Chapitre III Où l’on montre que le rire est ce qui il y a de mieux partagé entre les hommes et les dieux
Résumé des épisodes précédents : Le sage Démocrite visite la petite colonie grecque de Cap negriti dont les habitants sont passablement effrayés par l’élection de César Sarkominus. Le philosophe Xénophon curieux d’entendre Démocrite et son rire fameux, lui a demandé si l’on pouvait rire de tout, et des dieux en particulier.
1. Où l’auteur relate sa conversation avec le sage Démocrite à propos des fagots, des atomes, du rire et de la mort

Démocrite riant par Hendrick ter Brugghen
Je ramassais du bois mort, au petit matin, quand j’aperçus Démocrite faisant une promenade dans le cimetière. La brume et le lointain rendaient la scène peu distincte, mais Démocrite me semblait aller comme un fou, parlant seul dans sa barbe blanche, s’amusant d’on ne sait quoi au milieu des tombes. Je ramassais encore des branches, quand le sage, venu à moi, me dit : « Mon garçon, tu as composé un très bel assemblage de bois mort. »
« - Nous appelons cela un fagot », répondis-je avec ironie.
« - Ah non ! répliqua t-il, je sais ce que c’est qu’un fagot. Un fagot est retenu par quelques lanières. Là, ce que tu as créé est une véritable composition. Ta vingtaine de bouts de bois, sont agencés et entremêlés pour tenir ensemble sans la contrainte du moindre lien. »
Il disait vrai. Pour perdre le plus de temps possible dans mon travail, j’oubliais toujours de prendre de la corde, ce qui m’obligeait à choisir la disposition des bouts de bois pour qu’en fonction de leurs formes ils « s’accrochent » et « s’entremêlent » les uns aux autres : les bâtons rigides et concaves épousaient ceux qui avaient une forme convexe, des branches souples et vertes ondoyaient entre elles pour les enlacer, ceux qui se terminaient par un moignon de branche oblongue servaient de cales pour empêcher des branches les plus fines de glisser et, enfin, des morceaux de bois morts, des bouts d’écorces ou de mousse, s’intercalaient dans les vides pour consolider l’ensemble… Il m’était difficile de nier que j’avais fait du ramassage du bois, une activité hautement ludique.
« - Puis-je regarder ton chef d’œuvre de plus près ? », me demanda Démocrite. Comme je lui tendais mon fagot, il leva les mains et m’adressa : « je n’ose pas le prendre entre mes mains, j’ai bien trop peur de l’abimer ! ».
Démocrite observait mon fagot et l’inspectait en murmurant des : « c’est splendide… toutes ces branches étaient faites pour se rencontrer… c’est très harmonieux…. Tu as du talent mon garçon… Il faut persévérer… Ton assemblage de bois mort est une belle image de la créativité de la matière… »
« - Je ne suis pas sûr de vous comprendre », répondis-je.
« - C’est que de même les corps sont formés d’atomes entremêlés, me répondit-il. Si les atomes, qui forment les corps, demeurent liés entre eux c’est « par les accrochages et les entremêlements » qu’ils forment entre eux, en utilisant opportunément leurs aptitudes à se lier ensemble. « Les uns sont scalènes, d’autres en forme d’hameçon, d’autres concaves, d’autres convexes et d’autres présentent d’autres innombrables différences » et ces différences leurs permettent de se rencontrer, de former ensemble un corps, « jusqu’à ce quelques nécessités plus fortes venues de l’extérieure les fendent d’une secousse et les dispersent séparément. » (1) Mais, au juste, comment t’appelles-tu ? »
« - Protagoras », répondis-je.
« - Et tu t’intéresses à la philosophie ? », me demanda t-il.
« - Je ne sais pas... Mais votre discussion avec Xénophon, on dirait une sorte de combat… Je suis assez impatient de voir comment vous allez vous sortir du piège que vous a tendu Xénophon », répondis-je.
Démocrite me regarda étonné.
« - En vous demandant si l’on peut rire des dieux…, poursuivis-je en cherchant mes mots. C’est un piège évidemment. Vous êtes Démocrite, tout le monde vous connaît à cause du fameux rire de Démocrite. Et donc… soit vous direz que l’on ne peut pas rire des dieux, et dans ce cas, chacun verra les limites du fameux rire de Démocrite... soit vous direz que l’on peut rire des dieux et vous passerez pour impie… »
Démocrite me scrutait, étonné : « Tu crois que Xénophon a voulu me tendre un piège ? Il me semble plutôt que Xénophon est un homme intelligent et par conséquent capable de reconnaître les limites de sa propre intelligence. Je ne vois rien d’étonnant, et encore moins de malicieux, à ce qu’il interroge le plus grand sage de la Grèce sur une question aussi épineuse. »
Je scrutais le vieillard à mon tour pour deviner s’il plaisantait ou si sa vanité pouvait le rendre à ce point naïf.
« - Mais, fis-je, on ne peut tout de même pas rire de tout. La mort, par exemple, ce n’est pas très drôle ! »
« - Rire de tout…, soupira Démocrite en levant les bras au ciel. Cela ne veut rien dire « rire de tout ». Il est infect de rire du malheur d’autrui. Mais, alors, pourquoi deux hommes qui auront partagé un même malheur trouveront le moyen d’en rire ? On confond, ici, le sarcasme et le rire. L’homme sarcastique considère, d’une part, le malheur, et, d’autre part, songe : « ce malheur ne m’est pas arrivé à moi, mais à autrui. » Les deux malheureux qui rient ensembles, de même considèrent le malheur, mais ils songent en se regardant l’un l’autre : « ce malheur ne m’est pas arrivé à MOI, mais à NOUS. » Le rire pose l’énigme vertigineuse d’un lien entre un malheur et une commune humanité alors que le sarcasme crée un gouffre entre soi et le malheureux.
Qu’en est-il de la possibilité de rire de la mort ? Et, tout d’abord, qu’est-ce au juste que la mort ? La mort est le travail de déliaison des atomes qui formaient un corps et une âme. Les atomes de l’âme, qui sont de forme ronde et de taille minuscule, se répandent dans le corps et y circulent, un peu comme les atomes de l’air circulent à cet instant au milieu de ton assemblage de bois mort. Igné et très mobiles, les atomes de l’âme en heurtant les atomes du corps mettent le corps en mouvement. Les atomes du corps, tels les atomes qui forment les os, ont une mobilité nulle et ceux qui forment les muscles ont une mobilité contrainte. Avec le travail de déliaison qu’opère la mort, les atomes du corps sont rendus à une mobilité sans entrave, si bien que le corps devient une masse d’atomes grouillante, sur laquelle les atomes de l’âme n’a plus de prise. L’âme est alors comme une braise tapie au fond du corps, elle n’agit plus puisque le souffle de la respiration n’est plus là pour l’aviver. L’âme est tapie dans le corps, mais le corps, lui, se meut par les secousses que produit la déliaison des atomes.
Voilà pour la mort. A présent, pour examiner si l’on peut rire de la mort, demandons-nous qui rit lorsque nous rions ? L’âme qui à découvert l’objet comique ? Ou bien le corps, ébranlé tout entier et secoué en tout sens ? Dans le rire, les atomes du corps et de l’âme se convoquent les uns les autres, ils vont à l’unisson.
Imagine, à présent, un cadavre. Sache d’abord que « les cadavres ont des sensations » (2), car la fin de la respiration, n’est pas la fin de l’activité de l’âme. L’âme tapie dans le cadavre est d’abord étonnée car elle ne parvient plus à agir sur le corps. Puis elle perçoit des mouvements infimes qui sont ceux des secousses produites par la déliaison des atomes. Ces mouvements iront en s’amplifiant, pour devenir inouïes avec l’arrivée de vers et d’asticots. L’âme du sage percevra ces impressions comme s’il s’agissait de chatouillis, ce qui ne peut que l’inciter à se remémorer les instants délicieux passés à rire en bonne compagnie du corps. »
« - Donc, fis-je, la mort n’est pas drôle en soi, mais elle pourrait l’être pour le cadavre ? »
« - Sous réserve que ce cadavre ait l’âme d’un sage !, corrigea Démocrite. Un sage, je veux dire, un philosophe ami de son corps, un philosophe tels les gymnopèdes indiens ou les philosophes dansant, à l’exemple de Socrate, « vieillard, tout nu en présence de la foule » qui montrait à ses disciples qu’en « dansant nulle partie de son corps n'est demeurée inactive : cou, jambes et mains, tout était en mouvement » (3). L’âme qui aura trouvé un accord avec son corps recevra sans frayeur les impressions produites par le cadavre. Evidemment, si l’âme a maltraité son corps, il en ira tout autrement, car alors, la distance entre l’âme et le corps, comparable à celle qui sépare le maître de l’esclave, engendrera une profonde incompréhension entre l’âme et le cadavre. L’âme sera incapable d’accueillir positivement les impressions produites par le corps, et elle vivra la mort comme au cauchemar : « la putréfaction entraîne une forte émotion, parce qu’on se représente l’image défigurée de ce qui dégage de telles odeurs. » (4) Mais ce cauchemar de l’âme ne sera jamais que le reflet du cauchemar du corps qui aura été tyrannisé tout au long de sa vie par son âme. Prenons – par exemple -, ce… comment s’appelle t-il donc celui-là ? Xénophon en parlait encore hier ! J’y suis : Platon. Voilà un homme fanatisé par les « idées ». Empressé de les voir se réaliser, il se rend chez le tyran Denys de Syracuse, convaincu qu’un homme aussi puissant aura les moyens de les matérialiser. Platon avoue avoir été « renvoyé le plus ignominieusement qu’il ne serait convenable de le faire pour un mendiant » (5), en passant sous silence que Pollis, chargé de l’expulsé, avait l’ordre secret du tyran de le vendre comme esclave au cours du trajet. Le tyran riait d’avance de son forfait : « Cela ne lui fera pas de mal, disait-il, et, en tant que juste, il sera tout aussi heureux, même esclave » (6). Sans l’intervention d’Annicéris de Cyrène, « qui le racheta pour vingt mines (d’autres disent pour trente) et le renvoya à Athènes », le corps de Platon eut payé au prix fort les lubies de son âme. Dans mes rêveries, plusieurs fois, j’ai imaginé un corps qui saisirait un tribunal pour faire condamner son âme qui par ce qu’elle se serait entichée d’une idée, l’aurait entraîné dans toute sorte de mésaventure (7). Un sage prend soin de son corps, il s’accorde avec lui ! »
« - Au final, demandais-je, on peut rire de la mort ? »
« - En tout cas, moi, je suis très sensible, alors, si une fois mort, mon cadavre me chatouille, je ne vois pas ce qui pourrait me faire arrêter de rire » répondit-il.
2. Où Xénophon rapporte pourquoi les Olympiens ont pris tant de retard dans l’évaluation de la race des « hommes de fer »
Nous rentrâmes à la colonie. Je ne me souviens plus de cette journée, mais j’ai clairement en mémoire le match Xénophon-Démocrite.
Théodotos annonça que la récitation du « Petit système du monde » était reportée au lendemain. Et que nous écouterions la suite de la discussion entamée par le sage Démocrite et le philosophe Xénophon.
Xénophon prit le premier la parole : « Chers amis, nous sommes réunis pour entendre Démocrite sur une question sérieuse entre toute : est-il bon de rire des divinités ? Il nous faut préciser, tout d’abord, ce que nous entendons par divinité. Quand nous parlons des dieux, il nous faut être prudent, car ceux-ci vivent loin de nous et ne nous sont connus que par l’entremise des daimôn, êtres qui tiennent le milieu entre le monde terrestre et le monde divin. Les prophètes et des prophétesses reçoivent des daimôn des rêves ou des hallucinations, qui sont des messages obscurs qui doivent être interprétés par des devins experts. Les erreurs d’interprétations sont fréquentes, mais, à force d’obstinations, les hommes sont parvenus à se faire une idée réaliste du projet divin. Le rôle des dieux n’est pas, comme certains esprits naïfs l’imaginent, d’intervenir dans le cours de nos petites existences. L’hypothèse la plus sérieuse c’est qu’ils sont là pour faire de l’évaluation !
Hésiode, dans sa Théogonie, a restitué les principales évaluations produites par les dieux. Il y a, d’abord, eu l’évaluation des hommes de l'âge d'or : une race pieuse et juste, mais très peu efficiente, pour ne pas dire fainéante. L’évaluation a montré que l’expérience ne pouvait pas être pérennisée et les dieux ont mis en oeuvre la destruction de cette race d’hommes. Ensuite, ils ont été mandaté pour l’évaluation des hommes de l'âge d'argent : des hommes un peu plus dynamique, mais qui avaient de gros soucis en termes d’organisation, de planification des tâches et de coordination des équipes, pour ne pas dire qu’ils étaient tout simplement stupides et querelleurs. L’évaluation préconisait l’arrêt de cette expérimentation et cette race d’hommes fut détruite. Puis, il y a eu l’évaluation des hommes de l’âge de bronze : très dynamiques, mais batailleurs et brutaux, ils enregistraient de grosse déperdition de moyens et d’énergies pour une efficience finalement médiocre. Ils ont été détruits. Puis, il y a eu l’évaluation des hommes de l'âge des Héros : les dieux ont relevé de grosses capacités à se donner des projets structurants, comme l’élimination des monstres qui peuplaient la terre, ils ont constatés une aptitude réelle à travailler en équipe pendant la guerre de Troie. Toutefois, l’évaluation a révélé de grosses difficultés à objectiver la plus-value que les héros apportaient à l’univers. Ils ont été détruits dès leur retour de Troie. Puis vient l'âge de fer - c’est à dire le nôtre -, qui est toujours en cours d'évaluation.
Nos devins experts ont constaté que notre évaluation a pris beaucoup de retard et ils ont cherché à en déterminer la cause. Une première explication met en avant des désaccords méthodologiques qui secoueraient l’Olympe, désaccords liés à la complexité des hommes de la race de fer. Il y a dans notre race une forte ambivalence : on y trouve la culpabilité et l’innocence, la cruauté et la tendresse, l’amour et la haine, la générosité et la cupidité, l’amitié et la rivalité, la destructivité et la créativité, bref, tout en nous est contradictoirement et inextricablement mêlé. Fixer des critères d’évaluation et déterminer des indicateurs fiables est donc beaucoup plus complexe que pour les races d’hommes précédentes. Mais, une seconde explication s’impose aujourd’hui, qui impute les retards à des problèmes de management des équipes d’évaluateurs. Zeus aurait tenté de resserrer ses équipes et même de se passer d’une partie de ses collaborateurs. D’où la mise en place d’un plan de restructuration des cultes faisant, notamment, la promotion de la confession. Nombre de dieux ont alors protesté qu’il fallait continuer à travailler à partir d’observations directes, réalisées sur le terrain, et contestés la fiabilité de données recueillies grâce à des confession-questionnaires que les hommes s’auto-administreraient. Ils ont pointés les biais qu’induiraient les sous-déclarations des honteux et ou les sur-déclarations des vantards. Le projet suscita particulièrement l’inquiétude des petits dieux. Les daîmon invisibles, en première ligne pour observer les hommes, dénoncèrent des mesures qui les priveraient de leur emploi. Les faunes revendiquèrent leur expertise de la gente féminine et se joignirent aux Muses dans un mouvement d’occupation du toit de l’Olympe. Hermès radicalisa le mouvement en mobilisant les Titans et les Centaures, qui défilèrent en sous une bannière où était inscrit : « notre éternité vaut mieux que leurs profits. » Les Cents-Bras parsemèrent l’Olympe de graffitis rageurs du type : « Non aux délocalisations des emplois divins chez les humains ! Produisons divin ! ». Zeus admis, devant le désarroi de celle-ci, que l’Olympe n’était pas prêt pour des réformes structurelles et il suspendit son plan de réforme.
Les choses semblèrent se calmer et nos devins nous annoncèrent dans un concert de louanges que l’évaluation avait repris, et même qu’elle progressait. Et puis, ça a coincé de nouveau, à cause semble t-il de l’affaire du bureau Evaluation, Prospective, Analyse, Destruction (EPAD) (8). Zeus avait conçu avec son fils, Apollon, une nouvelle méthode d’évaluation, peu coûteuse en main d’œuvre : le « stress test ». Il s’agit de soumettre les hommes à une situation de stress pour évaluer leurs réactions. Soumis à une élévation graduelle de la température terrestre, les hommes se voient confronter à un challenge : s’ils veulent que la température s’arrête de grimper, il leur faut sacrifier 10% des richesses qu’ils reçoivent de la terre. C’est un test de performance qui permet de mesurer la capacité d’adaptation de l’humanité à une situation nouvelle. C’est bien pensé, car ce test permet aussi d’évaluer la dégradation des transactions entre les hommes, qui sont contraints à négocier entre eux la charge des efforts à fournir. C’est même très malin, car c’est aussi un test de fiabilité puisqu’il permet dévaluer la capacité des hommes à tenir leurs engagements. Les dieux sont vraiment très forts, parce qu’avec ce test d’élévation de la température, nous saurons assez vite si nous sommes une espèce viable.
Pour mener à bien ce projet, Zeus a nommé Apollon à la tête du Bureau de l’EPAD. Mais le népotisme du père des dieux et des hommes a fait scandale. Bien des dieux tonnèrent aussi contre la méthodologie retenue : faire augmenter la température allait à l’encontre du principe de neutralité de l’évaluateur qui doit rester un observateur impartial. Certains dieux objectèrent : « Les stress tests, c’est de l’observation participante, c’est une méthode compliquée ! Il est donc déraisonnable d’en confier la mise en œuvre à un dieu aussi jeune et inexpérimenté qu’Apollon. » D’autres persiflèrent en rappelant qu’Apollon s’était surtout illustré par sa capacité à perturber la quiétude de l’Olympe avec son petit char pétaradant, et pompeusement appelé « secoue-terre » (9), et rappelé qu’il n’était pas réputé pour son assiduité scolaire.
La cour de Zeus, outrée par ce crime lèse-majesté, répliqua vertement avec des : « je peux vous dire qu’Apollon, à 23 ans, a peut-être encore plus de talent que n’en avait son père à son âge » ; et des : « comme par hasard, comme Apollon l’Olympien porte le même nom que Zeus, on lui tombe dessus » ; ou des : « cette affaire commence à suffire ! On a vraiment le sentiment d’une chasse à l’homme. Tous ceux qui interviennent sur cette question, que veulent-ils ? Ils veulent interdire l’élection à un candidat de par son origine sociale, son nom, son faciès ? C’est ça l’Olympe ? » ; et puis aussi des : « c’est comme ça que la tyrannie arrive dans un pays : quand on s’attaque à quelqu’un à cause de son nom. » Zeus lui-même, envoyant des éclairs dans tous les sens, tonna : « à travers cette polémique, qui est visé ? Ce n’est pas mon fils. C’est moi. » (10) Mais, le père des hommes et des dieux, voyant que l’opposition ne faiblissaient pas, finit par céder et attribua la direction de l’EPAD à Perséphone.
Certains de nos devins croient savoir que Zeus travaille à une nouvelle batterie de tests encore moins coûteuse en main d’œuvre : les « crashs tests ». Nous ne savons pas précisément ce que c’est, mais nos devins enquêtent. Cher Démocrite, vois-tu en tout cela qu’il y ait matière à rire ? N’es-tu pas rempli de crainte devant la perspective d’être mal évalué par les dieux ? Parle. Je t’écoute. »
3. Où le sage Démocrite explique que seule deux divinités gouvernent le monde : la Nécessité et la Justice
« - C’est tout ? » demanda Démocrite. Xénophon eut à peine le temps de répondre par l’affirmative, que le visage de Démocrite se défigurait : un fulgurant écartement de ses lèvres exposa ses dents, puis tout l’orifice de sa bouche, d’où sorti un rire puissant qui effraya la pieuse assistance. Il riait en regardant un à un les membres de l’assistance. Après plusieurs minutes, il finit par se rendre compte qu’il n’était entouré que de visages effarés. Aussi fit-il un effort pour retrouver son calme.
Démocrite pris la parole : « Il existe en tout et pour tout, deux divinités : la Nécessité et la Justice. Les anciens donnaient à la Nécessité l’aspect d’Ananké, épouse de Chronos, et à la Justice, l’aspect des trois Moires, les trois filles d’Ananké, Atropos, Lakhésis et Klothô (11). Mais, peu importe… J’ai suffisamment voyagé pour savoir que, d’une contrée à l’autre, les divinités prennent des aspects bien différents. Pour vous parler de la Nécessité, laissez-moi vous réciter cet excellent résumé de cours rédigé par mon élève, Diodore de Sicile : « Comme ils (les premiers hommes) avaient à subir les assauts des bêtes sauvages, ils se vinrent mutuellement en aide et, à l’école de la Nécessité, sous l’effet de crainte qui les réunissait, en vinrent peu à peu à connaître leurs différents caractères. Leur voix était d’abord indistincte et confuse ; puis, peu à peu, ils se mirent à articuler des mots et en firent des symboles convenus entre eux, propres à désigner chaque objet. Ils cherchèrent pendant l’hiver refuge dans les cavernes et amassèrent les fruits susceptibles de se conserver. La connaissance du feu et des autres inventions utiles entraîna petit à petit l’invention des arts et de toutes les techniques susceptibles d’être utiles à la vie en communauté. Car, en somme, c’est la Nécessité elle-même qui fut l’institutrice des hommes, servant de génie familier et de guide à cet animal bien doué par la nature et qui possédait, comme instrument apte à toutes choses, des mains et une vive intelligence de l’âme. » (12) La Nécessité est le puissant aiguillon qui pousse les hommes à se reconnaître mutuellement comme semblables et qui stimule en eux nombre de leurs aptitudes : elle les oblige à mobiliser leur créativité, à déployer leur « mètis » (13), c’est-à-dire leur intelligence ingénieuse, à stimuler leur aptitude à coopérer et à nouer des liens de concorde pour accroître l’efficacité des actions. Sans l’action de la Nécessité, l’homme n’aurait pas pris conscience de ses potentialités et il se serait, donc, méconnu. Aussi, la Nécessité mérite-t-elle à bon droit le titre de divinité et d’ « institutrice » des hommes. En effet, l’homme apprend de la Nécessité et, en apprenant, il s’humanise. C’est pourquoi j’ai pu écrire : « Nature et éducation sont chose très voisines. Car il est vrai que l’éducation transforme l’homme, et cette transformation confère à l’homme sa nature. » (14)
Porté par l’excès, par l’hybris (15), par la démesure, tel le disciple qui veut égaler son Maître, l’homme s’éprend du désir de se rendre semblable à la divinité, et désire alors placer des êtres humains dans un état de nécessité par rapport à lui-même. Usurpant la place de la déesse, il devient leur maître et les contraint à agir conformément à ses vues et à ses intérêts.
Les hommes placés sous sa domination découvrent vite que la créativité, l’ingéniosité et l’aptitude à coopérer, si utiles pour répondre aux défis lancés par la Nécessité, sont des remèdes insuffisants pour se libérer de cette sorte de « nécessité » qu’est la domination d’un maître. Ils finissent par entrevoir que pour échapper à cette « nécessité » là, il leur faudra tuer cet homme. Le maître aperçoit la haine dont il est l’objet et il ne peut que s’armer en conséquence. J’ai écrit quelque part : « la discorde est néfaste aux deux camps, car pour le vainqueur comme pour le vaincu la ruine est la même. » (16) La Nécessité, cette puissance qui sépare le dissemblable et attire le semblable vers le semblable, ce tourbillon puissant et aveugle, génère aussi l’injustice et la destructivité. La Nécessité fait que la richesse va aux riches et la misère aux pauvres ou que la puissance iras aux puissants et la vulnérabilité aux vulnérables. L’état d’injustice se généralise alors, et ne s’éteint que dans la ruine générale de la Cité, ce qui a pour effet de ramener tous les hommes dans l’état de Nécessité premier, où il était la proie des fauves.
La Justice est la puissance qui temporise la Nécessité, la puissance sans laquelle les hommes ne peuvent durablement vivre leur condition d’animal social. La Justice oppose à la tyrannie la reconnaissance mutuelle des droits de chacun ainsi que l’égard de chacun pour le corps d’autrui. Aristote dit cela bien mieux que moi, lorsqu’il écrit à propos des tyrannies : « On ne voit alors dans l'État que maîtres et esclaves, et pas un seul homme libre. Ici jalousie envieuse, là vanité méprisante, si loin l'une et l'autre de cette fraternité sociale qui est la suite de la bienveillance. Et qui voudrait d'un ennemi à ses côtés, même pour un instant de route ? Ce qu'il faut surtout à la cité, ce sont des êtres égaux et semblables, qualités qui se trouvent avant tout dans les situations moyennes ; et l'État est nécessairement mieux gouverné quand il se compose de ces éléments, qui en forment, selon nous, la base naturelle » (17). Si la démocratie veut des égaux et des semblables, c’est-à-dire des hommes qui se reconnaissent mutuellement leurs droits et leur commune humanité, la tyrannie veut des inégaux qu’elle oppose à cause de leurs petites différences. La Justice est, en somme, l’institutrice de la Cité.
Si la Nécessité gouverne l’univers, elle ne gouverne pas exclusivement les hommes. Et c’est bien parce qu’il y a deux divinités, deux principes, que le choix est possible, et que dès lors, la conscience devient possible. Rien n’est jamais déterminé.
Pour répondre à ta question Xénophon, ce qui est très drôle concernant les dieux et surtout le rapport que les hommes entretiennent avec eux, c’est la propension toute humaine à se décharger de ses responsabilités. C’est pourquoi j’ai écrit : « Les hommes se sont forgés de la fortune une image qui justifiât leur propre manque de sagacité. » (18) Mais le divin Homère, en mettant ces mots dans la bouche de Zeus a dit la même chose, bien mieux que moi :
« Ah ! voyez comme les humains mettent les dieux en cause !
C’est de nous que viendraient tous leurs malheurs, quand ce sont eux
Qui aggrave leur sort du fait de leur propre sottise. » (19)
L’assemblée médita la réponse de Démocrite. Tandis qu’elle se dispersait, je tentais de rejoindre Démocrite. Mais Xénophon avait accaparé le philosophe, et l’entraînant pour une promenade, il lui demandait : « Cher maître, j’ai lu ceci chez Hermippe : « Il ne serait pas honnête de passer sous silence le mot de Démocrite qui, appelant les êtres divins du nom de simulacres (eidôlon), dit que l’air en est rempli. » (20) Pouvez-vous m’éclairez sur ce point ? » Je n’osais aborder le sage, ne saisissant au vol, que ce début de réponse : « Oui, les dieux sont des eidôlon* minuscules, qui se glissent par les pores de la peau… »
4. Où l’on s’accorde à penser que Bessonus ignore qu’il est un traître
Au même moment, dans le palais de Sarkominus, une lame de rasoir effilée, posée sur une écritoire, absorbait toute l’attention de Bessonus. Nu, dans la chaleur de l’été, il contemplait, hagard, les lueurs froides du métal. D’une caresse, il testa du doigt la lame tranchante.
Son imagination s’emballa aussitôt : il se vit immergé dans un bain brûlant, abandonné à l’assoupissement, pendant que l’eau se teignait d’un nuage pourpre. Il eut un léger tremblement lorsqu’il imagina ses veines ouvertes. Mais bientôt une image triomphante s’imposa à lui : son cadavre allait témoigner devant l’humanité de sa force d’âme et il laisserait le souvenir d’un homme qui ne recule pas devant un acte noble et définitif.
Il appela son fidèle esclave pour lui ordonner de faire chauffer son bain. Puis, il s’installa à son bureau pour rédiger son testament politique. Il écrivit :
« Bessonus, au peuple de Droite, salut ! Ce soir, je meurs… »
Il ne sut comment poursuive. L’inspiration lui manqua. Hébété devant la page blanche, le temps passa, pourvoyeur d’esquisses de pensées indécidables. Il se força de nouveau à imaginer son cadavre. Soudain Bessonus se gifla pour réfréner les larmes indignes qui, d’un coup, inondèrent ses yeux. Rassemblant toute l’énergie qui demeurait en lui, il relu sa phrase :
« Bessonus, au peuple de Droite, salut ! Ce soir, je meurs… »
Et il l’acheva :
« … de faim. Alors je vais commander un bon repas. »
Il appela son fidèle esclave pour qu’il lui porte un repas, jugeant qu’il trouverait dans la satiété l’énergie qui lui faisait présentement défaut : un être noble se devait d’affronter gaiement la mort et non comme un crève la faim !
Songeant à la journée écoulée, il s’étonna du retournement qu’elle avait prodigué. La nuit, la première qu’il ait passé au Palais, avait été délicieuse et reposante. Au matin, il avait aperçu Sarkominus. Il descendait le grand escalier du Palais, quand soudain il avait entendu un « Et toi le merdeux ! » de Sarkominus, qui s’adressait à Hortefeucus (car c’est ainsi qu’il appelait son serviteur). « T’es pas encore parti à la chasse aux métèques ? Pourquoi on te paye ? » avait ajouté le César avant de refermer la porte de son bureau.
Bessonus descendit l’escalier et, parvenu à la hauteur d’Hortefeucus, il demanda sur un ton bienveillant au serviteur : « Ce n’est pas trop rude d’être traité comme ça de merdeux ? » Hortefeucus répondit : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. » Hortefeucus sursauta : la porte du bureau de Sarkominus venait de se rouvrir et le tyran hurlait : « T’es toujours là, triple merdeux ? » Hortefeucus détala aussitôt.
Après s’être radouci, Sarkominus, adressa à Bessonus ses salutations :
« - Mon bon ami, vous vous plaisez au palais ? »
« - Je suis comblé », répondit Bessonus ravi de l’attention que lui prêtait le César du pays de Droite.
« - Et alors, cette petite mission « Prospective et Évaluation », elle vous plaît ? », demanda Sarkominus.
« - Oh oui ! Merci, ô grand César, de m’avoir confié la tâche délicate d’éclairer l’avenir », répondit Bessonus aux anges.
Sarkominus éclata de rire : « L’avenir ! Eclairer l’avenir ! Elle est bien bonne ! On ne me l’avait jamais faites celle-là ! C’est bien, continuez votre travail ! J’ai confiance en vous, je sais que vous ne trahirez pas votre vraie nature. » Puis Sarkominus rentra dans son bureau.
Bessonus se rendit ensuite sur le forum, où Elkabbachus et Apathus, les deux histrions les plus célèbres du pays de Droite, faisaient une reprise de leur mémorable « Sarkominus contre les Amazones. » Il s’arrêta quelques instants. Elkabbachus, interprète de Sarkominus, se promenait sur scène avec son immense phallus. Il déclamait : « Ô Zeus, pourquoi m’avoir attribué tous ces dons, tant sur le plan de la beauté que de l’intelligence ? Est-ce un présent, si je dois vivre entouré d’envieux qui me détestent pour toutes mes qualités ? » Tandis qu’Elkabbachus-Sarkominus se lamentait sur son sort, Apathus, déguisé en Royalia, reine en armure des Amazones, surgit du fond de la scène en effectuant un grand balancé. Puis élevant lentement les deux bras levé vers le ciel, il effectua une série de ronds avec la jambe gauche. Attrapant soudainement sa jambe pour la dresser vers le ciel, il fit une rotation en appui sur un seul pied, laissant apparaître dans son entrejambe une sorte de coquille métallique. Puis, entamant une série de grands sauts vers l'avant en levant la jambe, il dévoila qu’en fait de coquille, il portait dans l’entre jambe un piège à loup denté, qui s’écartait à chaque levé de jambe pour se refermer ensuite dans un terriblement claquement métallique dès qu’il posait le pied à terre. Les spectateurs hurlaient : « Attention Sarkominus, y’a Royalia derrière toi ! ». Le malheureux Elkabbachus-Sarkominus, demandait : « Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ! » Et le public hurlait : « derrière toi ! Attention ! Derrière toi ! » Mais Apathus-Royalia se cachait aussitôt, et Elkabbachus-Sarkominus manifestait son étonnement de ne rien voir derrière lui… Bessonus était heureux de voir comment le peuple pensait.
Il avait, cette matinée, éprouvé une vraie joie, une joie semblable à celle qu’il éprouvait à l’instant même devant les victuailles que son serviteur disposait devant lui pour qu’il en fasse ripaille.
Quittant le Forum, Bessonus avait traversé joyeusement la ville pour rejoindre le camp fortifié de Solferinus où se retranchaient l’état major des légions demeurées fidèles au parti plébéien, parti qu’il avait quitté pour rejoindre Sarkominus.
A bonne distance du camp, il avait hurlé à l’adresse de ses anciens compagnons d’armes : « Je ne suis pas un traître ! Je ne suis pas un traître ! » Perchés sur les palissades, les légionnaires le sifflèrent et le huèrent, en multipliant les gestes obscènes. Bessonus, persévérant, continuait sa harangue, en ponctuant ses « Je ne suis pas un traître », avec des déchirants « je peux tout expliquer ! » et des radieux « pour sauver le peuple, rejoignez Sarkominus ! ».
Après une heure d’harangue, Bessonus se résolu à fuir, comprenant que ses anciens camarades s’étaient entendus, après de longs palabres, pour organiser un récréatif concours de tir à la baliste dont il aurait été la cible.
Rentré au Palais il se mit à travailler à la « prospective ». Et c’est là qu’il s’était souvenu du rire de Sarkominus et de la remarque que le César avait fait sur l’avenir et sur lui-même. Soudain, il eut cette intuition douloureuse : Sarkominus l’avait choisi parce qu’il était « un genre d’homme à trahir l’avenir ».
La formule sonnait étrangement, mais il comprenait obscurément ce qu’elle pouvait bien vouloir dire. Il vit alors s’ouvrir devant lui le spectacle d’un monde sans avenir. L’avenir est une notion qui n’a de sens que dans le monde du travail, car le travail implique le temps du processus dont on mesure la durée - que les grecs appellent « chronos » -, et le temps du projet qui annonce la réalisation à venir - que les grecs appellent « aiôn ». Mais dans le monde dans lequel nous vivons, c’est-à-dire un monde de la spéculation, la vie perd son lien substantiel avec la durée et l’avenir. La spéculation ne connaît qu’une seule dimension du temps : celle du kairos (21), c’est-à-dire le temps de l’opportunité à saisir, le temps du chasseur qui saisit le bon moment pour tuer la bête.
La spéculation, en garantissant leur enrichissement, fit que les ploutocrates du pays de Droite se désintéressèrent de la production. Pour s’enrichir démesurément, il suffisait d’acheter des fabriques, des ateliers et des fermes agricoles dans de lointaines colonies et de faire venir du blé d’Egypte, des amphores de Cos et de la métallurgie de Phrygie. Les ploutocrates suscitaient la pénurie des logements, afin que leur rareté permette d’en décupler la valeur (22). Ils les laissaient en hypothèque ou les proposaient en garanti pour obtenir des prêts nécessaires à l’achat de stocks de bois de chauffe, de blés ou d’autres denrées absolument nécessaire, qu’ils stockaient et retranchaient du marché jusqu’à ce que la pénurie en renchérisse les prix. Avec ces surprofits, ils pouvaient acheter de nouvelles villas, qu’ils pouvaient à leur tour mettre en hypothèque… Pourquoi produire, se demandaient les ploutocrates, s’il est si facile de s’enrichir ?
L’évidence, observa encore Bessonus, c’était aussi que l’enrichissement des ploutocrates tenait du virtuel, du potentiel. La monnaie qui réalisait cette richesse, n’était qu’une monnaie virtuelle, une monnaie en ferraille que l’on sauçait en la trempant dans de l’or en fusion. C’était des jetons que l’on acceptait sans se demander s’ils témoignaient d’une richesse effectivement créée. La monnaie étant créée à l’infini à partir de rien, on se l’a prêtait à bon marché, et on invitait chacun à s’endetter. Sarkominus n’avait-il pas déclaré : « Il faut tordre le coup à cette idée : s'endetter, pour un ménage, ce n'est pas mal, c'est une confiance dans l'avenir. » (23) L’avenir d’un tel système relevait de la foi.
Un passage de Tacite lui revint en mémoire, écho absurde à ses réflexions : les Germains « connaissent les jeux de hasard, et (chose étonnante) ils s'en font, même à jeun, la plus sérieuse occupation ; si follement acharnés au gain ou à la perte, que, quand ils n'ont plus rien, ils jouent encore, dans un dernier coup de dés, leur personne et leur liberté. Le vaincu va lui-même se livrer à la servitude. Fût-il le plus jeune, fût-il le plus robuste, il se laisse enchaîner et vendre. Tel est, dans un engagement contre nature, leur fanatique résignation : eux l'appellent loyauté. On se défait, par le commerce, des esclaves de cette espèce, pour se délivrer en même temps de la honte d'une telle victoire. » (24) Il faudrait une nouvelle race d’homme, songea ironiquement Bessonus. Une race d’hommes qui, à l’instar de ces Germains, ne seraient plus capable de faire la part du réel et du virtuel, qui ne ferait plus la différence entre un coup de dé et un travail concret.
Pour Bessonus, il devenait évident que Sarkominus l’avait manipulé. Parce que le tyran lui supposait l’âme d’un traître – ce qu’il n’était pas pensait-il -, Sarkominus espérait qu’il « trahisse » l’avenir. Il allait prouver le contraire en montrant qu’il préférait une mort digne à la trahison de l’avenir et qu’il ne soutiendrait jamais une politique qui ne fabriquait qu’une richesse virtuelle.
Le bain était prêt. Bessonus immergea son corps dans l’eau presque bouillante. Il resta un long moment silencieux. Puis, lentement, sa main se saisit de la lame de rasoir. Il l’a dressa devant lui. Il la contempla longuement. Son fidèle esclave s’approcha et la lui prit délicatement des mains en lançant gaiement : « alors, M’sieur Bessonus, ce s’ra comme d’habitude ? J’vous fais la barbe, la nuque… Et vous verrez, après l’arrachage des poils de nez, vous s’rez beau comme un dieu ! »
Tandis qu’il se laissait raser, il eut soudain cette illumination : « Sarkominus veut faire de nous des dieux ! Oui ! Les dieux... ils s’en fichent de l’avenir ! L’avenir, cela n’existe pas pour les êtres éternels ! J’ai deviné le vrai projet de Sarkominus : faire que les hommes accèdent à une vie digne de celle des dieux. Et demain j’irais au camp de Solférinus et je dirais à mes amis plébéiens que je ne suis pas un traître. Je leur expliquerais qu’il faut qu’ils nous rejoignent, comme ça, tous ensemble, nous deviendrons comme ces dieux qui se foutent bien de l’avenir. »
*Sur les eidolôn, voir Vie de César Sarkominus I, 2
(1) Démocrite, fragment A XXXVII, Simplicius, Commentaire sur le traité du ciel d’Aristote, 294, 33
(2) Fragment, Démocrite, Fragment CXVII, Alexandre d’Aphrodise, Commentaires sur les topiques d’Aristote, 21, 21
(3) Xénophon, Le Banquet, 212
(4) Démocrite, fragment B1a, Philodème, De la Mort, XXIX, 27.
(5) Platon, Lettre I, 309b
(6) Plutarque, vie de Dion, V
(7) Démocrite, fragment B CLIX, Plutarque, De la passion et de la maladie, fgm. 2
(8) A l’automne 2009, Sarkozy tente de faire nommer son fils Jean, 23 ans, en deuxième année de droit, à la tête de l’Etablissement public d’aménagement de la Défense (EPAD), organisme doté d’un budget de 115 millions d’euros en 2009 et chargé de gérer la vente des terrains sur le territoire de la Défense et d’administrer le complexe immobilier. Devant le tollé suscité par le népotisme présidentiel, Jean Sarkozy doit « renoncer » à la présidence de l’organisme le 23 octobre 2009.
(9) Jean Sarkozy, a été accusé de délit de fuite après avoir percuté en scooter, place de la Concorde, l'arrière d'une BMW en octobre 2005. Puis en janvier 2007 à Neuilly, son scooter ayant été dérobé, la police retrouvera le scooter, puis les voleurs du scooter grâce à l'utilisation de tests ADN.
(10) Citations à propos de la candidature de Jean Sarkozy, fils de N. Sarkozy, à la présidence de l’Établissement public pour l'aménagement de la région de la Défense (EPAD) : de P. Balkany, sur RTL, le 11 octobre 2009 ; De Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, le 12 octobre 2009 ; de Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, le 14 octobre 2009 ; de N. Sarkozy, entretien au Figaro du 15 octobre 2009
(11) Dans la mythologie grecque, Ananké est la personnification de la destinée, la nécessité inaltérable et la fatalité. Dans la mythologie romaine, elle s'appelle Necessitas. Dans la mythologie grecque, les Moires (littéralement les « portions de destin assignées à chaque homme ») sont des divinités du Destin implacable. D'après la Théogonie d'Hésiode, leur rôle est de « poursuivre les crimes des hommes et des dieux et de ne déposer leur terrible colère qu'après avoir exercé sur le coupable une cruelle vengeance. » Elles sont assimilées aux Parques dans la mythologie romaine.
(12) Démocrite, fragment B V1, Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 8.
(13) Les Grecs distinguaient trois formes du savoir : le mythos qui, par son pouvoir de métaphorisation, exprime les liens qui unissent les hommes entre eux, et les liens de ceux-ci avec le cosmos et les divinités ; le logos, le discours rationnel, permet de discerner le vrai du faux ; la mètis est, elle, le savoir issu de l’expérience, dont la validité, à l’instar du travail, est déterminée par la réussite ou l’échec ; c’est le savoir issu de la praxis.
(14) Démocrite, fragment B, XXXIII, Clément d’Alexandrie, Stromates, IV, 151
(15) L’hybris est une notion grecque que l'on peut traduire par « démesure ». C'est un sentiment violent inspiré par les passions et plus particulièrement, par l'orgueil. Les Grecs lui opposaient la tempérance, ou modération (sophrosune).
(16) Démocrite, Fragment CCXLIX, Stobée, Florilège, IV, I, 34
(17) Aristote, Politique, IV, ch 11, 1295 b
(18) Démocrite, Fragment B, CXIX, Stobée, Choix de textes, II, VIII, 16
(19) Homère, Odyssée, I. 32-34
(20) Démocrite, fragment LXXVIII, Hermippe
(21) Les grecs distinguaient trois aspects de temps : le Kairos est le temps de l'occasion opportune, l'Aiôn signifie « destiné », « âge », « génération », « éternité » et le Chronos est un point mouvant sur la flèche du temps qui définit les infinis du passé et de l’avenir à ses deux bornes.
(22) Depuis 1998 les prix de l’immobilier ne cessent de grimper. Entre 1998 et 2008, les prix immobiliers en France ont augmenté d’environ 140% et d'environ 190 % à Paris. D'après le 15e rapport de la Fondation Abbé Pierre (2010), il manque 900 000 logements en France. L'INSEE fait état, en 2010, de 2,121 millions de logements vacants, c’est-à-dire de logement qui bien souvent restent vide pour servir de garantie à des prêts bancaire. Cette pénurie renchérie les prix des logements. En moyenne, en 2010, une famille consacre près de 25% de ses revenus à se loger contre 20% il y a dix ans. 100.000 personnes sont sans domicile fixe, 3,5 millions sont mal-logés et 6,6 millions dans une situation de «réelle fragilité» face au logement, cumulant souvent les impayés ou les retards dans le remboursement d’emprunt. Au total, dix millions de personnes sont touchées par la crise du logement.
(23) Interview de N. Sarkozy à itélé 27/05/07
(24) Tacite, Mœurs des Germains, XXIV.