. La violence physique est elle indispensable dans une perspective d’autodéfense (comme le montrent les actions des Soulèvements de la Terre régulièrement attaquées par les forces de l’ordre de Darmanin).
4/ Radicalisation à grande vitesse :
La violence pure et gratuite de la police/gendarmerie ne peut que provoquer de la radicalisation individuelle, puis collective. L’État n’est pas toujours légitime et les individus ont aussi des droits qui les protègent contre l’arbitraire étatique. Un état violent est un état faible car il rappelle sa légitimité à coups de matraque sur une population qui ne lui accorde ni son consentement naturel, ni son adhésion spontanée.
Violent, l’État incarné aujourd’hui par Darmanin et Macron carbure à la provocation. Ses médias et sa police multiplient les provocations. Plus c’est gros, plus ça passe ! Alors, on continue à provoquer car la provocation et les moqueries sont la matrice contemporaine de la domination (politique, économique, patriarcale, raciste et policière). C’est ici que la honte peut déboucher sur une action révolutionnaire ou critique.
5/ Une posture victimaire ?
Ici, l’auteur se livre à une réflexion originale que beaucoup de militants se posent. Etre un homme de « gauche » blanc, d’origine bourgeoise (ou moyenne) et hétérosexuel, c’est « habiter la honte ». Il ne suffit pas de modifier ses comportements, il faut s’attaquer de front aux rapports structurels de domination. Mener une vie bonne dans un monde mauvais, c’est être confronté à des contradictions irrémédiables selon Judith Butler.
Il faut sortir de ces paradoxes par l’action collective afin de réparer les injustices que la société néolibérale crée. Cela n’empêche aucunement toutes les formes émancipatrices de subjectivisation. Le libre développement individuel est la condition du libre développement de tous et réciproquement. Il faut réduire l’écart entre le militantisme idéal (convivial, égalitaire, épanouissant) et réel (rapports de domination, trahisons, déceptions).
6/ Des actions préfiguratives :
Les collectifs doivent réfléchir sur le bien-être militant que l’on peut accroître comme les collectifs autonomes avec la coopération, les actions ludiques, les bases affinitaires et même la non-mixité. De plus, ces modes de fonctionnements inclusifs et bienveillants sont une « politique préfigurative » (Carl Boggs) de ce à quoi on aspire. Les mouvements d’occupation comme les zad agissent ici et maintenant de façon conforme aux buts poursuivis.
Les questions territoriale et environnementale renouvellent les luttes depuis 10 ans. Les zad durent dans le temps et influencent le débat public avec des thématiques comme la démocratie (autogestionnaire) et l’écologie (radicale). Elles se développent hors du giron des organisations traditionnelles tout en profitant du savoir-faire de militants. On prend le temps et on s’occupe de soi et des autres. On rompt ainsi radicalement avec la société capitaliste.
7/ L’évènement Gilets Jaunes :
Si on sentait venir un vent de colère, ce mouvement a surpris tout le monde par sa composition comme par ses actions. De la dépolitisation négative (abstention, lassitude, passivité), les classes populaires se sont repolitisées rapidement afin de reprendre en main les affaires publiques. Les souffrances individuelles ont nourri la résistance collective. La honte d’être pauvre est devenue une fierté, l’isolement social s’est transformé en nouvelles solidarités.
On est ainsi à l’opposé des mouvements sociaux classiques contre les « réformes » qui mobilisent peu les classes populaires. En effet, ces dernières n’ont ni le temps, ni l’énergie, ni les réseaux, ni l’argent pour militer. Elles laissent des individus plus cultivés et mieux lotis (classes moyennes urbaines, intellectuels, fonctionnaires, étudiants, intermittents…) prendre les rênes des mouvements sociaux.
8/ L’âge de l’occupation :
Pour Walter Benjamin, une révolution n’est pas un « bond en avant » (à la Mao) mais au contraire l’activation « du frein d’arrêt d’urgence » pour empêcher la société de finir sa course dans le précipice. Si le communisme n’est plus aussi mobilisateur qu’au XXe siècle, l’écologie semble aujourd’hui prendre la relève à condition de la conflictualiser afin qu’elle ne soit pas un simple jardinage de potagers bios pour bobos désoeuvrés.
Des années 80 aux années 2000, la désindustrialisation, l’autonomie des universités et la disparition de la petite paysannerie ont freiné les occupations d’usines, de campus et de terres agricoles (comme celles du Larzac). L’occupation est réactualisée depuis 2010 grâce aux zad notamment (mais aussi aux Gilets Jaunes et aux mouvements des places). Occuper un bocage, un rond point ou une place, c’est les transformer en lieux de vie pour arrêter le temps capitaliste.
9/ Victoires et contrecoups :
Le communisme léniniste rabaissait les luttes non-ouvrières au rang de luttes secondaires. Aujourd’hui, la contestation est plus éclatée mais des passerelles existent entre elles, à condition de respecter la diversité des tactiques et des causes. A la convergence, il faut préférer l’alliance pour éviter les phénomènes de dépossession et de subordination d’une lutte à une autre. Toute contestation collective victorieuse doit être rassemblée.
Ces nouvelles luttes mettent en évidence, dans l’opinion publique, des dominations et des violences. Il est désormais banal de parler de violences policières, de racisme systémique, de patriarcat, de féminicide ou d’écocide. Le voile se lève car les luttes paient. La radicalité soutient la vérité. Il faut cependant se méfier des phénomènes de « backlash » réactionnaires ou encore de la récupération de ces luttes par le néolibéralisme.
Les révolutions ne sont pas des processus linéaires. Elles se déroulent sur le temps long et sont rythmées par des rebondissements.

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