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Billet de blog 10 mai 2011

DEMOCRYPTE

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VIE DE CESAR SARKOMINUS X

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chapitre X. Où l’auteur relate quelques chefs d’œuvres de l’art théâtral, notamment à la gloire de César Sarkominus

Résumé des épisodes précédents : Le sage Démocrite et son jeune compagnon, Protagoras, aborde la cité d’Avennio qui s’apprête à fêter les Dionysies, troisième étape dans son voyage vers le Palais de César Sarkominus. Ayant reçu, quelques dizaines d’années plutôt, une lettre d’Auguste Comtus contenant des prédictions sur le règne de Sarkominus, il a jugé à propos, d’enquêter afin d’éclaircir la question des « prémonitions » qui défient sa philosophie radicalement matérialiste.

Une superproduction de la compagnie Elkabbachus-Apathus

1. Où l’on relate la représentation de la pièce « Comment Sarkominus fit entrer Mouammar le Tripolitain dans l’Histoire »
Nous ne parvîmes à Avennio (1) qu’en début de soirée. Démocrite, fatigué par le voyage, décida que nous resterions quelques jours et profiterions des spectacles présentés lors des dionysies (2). Il me cita cette maxime de son crue : « une vie sans fêtes est une longue route sans auberges. » (3) Mécène nous proposa de nous héberger dans une villa qu’il possédait dans les environs. Nous acceptâmes, mais pour le surlendemain seulement, afin d’assister à quelques spectacles. Après nous être restaurés, nous trouvâmes une auberge. Nous consultâmes les programmes et nous achetâmes des billets pour trois spectacles : « Comment Sarkominus fit entrer Mouammar le Tripolitain dans l’Histoire », « Le mystère du chapeau de feutre de César Mitterandus » et « Les amours éternels de Sarkominus et Messaline ».
« Comment Sarkominus fit entrer Mouammar le Tripolitain dans l’Histoire » est une superproduction de la compagnie Elkabbachus-Apathus présentée dans le plus grand théâtre de la cité. Les joueurs de flûtes, syrinx, lyres, cithares, tambours, trompettes et orgues orchestrèrent une ouverture époustouflante qui fut ensuite couverte par la clameur immense du public quant au levé du siparium on vit surgir du fond du proscenium, tractée par une machinerie invisible, une immense galère, à la proue de laquelle se tenait Elkabbachus, costumé d’un phallus proéminent et rouge vermillon, pour le public, d’un seul coup d’oeil, reconnaisse qu’il incarnait César Sarkominus. Sur le pulpitum (4), entra le Chœur des Tripolitaines, caparaçonnées en guerrières sauvages semblables à Athéna – car, comme le note Hérodote, les « Grecs ont emprunté des Libyennes l'habillement et l'égide des statues d’Athéna. Je crois aussi que les cris perçants qu'on entend dans les temples de cette déesse tirent leur origine de ce pays. C'est en effet un usage constant parmi les Libyennes, et elles s'en acquittent avec grâce. » (5)
Après avoir jeté des cris perçants, le Choeur des guerrières entonna un chant déchirant : « Le drame de l’Africae, c’est que l’homme d’Africae n’est pas assez entré dans l’histoire. L’homme d’Africae dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la Nature commande tout, l’homme d’Africae reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. » (6)
Le Coryphée poussa, tout d’un coup, un cri de joie : « Ô peuples d’Africae, séchez vos larmes, cessez de vous griffer le visage jusqu’au sang, cessez de vous arracher les yeux ! Voyez, cette grosse galère qui arrive : ne serais-ce pas l’Histoire qui vient à vous ? »  
Après avoir jeté des cris perçants, le Choeur répondit : « Ah ! Ce serait trop beau ! Y a-t-il sur cette terre un homme assez gentil pour tendre la main à notre peuple qui vit dans l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes actes de piraterie ? Jamais il ne nous vient à l’idée de sortir de la répétition des actes pirateries pour nous inventer un destin. Même la manière forte, utilisée contre nous par l’Atlantidéen, n’y changea rien. Ne sommes nous pas tels que Florus nous a décrit, « semblables à certains animaux auxquels leur double nature permet d'habiter l'eau et la terre ; à peine l'ennemi s'était-il retiré, qu'ils ne voulurent plus rester sur la terre ferme et, s'élançant à nouveau sur l'eau, leur élément, ils poussèrent leur course encore plus loin qu'auparavant et cherchèrent par leur arrivée soudaine à jeter l'épouvante sur les côtes » (7) ? Comment croire qu’il existe un homme assez généreux pour nous permettre d’entrer dans l’Histoire et de prendre place dans un génial projet d’Union de la Mare Nostrum ? Silence ! Voilà venir notre maître et époux, Mouammar le Tripolitain ! »
Les tambours et les trompettes firent résonner un air à glacer le sang. Mouammar le Tripolitain, portant un masque terrifiant, traversa la scène en hurlant : « Taisez-vous ! Combien de fois vous l’ai-je dit : je ne veux pas entendre d’histoires ! »
Puis, les cithares et les flûtes entamèrent une musique aussi légère que gaie. Sarkominus entra en scène, suivi par Messaline – interprétée par Apathus – et par le mage Guéantus – interprété par Pernautus. Messaline se blottissait contre Sarkominus et le mage Guéantus, inquiet, lançait des regards en toutes directions.
Guéantus dit à son maitre : « Ô grand César, ne devrions-nous pas fuir cette contrée qui n’est pas entrée dans l’Histoire ! Dois-je vous rappeler la cruauté de Mouammar le Tripolitain ? Ses pirates ont massacrés gratuitement les passagers d’un vaisseau Pictes, puis les passagers de l’un de nos vaisseaux (8). Ce monstre n’a pas peur de tenir tête aux Atlantidéens et ne céda à leur demande de réparation que pour préparer un forfait plus inique encore, qui ulcéra non seulement les hommes, mais aussi les dieux : un sacristain philistin et cinq servantes thraces du temple d’Oea, dédié à Esculape, le divin guérisseur, sont pris en otage. Dans ce même temple qu’Apulée a rendu célèbre, parce qu’il y a rencontré son épouse Pudentilla, mais surtout parce qu’on l’y accusa d’avoir usé de sorcellerie pour la séduire (9), Mouammar le Tripolitain, tira parti des superstitions de son peuple pour accuser les serviteurs du dieu guérisseur d’actes de sorcellerie bien plus grave encore : celle d’avoir sciemment inoculée la peste à des nouveaux nés. Il les fit torturer pour qu’ils avouent, puis condamner à mort, puis menaça d’exécuter sa sentence, si on ne lui rendait point le tribut qu’il avait versé aux Pictes et aux Atlantidéens pour ses crimes passés. Nul ne peut douter que Mouammar le Tripolitain est l’un des monstres les plus odieux que la terre ait jamais enfanté. Comment pouvez-vous imaginer qu’un cœur aussi corrompu puisse s’amender ? »
« - Ne crains rien mon bon Guéantus, répondit Sarkominus en tournant vers son serviteur, qui dut faire un pas en arrière pour éviter le phallus magnifique et vermillon du César. J’ai une arme magique pour vaincre ce sauvage ! »
« - Existe-t-il une magie assez puissante pour vaincre ce monstre ? », demanda Guéantus.
« - Sans doute, répondit Sarkominus. Il suffit d’aborder ce monstre par son point faible. Vous n’ignorez pas que les rois libyens sont très portés sur le sexe. Hérodote a même noté que les libyens étaient « les seuls qui présentent leurs filles au roi lorsqu'elles vont se marier. Celle qui lui plaît ne s'en retourne qu'après qu'il en a joui. » (10)
« - Et où est cette arme magique ? », demanda Guéantus
Sarkominus éclata de rire : « Mais voyons, mon bon Guéantus, vous l’avez sous les yeux ! »
Guéantus, embarrassé, répondit : « Les plans de votre éminence sont d’une telle génialité que votre pauvre serviteur peine à les saisir dans tous leurs détails... Pourriez-vous me préciser ce que vous attendez de votre arme magique ? »
Sarkominus le regarda très surpris. « Mais, mon brave Guéantus, de ce que l’on est en droit d’attendre de ce genre d’arme magique ! Vous n’ignorez pas que les dieux ont déposés dans les hommes des appétits sexuels à seules fins d’éveiller en eux le sentiment de la tendresse réciproque, et que de là naissent l’amitié, la fraternité et le désir de commercer ensemble ! »
« - Cela ne m’avait point échappé, répondit Guéantus. Mon interrogation portait en fait sur l’usage que vous entendez faire de cette arme magique. »
Sarkominus le regarda désappointé : « Mais, mon pauvre Guéantus, n’avez vous point d’yeux pour voir ou point assez d’imagination pour concevoir qu’il me suffira de la lui présenter pour éveiller chez ce monstre la plus profonde tendresse ? »
Comme Guantus restait silencieux, Sarkominus s’emporta : « Guantus ! Regardez-moi, dans les yeux ! Là, dans les yeux ! Regardez-moi, dans les yeux ! Maintenant, regardez là !, en désignant Messaline qui se tenait à ses côtés. Vous la voyez cette beauté séraphique et cette grâce légère digne des daîmon qui tiennent le milieu entre le céleste et le terrestre ? Vous voyez cette silhouette de nymphe et ce déhanché digne de Vénus ? Doutez-vous qu’il me suffira de la présenter pour attendrir le coeur de ce monstre ?... Tiens, quand on parle du loup... »
Mouammar le Tripolitain entra en scène.
Sarkominus, accompagné de Messaline, s’avança vers Mouammar et lui dit : « Grand roi des pirates, j’arrive par mer avec des intentions pacifiques ! Je ne doute pas que vous teniez en haute estime les divinités aquatiques, si nécessaires à la fertilité des sols. Aussi suis-je venus avec des contrats pour créer chez vous, à prix d’ami, une fabrique de thermo-nucléus, fort utile pour chauffer vos thermes. L’eau est divine, génératrice de vie, et pour tout dire… féminine ; et il est d’ailleurs difficile de songer à l’eau, sans avoir immédiatement, par libre association d’idées, le spectacles de nymphes qui y batifolent sans discontinuer. A propos de féminin, ajouta Sarkominus, vous ai-je présenté Messaline ? Avez-vous vu comme elle est belle ? »
Mouammar le Tripolitain lui répondit en désignant le Chœur de Tripolitaines : « vous ne pouvez les voir parce qu’elle sont caparaçonnées pour une razzia, mais là-bas, ce sont mes cinquante femmes… »
« Noble ami de la piraterie, reprit Sarkominus, je ne doute pas que vous teniez en haute estime Hélios, le dieu qui répand cette chaleur divine qui alanguit nos corps. Aussi suis-je venu avec des contrats, qui, contre une redevance des plus honnêtes, nous permettrons d’extraire le naphte qui regorge dans vos sous-sols. J’ai aussi des contrats pour des catapultes lanceuses de récipients de naphte enflammés, et qui lorsqu’ils sont mis en action, illuminent le champ de bataille et réduisent les cités en cendres. Vous conviendrez que l’on ne peut évoquer les flammes, sans songer, par libre association d’idées, à la passion virile, à celle d’un Zeus apaisant son ardeur en étreignant la froide et lunaire Sémélé. Et finalement quand on songe à l’incendie, comment ne pas penser… au féminin. A propos de féminin, ajouta Sarkominus, vous ai-je présenté Messaline ? Avez-vous vu comme elle est belle ? »
Mouammar le Tripolitain lui répondit en désignant le Chœur de Tripolitaines : « vous ne pouvez les voir parce qu’elle sont caparaçonnées pour une razzia, mais là-bas, ce sont mes cinquante femmes… »
 
« Mon ami, je ne doute pas, poursuivit Sarkominus, que vous teniez en grande estime le divin Hermaphroditos, rejeton d’Hermès, dieu du commerce et d’Aphrodite, déesse de l’amour. L’être hybride souligne que l’on ne saurait évoquer le commerce, sans songer aux étoffes que l’on tâte, aux morceaux gigot rose, tendre et ferme qui nous font saliver, ou aux fruits sur lesquels on passe la langue pour se décider à les acheter ou non... Bref, toutes choses qui ne vont pas sans évoquer, par libre association d’idées, la variété des caresses qu’hommes et femmes peuvent s’échanger. De là, il est difficile d’évoquer le commerce sans songer au monde… féminin. A propos de féminin, demanda Sarkominus, vous ai-je présenté Messaline ? Avez-vous vu comme elle est belle ? »
Mouammar le Tripolitain lui répondit en désignant le Chœur de Tripolitaines : « vous ne pouvez les voir parce qu’elle sont caparaçonnées pour une razzia, mais là-bas, ce sont mes cinquante femmes… »
 
« Mon cher ami, ajouta Sarkominus, je distingue sur ce bas-relief de votre palais, deux héros libyens, les jumeaux Macurtam et Iunam, qui d’après l’interpretatio, s’assimilent aux deux Dioscures, Castor et Polux. Vous voulez, Mouammar réunir l’Africae en un seul Etat et moi, je veux réunir la Mare Nostrum en une Union. Ne sommes-nous point, de par nos projets analogues, des sortes de jumeaux, qui serait d’ailleurs bien avisé de signer le traité de libre échange que j’ai fait rédiger ? Et peut-on évoquer la gémellité sans songer, par libre association d’idées, à la maternité et aux râles soupirants de la femme qui met au monde des copies de nous mêmes et finalement, sans avoir en tête le monde… féminin ? A propos de féminin, demanda Sarkominus, vous ai-je présenté Messaline ? Avez-vous vu comme elle est belle ? »
Mouammar le Tripolitain lui répondit en désignant le Chœur de Tripolitaines : « vous ne pouvez les voir parce qu’elle sont caparaçonnées pour une razzia, mais là-bas, ce sont mes cinquante femmes… »
« Mon cher frère, continua Sarkominus, je viens aussi pour vous transmettre une prière des ploutocrates d’Europe qui souhaitent vous associer à leur grande œuvre. Voudriez-vous participer à la création d’un fossatum Africae, un fossé qui empêchera les Negritis, les Maures et autres Æthiopiens d’émigrer chez nous ? Votre flottille de navires pirates rendrait d’utiles services en arraisonnant les métèques qui tentent, sur de frêles esquifs, d’aborder nos côtes. Et pour cet office, nous pourrions vous rétribuer grassement. Ce fossatum sera notre lien le plus étroit, et il est difficile, convenez-en, d’évoquer un fossatum sans songer, par libre association d’idées, à un sexe… féminin.  A propos de féminin, demanda Sarkominus, vous ai-je présenté Messaline ? Avez-vous vu comme elle est belle ? »
 
Le Chœur des Tripolitaines reprit son chant : « Au fur et à mesure, les évocations aphrodisiaques du César attendrissent et alanguissent le cœur infernal de notre époux infernal, le cruel Mouammar le Tripolitain. Ô gloire à Sarkominus qui répand l’amour entre les peuples ! »  
Soudainement, Mouammar le Tripolitain se jette aux pieds de Sarkominus. Il hurle de joie : « Est-ce bien vrai, mon cher frère ? C’est tout ce que j’aurais à faire pour entrer dans l’Histoire ? Ah ! Si j’avais su ! ». Sarkominus sourit et, lui passant la main dans les cheveux, il répondit : « Sachez en outre, mon cher frère, qu’en entrant dans l’Histoire, vous entrez aussi dans le monde civilisé ! ». A ces mots, les yeux de Mouammar le Tripolitain se remplirent de larmes, et il baisa les mains de Sarkominus et jura de renoncer à la piraterie.
Jugeant sa mission accomplie, Sarkominus retourna à son navire, mais Mouammar le rejoint rempli d’inquiétude : « Ne partez pas si vite mon cher frère ! Et les servantes d’Esculape que j’ai pris en otages ? J’en fais quoi, maintenant que j’ai pris la piraterie en horreur ? » Sarkominus lui répondit : « Ne vous méprenez pas, mon cher frère, mon intention était seulement de vous faire entrer dans l’Histoire. Mais, bon… Si vos otages sont devenues un poids pour vous, vous n’avez qu’à les donner à Messaline. Elle se chargera de les ramener en Thrace ! » (11)
Le Chœur des Tripolitaines se tourne alors vers Kouchnerus, l’ambassadeur plénipotentiaire de Sarkominus : « Ô toi, sage Kouchnerus, qu’elle est donc la morale de cette histoire ? » Kouchnerus répondit avant monter dans la galère : « J’ai bien pensé à démissionner, mais je n’ai pas voulu déserter. » (12)
2. Où l’on relate la pièce « Le mystère du chapeau de feutre de César Mitterandus »
Au milieu du tonnerre d’applaudissements et des hourras à la gloire de César Sarkominus, Démocrite m’entraîna par les vomitoires pour gagner la rue. « J’espère que le prochain spectacle sera un peu plus sérieux », murmura Démocrite. Nous tournâmes plusieurs fois dans des ruelles pour trouver un petit théâtre délabré qui affichait un spectacle intitulé « Le mystère du chapeau feutre de César Mitterandus ».
Il s’agissait d’un spectacle de la « dyonisie d’Avennio off », disposant d’infiniment moins de moyens. Nous n’étions d’ailleurs qu’une quinzaine de spectateurs sans coussins pour nous asseoir sur les dalles. Le mur du front de scène était crasseux, éclairé par quelques malheureuses torches. Le spectacle commença avec un quart d’heure de retard. Peut-être les organisateurs retardèrent-ils le début de la représentation dans l’espoir de voir venir quelques spectateurs supplémentaires.
Un Chœur, composé de personnages aux visages blafards censés représenter les centurions du parti plébéien, entra sur scène, très lentement. Le coryphée fit un pas en avant vers le public. Il regarda le public avec un air désespéré, sans qu’on sache si c’était prévu par la mise en scène ou si c’était la recette qui s’annonçait désolante qui lui inspirait cette expression déchirante. Une minute plus tard, toujours silencieux, il fit un second pas en avant en direction du public. Il regarda de nouveau le public avec un air que je qualifierais de ravagé. De nouveau il fut impossible de faire la part entre ce qui revenait aux intentions de la mise en scène et l’influence qu’à pu avoir le fait que quatre spectateurs, qui venaient de découvrir qu’ils s’étaient trompés de spectacle, quittèrent la salle. Le coryphée prononça sur un ton lugubre : « Notre chef, le sénateur Hollandus… » Aussitôt, le Chœur poussa un immense soupir. Le coryphée reprit : « dans le camps fortifié de Solphérinus ». Le Chœur poussa de nouveau un immense soupir. Le coryphée poursuivit : « a réunis nos alliés. » Le Chœur poussa un râle désespéré.
Des personnages représentant Hollandus, le sénateur Vallsus et les alliés - le sénateur Cohn-Benditus et la sénatrice Buffétia -, traversèrent la scène, lentement, puis s’assirent autour d’une table.
Le Chœur reprit : « Ô infortunés plébéiens ! Aux défaites continuelles succèdent les défections répétées ! Comment ne pas être amer, quand on songe au sénateur Strauss-Kahnus qui s’est exilé en Atlantide, acceptant de devenir le Grand Questeur de l’Internationale des ploutocrates ? Comment ne pas être attristé par le sénateur Rocardus, parti avec le massaliote Pythéas explorer le grand nord afin d’y étudier un étrange « poumon marin », matière froide et blanchâtre en suspension sur l’eau, qui n’est ni air, ni terre, ni mer, mais où « tous les éléments sont tenus en suspension et comme réunis à l'aide d'un lien commun, sans qu'il soit possible à l'homme d'y poser le pied, ni d'y naviguer » (13). Comment sans fondre en larmes, évoquer le jadis fringuant Langus qui - ô vieillesse ennemie ! – n’a plus d’autres joies que celles que lui procurent ses conversations sur la nature des lois avec le non moins sénile Balladurus ? Enfin, comment retenir des cris déchirants quant aux défections répétées s’ajoute la litanie des trahisons, celles, notamment, de Kouchnerus, Bessonus, Bockelus, Amaria, Attalius, Allègrus ? » (14)
Le Coryphée s’écria : « Silence ! Ne prononcez plus jamais ces noms maudits de peur que la liste ne s’allonge ! Peut-être y a-t-il, d’ailleurs, un traître parmi nous qui s’apprête secrètement à rallier Sarkominus ! »
Tous les membres du Chœurs se mirent alors à courir en tout sens, fouillant partout et s’entrechoquant les uns les autres.
Puis le coryphée s’écria : « Centurions du parti plébéien ! Regardez ! Prêtez attention à l’expression étrange qui s’est peinte sur le visage du sénateur Vallsus ! »
Soudain, le sénateur Vallsus, les yeux hagards, proféra sur un ton lugubre : « Un plébéien moderne est un plébéien qui vit dans un Palais ! Oui ! Je vous le dis ! Je crois aux forces de l’esprit du Palais, je ne veux pas quitter le Palais ! » Après avoir prononcé ces phrases étranges, et suscité le plus vif étonnement, Vallsus sombra dans une sorte d’apoplexie.
Hollandus gêné dit alors à ses convives qui eurent la bienséance de feindre n’avoir rien entendu : « Nobles alliés, il est tard. Je vous propose de poursuivre nos négociations demain. » Le sénateur Cohn-Benditus et la sénatrice Buffétia quittèrent la scène. Aussitôt Hollandus s’enquit auprès de Vallsus de son état. Mais ce dernier, sur le ton le moins convainquant, affirma qu’il n’avait jamais connu meilleure forme ! Hollandus, quoiqu’intrigué, décida de se retirer à son tour. Il rassembla ses affaires et, pour faire de la place dans son sac, il en retira un petit portrait de Mitterandus, qu’il posa sur la table, juste devant Vallsus. Ce geste anodin provoqua chez Vallsus un sursaut de terreur, accompagné d’un râle presque muet, mais tout à fait déchirant. Il tremblait de tout son être, le cou tordu et son visage pointait vers le plafond pour éviter la vue du petit portrait.
Hollandus prit alors en main le petit portrait de Mitterandus. Il s’éloigna de la table à pas feutrés. Il fit silencieusement le tour de la scène, pour se rapprocher de Vallsus par derrière. Puis, d’un geste prompt, il plaça le portrait de Mitterandus sous le nez de Vallsus. Le geste déclencha chez le jeune sénateur une série de mouvements convulsifs. Parce qu’il y avait mystère derrière tout cela, mais aussi, parce que - d’un autre côté -, c’était un peu rigolo, Hollandus répéta plusieurs fois l’opération, provoquant, chaque fois, les mêmes sursauts et éructations. Et comme il avait des talents d’imitateur, Hollandus ajouta à l’exposition répétée du portrait, des « imbécile ! imbécile ! » qu’il prononçait en imitant la voix du vieux Mitterandus. Vallsus ne put en tolérer davantage : il s’évanouit et tomba de son fauteuil.
Hollandus resta perplexe, puis appela le sénateur Hayraultus, qu’il savait dans la pièce d’à côté. Quand celui-ci pénétra sur scène, Hollandus lui mit le portrait sous le nez et prononça, toujours en imitant la voix de Mitterandus : « Imbécile ! Imbécile ! »
« - Ça va bien ? », demanda Hayraultus très surpris.
« - C’était un test, mon bon Hayraultus… je savais que je pouvais compter sur toi ! », lui répondit Hollandus.
Après lui avoir exposé les faits dont il avait été témoin, Hollandus proposa de ranimer Vallsus, et de l’interroger. D’abord, Vallsus fut dans le déni le plus manifeste : « Je suis l’homme le plus joyeux de la terre ! ». Agacé par ce manque de coopération, Hollandus le menaça d’agiter de nouveau le portrait de Mitterandus sous son nez, et pour lui signifier qu’il ne plaisantait pas, il proféra, en imitant la voix de Mitterandus, un : « Oui ! Je vous le dis ! Je crois aux forces de l’esprit du petit portrait ! Attention ! Le petit portrait ne te quittera plus ! »
Vallsus, désespéré, poussa un « Pitié ! Je vais tout avoué ! », avant de raconter l’histoire la plus étrange : « Chaque nuit, depuis des semaines, le spectre de Mitterandus vient me tourmenter. Chaque nuit, jusqu’à l’aube, il me lance des imprécations terribles, des : « Imbécile ! Un plébéien moderne vit dans les Palais ! Imbécile ! Si tu n’es pas capable de conquérir le Palais, va donc voir Sarkominus » ! A cause de toutes ces attaques nocturnes, je ne dors plus depuis des semaines ! »
« Mais, pourquoi Mitterandus nous fait-il un coup pareil !?! », s’écrièrent Hollandus et Heraultus, atterrés.
Le Chœur des centurions du parti plébéien revint sur scène : « Ô infortunés plébéiens ! Quelle misère ! Comment échapper au désastre, si le plus noble et le plus ancien de nos héros répand sur nous ses maléfices ! » Le coryphée fit alors cette remarque : « Pourquoi ne pas interroger Orphée ? Sarkominus l’a outragé en professant sa haine des peuples thraco-phygiens qui vivent de part et d’autres des rives de l’Hellespont. Sa connaissance du monde des morts étant sans égale, probablement pourra t-il communiquer avec le défunt César Mitterandus. Il pourra, ô sénateur Hollandus, nous aider à découvrir le sortilège qui frappe notre parti ! »
Orphée entra alors en scène. Le Phrygien accepta sans difficulté de les aider. Il interpréta alors l’un de ses chants inimitables, dont l’harmonie avait jadis envoûté des monstres et Hadès, lui-même. Puis, le visage illuminé par un sourire radieux, Orphée annonça : « L’ombre de Mitterandus consent à vous accorder une audience ! ».
On vit alors paraître, du fond de la scène, orné d’un masque blafard, César Mittérandus.
« - Ô noble Mitterandus, est-ce bien toi qui vient vers nous ? », demanda Hollandus.
« - Qui veux tu que ce soit ? Imbécile ! », répondit le spectre.
« - Ô noble Mitterandus, interrogea Hollandus, pourquoi persécutes-tu mes compagnons ? Pourquoi, toi qui nous as mené tant de fois à la victoire, te retournes tu contre tes fidèles ? »
 
« - Parce que vous êtes des voleurs ! », prononça sentencieusement le spectre.
Hollandus et Héraultus se regardèrent, car cette réponse leur sembla aussi inattendue que déplacée.
« - Souvenez-vous !, reprit Mitterandus. Conformément à la coutume, le jour de ma mort, mes plus fidèles compagnons, se réunirent autour de ma dépouille, pour prélever chacun une part de mes trophées. Toi, Hollandus, tu as pris, en souvenir de moi, mon bouclier. Toi, Héraultus, tu as pris mon casque. Moroyus a prit ma lance ; Langus, mon épée ; Strauss-Kahnus, mon poignard, et ainsi de suite... Mais, l’un d’entre vous, que je n’ai point aperçu, à transgressé la coutume en prétextant d’un droit d’inventaire et s’est emparé d’un chapeau de feutre qui ne comptait point parmi les biens que j’avais consenti à léguer. A cause de ce vol, j’erre sans repos, bien décidé à ne pas me rendre aux enfers sans mon chapeau de feutre. Cet objet familier, intime, qui m’a toujours accompagné, tout au long de ma vie et tout autour du monde, je le veux ! Il me fera me rappeler, là-bas, qui j’ai été dans en ce monde, et tout ce que j’ai vécu au cours de ma vie ! J’ai peur Hollandus ! J’ai peur qu’aux enfers nous perdions la mémoire de cette vie que j’ai insatiablement dévorée ! Mes compagnons, ramenez-moi mon chapeau, car je crois aux forces de l’esprit du petit chapeau, et tant que vous ne me l’aurez pas rapporté, je ne vous quitterais pas ! »
Hollandus demanda confirmation : « C’est bien sûr ? Nous te ramenons ton chapeau, et tout sera bien fini ! Après, tu arrêteras de faire peur à nos compagnons ! C’est promis-juré ? »
« - Tu veux que je te l’écrive ? Imbécile ! », lança le spectre de Mitterandus, en s’évanouissant.
Se remémorant la pieuse cérémonie, Hollandus et Héraultus retrouvèrent dans leur mémoire, l’image du voleur de chapeau : « le voleur, c’est Jospinus ! », s’écrièrent-ils.
A la seule évocation de ce nom le Chœur poussa un cri de désolation : « Ah ! Jospinus ! Ah, naïfs plébéiens, vous avez cru pouvoir oublier ce nom désolant ! Le prononcer c’est faire surgir le spectacle affligeant de la pire défaite qu’ai jamais connu le parti plébéien ! Ah ! Jospinus, homme damné qui laissa nos légions partir sans alliés pour se retrouvées prise en étau entre les légions de Chiracus et les bandes criminelles de Lepenus ! Nul, parmi nos légionnaires survivants, ne put supporter d’entendre Jospinus hurler, au milieu des cadavres et des blessés agonisants : « Je prends tout sur moi ! Ah ! Qu’est-ce que je souffre avec abnégation d’être le seul responsable ! Ah ! Nul homme sur cette terre, à la notion de tout ce que j’endure en assumant seul la défaite ! » Des jours durant, le flot des lamentations de Jospinus fut tel que les plébéiens finirent par se saisir de lui pour le charger sur un navire et l’abandonner sur un îlot désert. »
Hollandus bien résolu à s’emparer du chapeau, affréta une galère et rejoignit l’île de Réïus accompagné de plusieurs chefs du parti plébéien, dont Delanoïus.
Le sénateur Hollandus, sur la plage de Réïus, exposa son plan au sénateur Delanoïus : « Voici le sol de Réïus qu’enveloppent les flots tumultueux, caps sinistres et déserts, où jadis, sur l’ordre du parti plébéien, j’ai abandonné le noble Jospinus. C’était sage, car nous ne pouvions plus procéder en paix, ni à une libation, ni à un sacrifice : Jospinus emplissait l’armée de trop de clameurs sinistres et de litanies affligeantes ! Mais à quoi bon rappeler ce passé lugubre ? L’heure n’est point au long discours, noble Delanoïus ! Il te faut à présent t’acquitter de ta mission. Comme il ne faut point que Jospinus me découvre, tu devras partir seul à sa rencontre et trouver sa caverne. Il te faudra, non seulement, faire preuve de courage physique, mais aussi de force de persuasion. L’homme, en dépit de l’affection qu’il te porte, est d’un naturel soupçonneux. Tu lui diras que tu as quitté le parti plébéien, et que tu as contre nous, de sérieux motifs de haine. Tu diras toutes les horreurs que tu pourras imaginer sur mon compte. Cela ne te sera pas difficile, et cela ne m’offusquera en rien. Puis, après avoir gagné sa confiance, tu l’attireras vers la plage. En gage d’amitié, tu lui présenteras une offrande qu’il pourra sacrifier de ses propres mains : l’amazone Royalia. Il la trouvera pieds et poings liés sur un bûcher que nous aurons dressé. Ainsi pourrais-je m’introduire dans sa caverne et reprendre le chapeau de Mitterandus. »
Delanoïus lui répondit : « Ô noble Hollandus, qu’il me coûte de recevoir ces ordres que mon cœur répugne à exécuter ! Je ne suis point fait pour agir en usant de vilains artifices. Mais j’ai compris l’importance de ma mission et n’ignore point que l’avenir du parti plébéien dépend de cet exploit. »
Le Chœur des centurions plébéiens entama alors son chant : « La pitié nous envahit lorsque nous songeons aux souffrances de Jospinus, héros abandonné par les siens ! Il ne se doute point que le dernier de ses fidèles, Delanoïus au noble coeur, s’apprête à le trahir ! Ah ! La pitié nous submerge quand nous songeons aux efforts que Delanoïus doit accomplir sur lui-même et combien il doit être amer de tromper un ami ! Voyez-le gravir la colline pour rejoindre la caverne de Jospinus. Il l’appelle ! Jospinus sort de sa caverne. Ô ruse infâme, digne d’un Sarkominus ! Voilà à quoi nous en sommes réduits ! Mais, asséchons nos larmes, car ce n’est pas tout, nous avons un bûcher à dresser ! »
Jospinus, sortant de sa caverne, cria : « Qui m’appelle ? Comment, étranger, as-tu réussi à atteindre cet îlot désolé qui n’a nulle plage où accoster ? N’est-ce pas bizarre ? »
Delanoïus lui répondit : « La plage ?… Et bien… C’est que je l’ai moi-même faite installée… car, vois-tu, je ne me déplace jamais sans quelques sacs de sables, transats et parasols… »
Jospinus, soupçonneux, l’interpelle : « Approche, étranger ! Ne crains point un homme que l’Infortune a transformé en sauvage qui se nourrit de chaires crues ! Explique-moi ta présence en ces lieux, si tu ne veux point mourir ! Est-ce un naufrage qui t’a mené jusqu’ici ? Dis-moi ton nom. »
Le coryphée et le Chœur entrent de nouveau sur scène et le coryphée entonne : « Delanoïus s’est nommé et à présent les deux héros partagent, en de grandes effusions et embrassades, la joie de leurs retrouvailles. Mais déjà Delanoïus, avec de fausses paroles, tend ses rets pour entraîner Jospinus vers la fantasmagorie que nous lui avons préparé. Ils viennent vers nous, tandis qu’Hollandus, le héros aux mille ruses, en profite pour s’introduire dans la caverne. »
Le Chœur des centurions plébéiens s’exclame : « Ah ! Qu’il est pénible d’obtenir un succès au prix d’un hideux mensonge ! »
Le coryphée s’écrie : « Comme j’ai honte d’éprouver de la joie à voir Hollandus ressortir de la caverne avec l’inestimable chapeau en sa possession ! »
Le Chœur des centurions plébéiens ajoute : « Ah ! Funeste chapeau de feutre ! Ah ! Cruel Mitterandus ! Es-tu à présent satisfait, spectre intraitable ? »
Le coryphée s’agite soudain : « J’aperçois Jospinus, les yeux injectés de sang et défiguré par un horrible rictus, qui dévale les pentes abruptes de la colline, un flambeau à la main. Abritons-nous derrière la falaise, pour n’être point aperçus. »
Le Chœur des centurions plébéiens s’exclame : « Jospinus dans son égarement met le feu au bûcher et se met à danser. Semblable au chant pitoyable du rossignol, la triste voix de Royalia s’élève vers les cieux. Entre des râles, elle fait le noble serment de pardonner à Jospinus, âme possédée par la fureur, qui ne sait pas ce qu’elle fait. Elle nous arrache des larmes avec ses lamentations sur le sort cruel qui frappe en permanence la race des femmes, mais, la noble amazone pardonne, toujours et encore, car elle sait que ceux qui l’agressent font surtout du mal au parti plébéien (15). »
Le coryphée, interrogatif, demande : « Vous êtes sûrs que telles sont ses majestueuses paroles de Royalia ? Ne dit-elle pas plutôt - vous me corrigerez si je me trompe – quelque chose comme : « dépêchez-vous de me sortir de là, bande de dingues ! » ? Courrons compagnons ! Et n’oublions point la biche qui doit lui être substituée ! »
Hollandus entra sur scène en tenant le chapeau de feutre. « A présent ramenons-le sur la tombe de Mitterandus à Jarnacus. Mais qu’y a t-il dans la doublure de ce chapeau ? Qu’est-ce donc que ce manuscrit ? Par tous les dieux ! Ce sont les 110 propositions de Mitterandus, que tout le monde avait cru égarées et, à jamais, disparues ! Rendons au spectre ce qui appartient au spectre ! Remettons ce manuscrit dans le chapeau en espérant que nous n’aurons plus de défection dans nos rangs ! » (16)
3. Où l’on relate l’annulation de la représentation du spectacle « Les amours éternels de Sarkominus et Messaline »


Démocrite, en sortant du spectacle, fit cette critique : « Autant le premier spectacle était invraisemblable, autant le second a permit une heureuse rencontre entre, d’une part, l’art tragique et, d’autre part, la prédisposition naturelle des membres du parti plébéiens à se morfondre et à se déchirer. Ils maîtrisent avec naturel l’art de pleurer sur eux-mêmes et de se crier dessus avec les accents funestes des Atrides. Le ton a été juste tout au long du spectacle. L’important, en art, est de produire un accord entre la forme et la nature du sujet traité. Et c’est bien ce qui a fait défaut au premier spectacle ! La forme théâtrale est incompatible avec le naturel de César Sarkominus. Son style, sa manière, ne peut être rendus que par l’art de la pantomime. Cette forme seule révèle le talent d’un homme qui joue simultanément plusieurs personnages, alternant subitement le rôle de l’agresseur, du cajoleur, de la victime, de l’enfant de bonne volonté et du tyran… Seul le pantomime alterne les rôles de celui qui décide de tout et de celui qui n’y est pour rien, de celui qui pose les questions et de celui qui y répond, de celui qui suggère une idée et de celui qui y applaudit. Pas plus que Sarkominus n’a besoin d’un Fillonus pour gouverner, la dramaturgie Sarkominienne s’affadit dès qu’on l’encombre de personnages. Y planté un faire-valoir, c’est déjà faire de l’ombre au personnage, car même que le plus rampant des courtisant ôte à Sarkominus le plaisir ineffable qu’il éprouve à s’adresser à lui-même les éloges les plus flatteurs. »
Après avoir dîné, nous nous dirigeâmes vers un autre théâtre qui programmait « Les amours éternels de Sarkominus et Messaline ». Une foule énorme stationnait devant l’entrée. Les visages étaient d’une tristesse extraordinaire. Nous apprîmes que la représentation était annulée. Au petit matin, disait la rumeur, Messaline s’était enfuie vers l’Atlantide pour y rejoindre son amant.
Elkhabachus sortit du théâtre pour aller au devant de la foule. Il jeta son phallus fabuleux à terre, pour bien faire comprendre à la foule qu’il n’interprétait pas son personnage, et que ce serait l’homme lui-même – Elkhabachus – qui parlerait. Visiblement ému, il annonça à la foule inquiète : « Sarkominus a répudié Messaline ! C’est là, la conséquence de l’amour sans limite et sans partage qu’il éprouve pour son peuple. Notre grand César n’a-t-il pas déclaré : « Il me fallait me donner tout entier, aimer sans réserve, abolir toutes les barrières, supprimer toutes les distances, et par conséquent, à mon tour, accepter de devenir plus vulnérable et prendre le risque de souffrir. Et bien, c’est ce que j’ai fait. Je ne connais pas l’avarice des sentiments lorsqu’il s’agit du pays de Droite et de son peuple. » (17) ? Les liens conjugaux étaient des bornes monstrueuses fixées à l’amour illimité de notre César ! En outre, l’amour enfin libéré de notre César nous ouvre d’infinies et merveilleuses spéculations autour du thème : de qui le divin Sarkominus est-il amoureux ? Cet affranchissement du joug matrimonial offre à toute les femmes et - pourquoi pas -, à tous les hommes, la possibilité de dévoiler sans gène l’amour qu’ils éprouvent pour notre César. Aussi j’hurle, avant que mon cri ne soit couvert par la clameur du peuple tout entier : Sarkominus, je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! »  
Apathus, vêtu d’une robe solaire, surgit à temps pour soutenir Elkhabachus gagné par des vertiges. Apathus après avoir renouvelé les excuses de la compagnie pour l’annulation du spectacle, « l’actualité ne permettant pas de présenter le chef d’œuvre prévus », il ajouta pour rassurer les spectateurs : « Dès demain, vous aurez droit à un autre spectacle. Vous avez le droit à ce qu’on vous raconte des histoires. Et vous pouvez compter sur nous : des histoires vous en aurez encore, et tous les jours ! »

Notes


(1) Avignon
(2) Les dionysies sont des fêtes en l'honneur de Dionysos, qui donnaient lieu à des représentations théâtrales rituelles, des hymnes (en particulier le dithyrambe), des processions échevelées et grotesques de bacchants et de bacchantes, des phallophories.
(3) Démocrite, fragment, B, CCXXX, Stobée, Florilège, III, XVI, 22
(4) Siparium : sorte de rideau de scène ; Proscenium : Plate-forme surélevée d'une ou deux marches qui s'étendait entre le fond du théâtre et l'orchestre et sur laquelle jouaient les acteurs ; Pulpitum : partie du proscenium la plus voisine de l'orchestre
(5) Hérodote, Histoires, L. IV, CLXXXIX
(6) Nicolas Sarkozy, discours prononcé à Dakar le 26 juillet 2007
(7) Florus, Abrégé de l'histoire romaine, Livre Troisième, VII.
(8) Le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la Pan Am est détruit en vol par un attentat, au-dessus de Lockerbie en Écosse : deux cent quarante-trois morts. Puis, le 19 septembre 1989, un DC10 d’UTA explose au-dessus du Sahara. Cent soixante-dix personnes, dont une majorité de Français, trouvent la mort. Ces deux attentats ont été attribués à la Lybie.
(9) Apulée, Apologie.
(10) Hérodote, Histoires, L. IV, CLXVIII.
(11) Le 12 Juillet 2007, Claude Géant et Cécilia Sarkozy se rendent en Libye pour rencontrer le colonel Kadhafi afin d’évoquer le sort d'un médecin palestinien, naturalisé Bulgare, et de cinq infirmières bulgares, arrêtés le 16 février 1999 et condamnées à mort le 6 mai 2004 par la justice libyenne, sur l'accusation d'avoir délibérément inoculé le virus du sida à plus de quatre cents enfants de l'hôpital de Benghazi. Le 22 juillet 2007, une nouvelle délégation, toujours composées de Claude Géant et Cécilia Sarkozy, mais aussi de la commissaire européenne aux Affaires extérieures, Benita Ferrero-Waldner, obtient, le 24 juillet, la libération des six soignants. Ceux-ci sont ramenés en Bulgarie dans un avion affrété par la France. Le 25 juillet 2007, Nicolas Sarkozy rend visite à Kadhafi en Libye, puis du 7 eu 15 décembre, Kadhafi fera une visite d’Etat en France. Un accord sanitaire (investissement de la France dans l’hôpital de Benghazi, formation, accueil en France d’enfants malades) est signé. On s’est étonné de la « faiblesse » relative des contreparties. L’entrée de Kadhafi dans la catégorie des dirigeants politiques « fréquentables » (en dépit de son bilan monstrueux en terme de droit de l’homme et de son inscription, par les USA, sur la liste noire des états terroristes) a-t-elle été la contrepartie suffisante à la libération des six soignants ? La France vendra des missiles à la Libye et rénovera des avions de combat mirage. En 2009, elle vendra pour 44,3 millions d’euros d’armes. La Libye reçoit depuis 2009, des aides de l'Union européenne, dans le cadre de sa « politique de voisinage » et sa coopération dans la lutte contre l'immigration clandestine à partir de ses côtes. On apprendra plus tard la création d’un fond pour le dédommagement des familles (462 millions d’euros, soit 1 millions d’euros par enfants), auquel auraient contribués la République Tchèque, le Qatar et la Bulgarie. En août 2009, la justice écossaise libère un responsable des services secrets libyens, Abdelbaset al-Megrahi, condamné en 2001 pour l’attentat à la valise piégée contre un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan Am, qui avait fait 270 morts, dont 189 Américains, le 21 décembre 1988 au-dessus du petit village écossais de Lockerbie. Officiellement, cette libération a été accordée pour des causes médicales.
(12) Le 30 août 2010, après l'affaire de l'expulsion des Roms, Bernard Kouchner déclare sur RTL : « J’ai bien pensé à démissionner, mais je n’ai pas voulu déserter »
(13) Le navigateur Phytéas, parti de Massalia (Marseille), a effectué vers 340-325 avant J.-C. un voyage dans les mers du nord de l'Europe. Il évoque une île de Thulé, qui reste de nos jours sujet à débats, car il peut s'agir de l'Islande ou d’une côte Norvègienne, les grecs nommant souvent « île » des presqu’îles. Il semble avoir rencontré la banquise qu’il nomme « poumon marin », à moins que par « poumon marin » il ait voulu désigner l’aspect gélatineux que présente la mer lors de la formation de la banquise, phénomène qui ne se produit que dans les régions situées immédiatement au nord de l’Islande. Pythéas, autant que marin est un scientifique : il apporte des éléments qui confirme la sphéricité de la terre, mais aussi de son oblicité. Il estime la latitude de Massalia à 43° 3' N (au lieu de 43° 17') et estime le périmètre de la Grande-Bretagne, dont il décrit la forme triangulaire, 42 500 stades (soit entre 7 650 et 7 200 km) ce qui est proche des 7 850 km mesurés aujourd’hui. Strabon qui ne peut croire que la mer soit gelée le considère comme un affabulateur - Géographie, II, IV, 1.
(14) Dominique Strauss-Kahn devient Directeur du FMI en octobre 2007. Michel Rocard accepte, en 2009, le poste d'ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique et présidera avec Juppé une commission sur le grand emprunt. Jacques Lang participera en 2007 au Comité Balladur sur la réforme de la constitution. Bernard Kouchner sera Ministre des Affaires étrangères et européennes. Eric Besson sera secrétaire d’État chargé de la Prospective, de l’Évaluation des politiques publiques, puis Ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire, puis Ministre chargé de l'Industrie, de l'Énergie et de l'Économie numérique. Jean-Marie Bockel sera secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie, puis secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants, puis secrétaire d’État à la Justice. Fadela Amara sera Secrétaire d'État chargée de la Politique de la ville. Jacques Attali présidera la Commission pour la libération de la croissance française créée en 2007. Claude Allègre n’aura rien en dépit de tout le bien qu’il a pu dire de Sarkozy.
(15) Le 17 septembre 2009, Ségolène Royal répond aux attaques de Lionel Jospin : « Au fond ce qui me vient à l'esprit c'est peut-être cette parole de la Bible “pardonnez-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font”. Donc, je pardonne à tous ceux qui m'agressent parce que d'abord je pense qu'ils me font moins de mal à moi qu'aux socialistes, qu'à toute la gauche... Je crois aussi malheureusement qu'il y a, et peut-être est-ce aussi inconscient, dans toutes ces attaques, du sexisme et à le voir à ce point aussi fort, j'en suis moi-même surprise, je pense qu'il s'apparente au racisme... J'ai l'impression en lisant tous ces ouvrages que si j'étais Jeanne d'Arc, j'aurais déjà été brûlée vive. »
(16) Le 28 janvier 2008, le fameux chapeau en feutre noir de François Mitterrand a été racheté au cours d'une vente aux enchères pour 7.800 euros (+ 24 % de frais de vente, soit 9.666 euros) par le Parti Socialiste et ramené au musée de Jarnac, ville où Mitterrand est enterré. Depuis, le PS ne compte plus de défection dans ses rangs.
(17) Nicolas Sarkozy, Discours à Bercy (29/04/07)

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