Chapitre XIV : Où il est question de la rencontre entre Démocrite et Sarkominus et du projet inouïe de Démocrite de descendre dans les Enfers.
Résumé des épisodes précédents : Le sage Démocrite et son jeune compagnon, Protagoras, arrivent à Lutèce pour rencontrer Sarkominus. Ayant reçu, quelques dizaines d’années plutôt, une lettre d’Auguste Comtus contenant des prédictions sur le règne de Sarkominus, Démocrite a jugé à propos, d’enquêter afin d’éclaircir la question des « prémonitions » qui défient sa philosophie radicalement matérialiste.
1. Où l’on relate la rencontre de Démocrite et de Sarkominus
Démocrite et Sarkominus
Notre barque approchait le port fluvial de Lutèce et, sur le quai, Gainoïus nous y attendait, escorté par une dizaine de miliciens impériaux.
Les premiers mots qu’eut pour lui Démocrite furent : « Nous sommes bien d’accord ? Vous allez me le présenter votre Sarkominus !?! Je suis un chercheur et il ne serait pas sérieux d’étudier des prophéties sans examiner le support qui les a suscité. »
« - Il vous accueillera dans son palais, tout est prévu..., l’assura Gainoïus. Mais, en retour, vous gardez bien en mémoire vos obligations relatives aux prophéties sur son règne ? Vous avez bien pensé à rapporter la lettre d’Auguste Comtus !?! »
« - Je ne suis pas si distrait !, s’exclama Démocrite, en riant. Le côté rassurant, c’est que nous avons tout autant besoin l’un de l’autre. »
Nous marchâmes jusqu’au Palais, au portique duquel, le mage Guéantus nous attendait. Il nous entraîna vers la salle où Sarkominus devait nous rejoindre. Bien vite, on nous annonça son arrivée imminente. Et effectivement, César Sarkominus paru, s’exclamant à l’attention de Démocrite : « Bienvenue dans le pays de Droite, cher Démocrite ! »
Les yeux de Démocrite devinrent étrangement luisants. Je devinais, dissimulé sous sa barbe, une sorte de sourire, que je qualifierais d’attendris ; j’en fus surpris, aussi l’ai-je observé à plusieurs reprises pour bien me confirmer cette première impression.
« - Démocrite, je vais vous faire une confidence : quand j’aurais fini de faire le César, je ferais le philosophe, affirma Sarkominus en bombant le torse. C’est vrai que quand j’entends causer mes amis Mincus, Béhachèlus, Galloïus et Glucksmannus, je me dis que la philosophie, c’est vraiment tentant. A cette réserve près : il faut bien en convenir, la philosophie est bien souvent dénuée de sens. Par exemple, « je n'ai jamais rien entendu d'aussi absurde que la phrase de Socrate : Connais-toi toi-même. » (1) Sans doute, chacun se représente t-il bien la scène : un type s’approche de Socrate et lui dit : « Connais-toi », et Socrate lui répond : « Connais-toi, toi-même ! » Je veux bien... mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce genre de tirade, ça ne casse pas des briques ! »
Démocrite accentua encore son sourire et opina imperceptiblement du chef, en telle sorte que Sarkominus se senti tout à fait à l’aise pour poursuivre sa méditation philosophique.
« - Parce que, philosopher, ça consiste en quoi au juste, interrogea Sarkominus, sinon à démontrer aux gens normaux qu’il faudrait qu’ils abandonnent de leurs vieilles manières de penser en adoptant de nouveaux concepts ? Au vu d’une telle définition, je suis un philosophe ! Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis le plus grand des philosophes, parce que j’ai trop de respect pour les autres et que ma modestie me rend conscient de mes limites. Mais si il y a quelqu’un qui s’y connaît pour transgresser les vieux cadres de penser, c’est moi ! Vous allez me dire que je ne suis pas vraiment philosophe, parce que moi, la transgression des cadres, je fais ça spontanément. Vous auriez raison ! Parce qu’au fond, la philosophie, je la vie, c’est comme une seconde nature : je me vivifie en transgressant les vieux cadres de la pensée. Mieux : « je pense qu'on se construit en transgressant, que l'on crée toujours en transgressant. Moi-même, j'ai créé mon personnage en transgressant certaines règles de la pensée unique. Je crois en la transgression. » C’est, d’ailleurs, pour ça que je fais plein de lois ! Parce que, « pour transgresser il faut qu'il y ait des règles ! Il faut qu'il y ait de l'autorité, des lois. L'intérêt de la règle, de la limite, de la norme, c'est justement qu'elles permettent la transgression. Sans règles, pas de transgression. Donc pas de liberté. Car la liberté, c'est de transgresser. » (2) Si bien que pour en revenir à Socrate et à son « connais-toi toi-même », on peut se demander si ce n’est pas une perte de temps de se connaître soi-même, quand on peut continûment se créer et se récréer soi-même en transgressant. »
Les yeux de Démocrite pétillaient et ses narines tressaillaient, semble t-il pour humer Sarkominus. Son sourire attendris était encore plus expressif, et pour moi toujours plus inexplicable.
« Je vais devoir vous quitter, parce que malheureusement, quand on est César, on a une foule d’obligations, dit Sarkominus. Mais, cela m’a fait plaisir de discuter avec vous. Il faudrait que vous veniez à l’une de nos soirées avec Mincus, Béhachèlus, Galloïus et Glucksmannus, vous y apprendriez plein de choses que vous pourriez ensuite aller enseigner aux grecs. Vous apprendriez plein de choses de Mincus. Lui, il pense tellement, qu’il n’a même pas le temps de rédiger ses livres lui-même. »
Et, aussitôt, Sarkominus sortit de la salle.
Gainoïus demanda : « Vous êtes satisfait ? »
Démocrite répondit : « Il a été parfait ! »
« - Ne soyez pas modeste, fit observer le mage Guéantus, vous vous en êtes hyper bien tiré. » Comme Démocrite le regardait surpris, il ajouta : « La semaine dernière, il est allé voir les paysans et ça c’est terminé avec des « Casse toi pov’ con ! », puis, il est allé voir les marins, et on a eu le droit à des « Toi, si tu as quelque chose à dire, tu as qu'à venir ici ! » Après quoi, il a croisé des histrions qui avaient fait, dans leurs spectacles, quelques menues critiques... Il t’en a alpagué un pour lui faire sa fête : « Et vous - je n’ai rien du tout contre vous - il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Pouvez-vous vous justifier ? » (3) Mais le pompon, ça été avec les juges... »
« - S’il te plait..., celle-là tu l’as racontera une autre fois... », supplia Gainoïus en rougissant.
« - Oui, passons, reprit le mage Guéantus, mais je le répète : vous l’avez hyper bien joué ! Respect ! Si vous avez un truc, et que vous vouliez bien le donner, je suis preneur. »
« - Je fais usage d’une méthode ancienne, répondit Démocrite, ému par tant d’éloges. C’est un procédé qui marche bien avec les ploutocrates, les tyrans, enfin... vous voyez le genre de personnalités. Non seulement le procédé les apaise immanquablement, mais en plus il ne coûte rien. La seule chose à faire, c’est de vous remplir d’un sentiment… maternel ! Il faut juste extérioriser à son intention une expression de bonté, semblable à celle d’une mère mise en présence de sa progéniture. Mais attention, il ne s’agit pas seulement d’adopter la bonne posture enrobante et l’expression attendrie. Il faut se sentir telle une mère se reconnaissant elle-même en son propre enfant. Moi, personnellement, je m’aide beaucoup en laissant éclore en moi de murmurantes et typiques locutions, tels que des « Ohoh ! Le-beau-bébé ! » ou encore des « il-est-où-mon-petit-cœur ? » Essayez avec moi Guéantus, imaginez que vous êtes une maman. Voilà, moi, j’y suis… Vous êtes prêts ? Concentrez-vous, vous verrez que ça marche à tous les coups. »
Guéantus fit cette remarque : « Si je pense des choses comme : « Oh !,mais-c’est-mon-petit-canard-à-moi », est-ce que je ne risque pas de mal entendre ce qu’il me dit... »
« - Sans doute ! Mais, est-ce important ?, demanda Démocrite. Vous savez qu’un personnage comme Sarkominus ne s’adresse jamais à vous : il parle de lui et à lui-même. Aussi, il n’y a pas d’inconvénient réel à être sourd dans ce genre de situation. »
« - C’est juste ! », approuva Guéantus, qui se remit en condition.
« - La seule difficulté, précisa Démocrite, c’est de gérer correctement les effets indésirables. »
Pour dissiper une inquiétude naissante qui transparaissait sur le visage de Guéantus, Démocrite précisa : « Il y a des effets secondaires, forts rares, mais auxquels il convient de préparer. En effet, lorsque vous le regardez tel une mère regardant son enfant, vous imitez en fait le regard qu’il porte sur lui-même quand il se regarde dans sa glace. Car il est pour lui-même un objet admirable qu’il a lui-même créé. Aussi votre regard pourra susciter cette interrogation qui pourra devenir envahissante : « comment mon propre regard a-t-il pu se déplacer sur le visage d’un autre ? », se demandera t-il. Il pourra s’inquiéter, s’angoisser et se récrier : « Dans mon miroir, je l’ai bien vu ce regard là, et je suis sûr qu’il était dans mes yeux ! Comment a t-il pu se ficher dans cette tête là ? » Et poursuivant sa méditation, il pourra soudainement paniquer et hurler : « Au secours ! Mon regard ! On m’a volé mon regard ! Au voleur ! A l’assassin ! Rendez-moi mon regard ! »
A cet instant, Sarkominus ouvrit la porte et dit à Démocrite : « Tout ce que je vous ait dit, vous pouvez bien évidemment l’utilisez pour améliorer vos livres ! Mais par contre, vous n’oubliez pas de me citer ! » Et il referma aussitôt la porte.
2. Où l’on apprend comment le pays de Droite entreprit de déclarer la guerre à l’Olympe
« - Bon ! Et si nous examinions la lettre de Comtus !, proposa Gainoïus. Les prophéties de Comtus ont pour nous une importance considérable. En effet, nous passons une phase délicate. Nous avions un plan parfait, mais malheureusement, il s’est effondré : pour réformer le pays de Droite, nous préparions un grand malheur, un évènement formidable susceptible de faire déprimer les gens et les convaincre d’un déclin inéluctable du pays de Droite, si celui-ci ne se soumettait pas à un programme de réformes draconiennes. Nous comptions beaucoup sur ce grand malheur, car c’est beaucoup plus facile de réformer quand le peuple est déprimé. Le plan était bon : on faisait la guerre aux Teutons, on perdait la guerre contre les Teutons, puis les gens déprimaient à cause des Teutons, et nous, pendant ce temps là, on réformait en expliquant qu’on réformait à cause des Teutons. »
« - Nous avions conçu ce plan, on pensait que les Teutons étaient des gens fiables ?, renchérit Guéantus. Mais cette rosse d’Angéla, la reine des Teutons, a tout flaqué par terre ! Je vais vous lire la réponse insolente qu’elle a fit à notre offre de collaboration :
« Très cher Sarkominus,
Je suis très honorée que vous ayez pensé à nous pour envahir votre Etat. Toutes les garanties que vous avez jointes à votre requête, nous assurant que vous vous laisseriez battre et piétiner par nos armées, n’étaient toutefois pas nécessaires, mais elle m’ont néanmoins touchées et ont bien fait rire mes généraux.
Après mûres réflexions et longs palabres avec nos alliés, je suis au regret de vous annoncer que nous ne pourrons pas vous envahir. Nous en avons longuement débattu avec Berlusconinus, pontife du Latium, Zapaterus, prince des Ibères, Gordon le Picte et Barosoïus, le lusitanien. Ils ont unanimement tonné contre ce projet, en faisant remarquer qu’une telle guerre aurait pour principale conséquence d’endommager les résidences secondaires que nos riches concitoyens ont fait construire chez vous. L’anéantissement de votre Nation poserait de graves problèmes d’intendance : où nos citoyens prendraient-ils leurs vacances l’été prochain ?
Je me sens confuse, car en d’autres circonstances nous n’aurions pas manqué de vous rendre ce service. J’espère que ce faux bon n’altèrera pas notre coopération.
Je profite de cet échange épistolaire pour vous rappeler que nos Grands Questeurs doivent tantôt se réunir et pour vous remettre en mémoire que les comptes de votre Nation présente un solde débiteur de 47,44 milliards de sesterces. Nous avons joint Wœrthus, votre Grand Questeur, qui nous a assuré que ce mauvais chiffre ne reflétait qu’une « dégradation apparente » (4) de vos comptes. Devons-nous comprendre qu’à côté des « dégradations apparentes », vous avez aussi des dégradations non apparentes ? Vous n’ignorez pas que vous avez épuisé le disponible de votre crédit qui, pour mémoire, ne peut excéder 3% de votre richesse nationale annuelle. Je ne peux que, cordialement, vous inviter à signaler votre situation à la commission des ploutocrates européens et à vous y présenter dans les meilleurs délais, munis de toutes vos pièces justificatives.
Votre dévouée,
Angéla, Reine des Teutons. »
« - Elle ne s’est pas montrée aussi accommodante que vous l’auriez souhaité », constata Démocrite.
« - Oui, et Sarkominus doit prochainement la rencontrer tantôt pour négocier quelques marges budgétaires, reprit Guéantus. Nous lui avons expliqué le mot « négocier », ainsi que le mot « diplomatie »... Mais cela ne peut que l’inciter à transgresser les usages en cours dans les chancelleries. Votre truc à l’air très efficace, mais je ne suis pas sûr qu’Angélina la reine de Teutons consentira à regarder Sarkominus comme s’il était son bébé... Vous n’auriez pas d’autres trucs apaisants comme celui là ? »
« - Si !, s’exclama Démocrite. Le cannabis ! Il produit un état de relâchement général aussi bien psychique qu’organique. Galien observe d’ailleurs que « la graine de cannabis élimine les gaz intestinaux et déshydrate à tel point que celui qui a trop mangé de graines éteint ses capacités sexuelles. » (5)
« - Ce n’est pas une mauvaise idée, ajouta Guéantus, d’autant que je suis sûr que notre ami Vladimir le Scythe approuverait ce conseil. »
Comme je le regardais étonné - ne comprenant par cette dernière saillie de Guéantus -, Démocrite me murmura : « Guéantus fait sans doute allusion à ce passage d’Hérodote : « Les Scythes prennent de la graine de chanvre, et, s'étant glissés sous des tentes de laine foulée, ils mettent de cette graine sur des pierres rougies au feu. Lorsqu'elle commence à brûler, elle répand une si grande vapeur, qu'il n'y a point en Grèce d'étuve qui ait plus de force. Les Scythes, étourdis par cette vapeur, jettent des cris confus. » (6)
Gainoïus reprit la parole : « Reste que nous n’avons plus de plan. C’est bien pourquoi nous nous tournons vers vous, avec l’espoir de trouver dans les prophéties de Comtus, l’annonce d’un grand malheur qui fasse déprimer le peuple. »
« - Vous devriez y trouver votre bonheur ! », les rassura Démocrite, en sortant la lettre de Comtus de son sac.
Démocrite remit en mémoire les prédictions de Comtus :
« Dans le Repaire du Cyrnosien, il découvrira le secret de la puissance qui perdure. Mais il trahira le Cyrnosien pernicieux, afin de rallier le Père des Repaires.
Il formera une paire performante, mais trahira de manière peu pertinente le Père des Repaires, en se faisant compère d’un pair de trente ans.
Par des repères lumineux, il ne se perdra pas, et sauvera ses pairs de la fureur du père des Repaires.
César, il ne lui sera jamais permit d’endosser la toge paternelle des Césars, plus perfide que la tunique de Nessus.
Premier parmi ses pairs puissants, les peuples de la terre le salueront d’un : « Salut petit Père Vert ! »
Mais, à force de se démultiplier il rencontrera son double.
Et, lancé à la poursuite de l’Atlantide, le pays de Droite semblable à une immense galère dans un monde qui est devenu un village, prendra l’eau de toute part.
Avant que ses péroraisons ne l’obligent à se percher sur le mont du Père des hommes et des dieux, un vieillard à l’esprit tortueux fera trembler le Palais en révélant ce que l’astucieux sophiste au cœur gonflé d’amertume a caché à Hermès. Le vieillard me rejoindra aux enfers, s’il veut une certitude. »
« - A la bonheur !, soupira d’aise Gainoïus. Tu as entendu Guéantus : « à la poursuite de l’Atlantide, le pays de Droite semblable à une immense galère dans un monde qui est devenu un village, prendra l’eau de toute part. » Tout le monde va devoir ramer, et pendant ce temps là nous pourrons réformer ! »
Démocrite proposa ensuite ses interprétations pour les quatre premières prédictions - que je ne reprends pas ici pour les avoir exposées dans des chapitres précédents. Puis, il voulu entendre Guéantus et Gainoïus à propos de la dernière prédiction, celle qui ne cessait de se dérober à toutes les interprétations. Comme ces interlocuteurs restaient perplexes, il hasarda quelques propositions, pour les encourager à parler.
« - « Avant que ses péroraisons ne l’obligent à se percher sur le mont du Père des hommes et des dieux », peut se comprendre ainsi : Sarkominus montera sur le mont de l’Olympe. Je ne sais ce que cela signifie, car « l’Olympe » n’est peut-être ici qu’une métaphore. Il est dit ensuite : « un vieillard à l’esprit tortueux fera trembler le Palais en révélant ce que l’astucieux sophiste au cœur gonflé d’amertume a caché à Hermès ». Le « vieillard à l’esprit tortueux », j’ai d’abord pensé que c’était Platon... Mais on m’a fait observer que mon interprétation était emprunte de partialité à son égard. On sait par contre qu’Eschyle qualifie Prométhée d’ « astucieux sophiste » et qu’il dissimule à Hermès le nom du descendant d’Héraclès qui aura pour mission de destituer Zeus, le « Père des hommes et des dieux ». Quand à la suite : « le vieillard me rejoindra aux enfers, s’il veut une certitude »... ça me laisse perplexe. »
« - Mais attendez !, s’écria Gainoïus. Sarkominus ne serait-il pas un descendant d’Héraclès ? »
« - Qu’est-ce qui te faire dire cela ? », demanda Guéantus.
« - Qui d’autre qu’un descendant d’Héraclès songerait à aller chercher la croissance avec les dents ? » (7), répliqua Gainoïus sur un air de défi.
« - Tu sous-entend que Sarkominus pourrait attaquer l’Olympe et destituer Zeus ?!? », s’exclama Guéantus.
Gainoïus hocha gravement la tête.
« - Mais les dieux pourraient nous anéantir ! », s’exclama Guéantus.
« - Comment peux-tu douter de la faisabilité d’un tel projet, s’il est annoncé dans la prophétie ?, interrogea Gainoïus, avant de lui demander sur un air soupçonneux : douterais-tu du génie militaire de Sarkominus ? »
« - Non ! Mais destituer Zeus... Quand même ! C’est quelque chose ! », marmonna Guéantus.
« - Sans doute, Guéantus ! Mais Sarkominus est le plus grand stratège de tous les temps !, répliqua Gainoïus. Je m’expliquais mal son génie, mais à présent que nous avons la quasi certitude qu’il est le rejeton d’Héraclès, tout s’explique. Et son appartenance à une race semi-divine n’est-elle pas confirmer par le génie militaire que l’on voit éclore chez Janus Sarkominus, le fils de notre César ? Je vais te lire une lettre que Janus Sarkominus à son père, qui est particulièrement éloquente :
« Mon tendre papa,
Quand j’ai découvert que tu m’avais nommé un nouveau précepteur, après que le précédent se fut suicidé, j’ai éprouvé contre toi un profond sentiment de haine. Mais Balkanus, que tu as nommé à cette charge, a vite levé ma prévention à l’encontre des savoirs académiques. D’abord, parce que j’ai été très surpris de comprendre tout ce qu’il me disait. Ensuite parce qu’il m’appelais avec révérence « fils d’un génie » et pas « bougre d’âne » comme le faisaient les autres professeurs.
Il a mit entre mes mains un opuscule rempli d’aphorismes qui contiennent ta pensée lumineuse. Balkanus me les commente, mais ce que j’adore dans la pédagogie de Balkanus, ce sont les travaux pratiques. La semaine dernière, nous avons chercher à mettre en application ta maxime : « Qui veut ronger un os, jette un caniche aux molosses. » Mon bon précepteur est venu te voir pour savoir si je pouvais tester ta maxime sur le centurion Martinonus et je te remercie d’avoir accepté. J’y suis très sensible, car Balkanus m’a dit qu’en acceptant, tu me prouvais ton amour, car me donner Martinonus, c’était comme nourrir son crocodile en lui jetant son animal favori. Mes yeux se sont noyés de larmes de reconnaissance, après quoi nous nous sommes rendu chez Martinonus, que tu avais chargé de marcher sur Neuillus-sur-Sequana afin d’en éliminer les rebelles menés par le brigand Fromantinus. J’ai assuré Martinonus que mes cohortes étaient en ordre de bataille et que je le « soutiendrais à mort » ; puis je l’ai pressé de se rendre au plus vite sur le champ de bataille. Quand Martinonus a lancé la charge, il ne s’est pas aperçu qu’il partait tout seul, car j’avais convenu avec son lieutenant, Teulléïus, d’interdire à nos troupes de bouger. Puis, j’ai convaincu Teulléïus que le commandement lui revenait de droit et je l’ai vivement encouragé à lancer une attaque décisive. Non sans avoir, au préalable, reçu Fromantinus, le chef des brigands qui était venu naïvement me narguer devant ma tente en agitant la tête de Martinonus, et avec lequel j’avait négocié le commandement de la forteresse de Neuillus-sur-Sequana, contre la promesse d’attaquer par derrière et par surprise le misérable traître Teulléïus. Balkanus dit que j’ai beaucoup de talent et son épouse dit que je suis déjà tranchant comme un « diamant brut ».
Mon mentor est ensuite venu te trouver pour savoir si nous pouvions tester sur Deved-Janus ta maxime « Qui veut voir un grand singe s’étrangler tout seul avec la corde qui le retient, affame les rats qui partagent sa cage ». Je suis très touché par ton autorisation, car Balkanus m’a dit qu’en acceptant, tu me prouvais ton amour, car me donner Deved-Janus, c’était comme nourrir son chien de chasse en lui servant son frère de lait. Mes yeux se sont noyés de larmes de reconnaissance, après quoi nous sommes allés trouver tous les décurions de la légion que tu as jadis dirigée et que tu as confiée à Deved-Janus. Nous avons exigés d’eux, au motif que la forteresse de Neuillus-sur-Sequana devait être complètement rénovée, des contributions mensuelles de mille sesterces. Comme ils pleuraient en prétendant qu’à se départir de telles sommes ils ne pourraient plus payer les soldes et s’exposeraient aux mutineries, je les sermonnais en leur rappelant que César Sarkominus avait laissé les coffres de la légion pleine de butins, et que le généreux Deved-Janus ne manquerait pas de les aider financièrement si c’était justifié. Et je concluais en les avertissant que je n’hésiterais pas à mobiliser ma garnison pour anéantir les cohortes dirigées par des décurions qui détournent de l’argent. Contre une réduction substantielle de la somme que je réclamais, ils acceptèrent de me nommer tribun de la légion, pour que je sois leur porte-parole auprès de Deved-Janus. Mandaté pour porter leurs doléances auprès de Deved-Janus, je suis retourné vers eux en leur dire que Deved-Janus les trouvait par trop dépensier et qu’il s’apprêtait à « nettoyer les écuries d’Augias » et à traiter sans pitié des corrompus. Je ne serais pas outre mesure étonné, si, à l’occasion d’une tournée d’inspection, il arrivait quelques accidents à Deved-Janus... » (8)
Et Gainoïus de conclure : « N’avons-nous point, ici, la preuve que le noble sang d’Héraclès coule dans le veines des Sarkominus de pères et fils ? »
Gainoïus, jugeant inutile des perdre plus de temps, convoqua le Conseil. Le chef d’état major reçu ces nouvelles directives : « 1. A compté de cet instant, toutes les légions qui étaient en mode « défaite face aux Teutons » passent en mode « victoire sur les Olympiens » ; 2. L’état major doit, dans le plus grand secret, fournir tous les éléments utiles pour que Sarkominus conçoive un plan d’attaque de l’Olympe ». Au chef du corps diplomatique fut confier « 1. La mission de prendre discrètement contact avec les divinités contestataires et de créer un Conseil Olympien de Transition, reconnu comme « seul interlocuteur légitime » jusqu’au départ de Zeus et de sa famille tyrannique. 2. Il devra engager des négociations avec le Conseil Olympien de Transition pour le paiement d’un tribut assez conséquent pour couvrir les frais de guerre et renflouer les caisses du pays de Droite ».
Gainoïus conclus : « je n’aimerais pas être à la place de Zeus ! »
Comme les ordres se colportaient, le palais se remplissait de cris de terreur.
3. Où l’auteur resitue le contexte pour expliquer comment une telle décision a pu être prise.
Pour la plupart des hommes cette décision d’attaquer l’Olympe paraîtra au moins téméraire. Mais, remise en contexte, on s’apercevra que cette décision n’avait rien de particulièrement extraordinaire dans le pays de Droite, nation qui connaissait une crise spirituelle sans précédents. Les moralistes attribuaient l’irrévérence envers l’Olympe comme une conséquence de l’adoration vouée à l’argent. Mais cette analyse était un peu courte, car une même défiance envers l’Olympe, se manifestait chez les plus humbles. C’était notable chez les plus désargentés qui vénéraient secrètement un nouveau dieu, nommé Olidè, héros qui devait bientôt venir, et qui, passerait de ville en ville, pour entraîner derrière lui tous les ploutocrates, en les charmant de sa voix ensorcelante, pour les conduire vers l’ « El Vessie », un pays lointain d’où l’on ne revient jamais (9).
En fait, la défiance et le mépris pour les Olympiens avait des causes multiples. Ainsi, les représentants du parti plébéiens - qui à la suite de la démission d’Hollandus, étaient passé bien prêts de la guerre civile -, s’avouèrent qu’aucune divinité de l’Olympe ne veillait sur eux et qu’il était grand temps de se tourner vers de nouveaux cultes.
La sénatrice Aubrïa, nouvelle chef du parti, pour ramener la paix entre les éminences du parti plébéien, se laissa séduire par un nouveau dieu, au nom imprononçable et décrit comme le créateur de l’univers.
Elle convoqua donc les chefs plébéiens pour un séminaire d’étude, auquel elle convia un certain Pierre, adepte du nouveau dieu, pour qu’il y fît une présentation de sa doctrine. Elle accueillie ainsi ses invités : « - Tout d’abord, nous allons mettre en cercle. Prenez une chaise… Tout le monde est à son aise ? Royalia, tu arrêtes de bouger sur ta chaise ! Nous sommes réunis pour approfondir notre réflexion sur notre manque de foi dans nos idéaux et notre manque de confiance en nous-mêmes et en chacun de nous... Le sage Julliardus (10) nous a posé la question très directement : « croyons-nous encore à nos mythes ? » Si ça ne t’intéresse pas Delanoïus, tu peux sortir ! Le problème, donc, c’est que nous n’avons pas assez foi en ce que nous incarnons. C’est pourquoi j’ai fais venir Pierre. Pierre… il se présentera lui-même… je l’ai fait venir pour qu’il nous aide à nourrir notre réflexion sur la foi. Donc, merci Pierre, d’être présent parmi nous. Il va sans dire, que je souhaite que vous donniez une bonne image du parti plébéien et que vous fassiez à Pierre le meilleur accueil. Voilà, Pierre, je vous laisse la parole. Parlez fort pour que tout le monde vous entende. »
Pierre : « Je voulais tout d’abord vous remercier… »
Aubrïa : « Plus fort ! »
Pierre : « Je voulais tout d’abord vous remercier pour cette invitation. Nous allons passer une après-midi ensemble. Alors, en peu de mots, je m’appelle Pierre et je fais partie d’un mouvement qui attend les temps nouveaux. En atlantidéens, cela ce dit « niou aidge ». Au cœur de notre doctrine – j’y reviendrais au cours de la discussion – il y a une réflexion sur le caractère très ambivalent de la culpabilité. Culpabiliser peut-être une très bonne chose, parce que cela nous permet de nous identifier à l’autre souffrant et à éprouver envers lui un sentiment d’empathie. Mais, d’un autre côté, la culpabilité, est aussi un poison. Je pense que vous saisissez immédiatement de quoi je parle… Si vous voulez, quand on est dans des échecs répétés, que beaucoup de gens ont compté sur vous, que vous les avez conduits à la défaite, on peut avoir tendance à se dire que c’est de notre faute… Hein, quand les échecs se répètent, que ça n’arrive qu’à nous, on peut-être enclin à penser que nous y sommes pour quelque chose… Vous voyez ce que je veux dire ? Alors, la culpabilité peut avoir quelque chose de minant, de démobilisateur. Et bien, dans notre mouvement, nous essayons de trouver une juste mesure. Culpabiliser, mais pas trop, pour continuer à voir les choses positivement. Et pour cela, il faut prendre conscience que, parfois, pour redevenir créatif, il faut en passer par une phase de destruction. C’est ce que nous appelons métaphoriquement l’apocalypse, qui désigne une destruction, qui permet de recréer et de refonder. »
Delanoïus : « Aubrïa, si je comprend bien, tu as fait venir ce type pour qu’il nous explique qu’on va s’en prendre encore plus sur la gueule !?! »
Aubrïa : « Autant pour moi… Pierre, j’ai oublié de vous le préciser : éviter les digressions. Vous allez directement au fond du message, comme on en avait discuté avant la réunion. »
Pierre : « Donc, ce qui vous mine, ce qui vous fait perdre confiance en vous-mêmes, c’est un sentiment de culpabilité. Alors, l’enjeu c’est de prendre de la distance avec cette culpabilité en commençant par en parler. Dans notre jargon, on appelle ça, dans notre jargon, la confesse. »
Strauss-Kahnus : « Pourquoi ça s’appelle la confesse ? »
Aubrïa : « On réserve cette question pour plus tard, merci de l’avoir posé. »
Pierre : « Alors, ce que je vous propose, pour que cette formation soit dynamique, c’est que, tour à tour, chacun prenne la parole devant les autres, et dise en quoi et de quoi vous vous sentez coupable de la situation actuelle du parti plébéien. Chacun doit rester très respectueux des autres, parce que c’est un exercice difficile… Alors, est-ce qu’il y a un ou une volontaire pour se lancer ? Je sais que ce n’est pas simple. En fait, il faut que vous cherchiez en vous-même, quelque chose que vous souhaiteriez voir pardonner. C’est ça l’enjeu : le pardon, comme moyen de se libérer de la culpabilité dans ce qu’elle a de plus nocive. Ah ! Une volontaire ! Comment t’appelles-tu ?... Royalia… Alors, on l’applaudit pour l’encourager, et dès que tu te sens prêtes Royalia, tu te lances. »
Royalia (après une vague d’applaudissements polis) : « Sarkominus a dit que l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire. Pardon ! Pardon pour ces paroles humiliantes qui n’auraient jamais dû être prononcées. Sarkominus a dit que Zapaterus, le prince des Ibères, n’est pas très intelligent. Pardon ! Pardon pour ces paroles injurieuses qui n’auraient jamais dû être prononcées. Oh ! Je demande pardon ! Que je demande beaucoup pardon ! » (11)
Pierre : « C’est pas mal… On l’applaudit… Merci beaucoup. Vous pouvez vous rasseoir. Est-ce que quelqu’un à des remarques à faire ? Toi qui lève le doigt ! Je te donne la parole Valsus. »
Valsus : « Moi, ce que je remarque, c’est que ce qu’elle vient de dire, c’est complètement crétin… »
Pierre : « Ah non ! On ne dit pas crétin. On est là pour travailler sur le sentiment d’empathie. Dis plutôt que ses propos ne te semblent pas appropriés… »
Valsus : « D’accord. Là où c’est crét…improprié, c’est qu’il faut demander pardon, mais pour des choses qui nous concerne. »
Pierre : « Valsus, tu viens de dire quelque chose d’hyper important ! Alors, est-ce que tu te sens capable de demander pardon pour quelque chose qui te concerne ? Oui ? Mais avant de te donner la parole, je veux m’adresser au groupe. Celui qui se confesse permet aux autres de développer leur capacité à pardonnez. Idéalement, notre capacité à pardonner est infini. On a même un dicton pour exprimer cette faculté infinie à pardonner, c’est : « si on te frappe sur la joue droite tends la joue gauche »
Delanoïus : « C’est bien ce que disait, Aubrïa, il pense qu’on ne s’est pas encore pris assez de baffes ! »
Aubrïa (à Pierre) : « J’ai dit : pas de digressions ! »
Pierre : « Nous allons applaudir Valsus pour l’encourager. »
Valsus (après des applaudissements de circonstances) : « Je dis quelque chose qui nous concerne ? »
Pierre : « Oui ! »
Valsus : « Je demande pardon d’être entouré de chefs plébéiens tous plus idiots les uns que les autres ! Pardon pour toute cette bêtise ! »
Royalia : « Je peux le faire moi aussi ? »
Hollandus : « Non, t’as passé ton tour ! C’est à moi maintenant de demander pardon ! »
Aubrïa (prenant Pierre à part) : « Votre religion là… C’est une religion éprouvée, certifiée ? Elle a reçue son autorisation de mise sur le marché ? »
Pierre : « J’avoue… on est encore en phase de testing… »
Aubrïa : « Et vous pensez sérieusement qu’elle a un avenir votre religion ? »
Nous pourrions multiplier les exemples qui témoignent du grand désarroi moral que traversait alors le pays de Droite.
4. Où l’auteur fait ingénument une hypothèse funeste à propos de la dernière prophétie
« - En tout cas, voilà une fructueuse matinée ! », s’exclama d’aise Gainoïus.
« - Et bien, je ne trouve pas tellement, rétorqua Démocrite. Je suis encore loin de m’expliquer la prophétie : « Avant que ses péroraisons ne l’obligent à se percher sur le mont du Père des hommes et des dieux, un vieillard à l’esprit tortueux fera trembler le Palais en révélant ce que l’astucieux sophiste au cœur gonflé d’amertume a caché à Hermès. Le vieillard me rejoindra aux enfers, s’il veut une certitude. »
« - C’est amusant, fis-je, il n’est d’ailleurs qu’à observer la tête des chefs de l’état major et du corps diplomatique pour s’en convaincre,... vous avez réussit à faire trembler le palais. »
« - C’est un peu ce que je craignais, marmonna Démocrite. Car cela signifie que je suis le vieillard mentionné dans la prophétie, et qu’il me faut alors me rendre aux enfers... »
« - Vous dites ? », sursauta Gainoïus.
« - Je dis : il faut que je descende aux enfers, si je veux une certitude », reprit Démocrite avec une voix beaucoup plus distincte.
« - Démocrite à raison ! De plus, il faut attendre que Démocrite soit rentré des enfers avant de lancer une offensive contre l’Olympe, affirma Guéantus qui semblait prit de doute quant à la pertinence du projet d’attaque. Nous serons beaucoup plus à l’aise dans notre entreprise, lorsque nous aurons eu une confirmation de la pertinence de cette interprétation. »
Un silence s’installa durant quelques minutes, qui fut rompu par Gainoïus : « Nous avons recruté Orphée pour qu’il trouve une femme à notre César. Il connaît bien les enfers. Il pourrait vous servir de guide. Nous prendrions les frais en charge... »
« - Mais peut-être est-ce un peu dangereux », hasarda Guéantus.
Démocrite éclata de rire : « A mon âge ! Mourir n’est plus à proprement parler un risque, ou alors c’est un risque permanent ! Seuls « les insensés désirent vivre quand ils son vieux, par crainte de la mort. » (12) Et puis, j’ai toute ma vie professé que le sage devait atteindre l’athambie, la conscience intrépide et sans crainte, je ne vais donc pas reculer aujourd’hui devant ce qui arrivera inéluctablement. »
« - Dès qu’Orphée sera de retour, j’organiserais votre rencontre pour que vous puissiez préparer ce voyage, reprit Gainoïus. J’ai souvenir que vous avez écrit un ouvrage intitulé De l’Hadès, malheureusement introuvable. Je suppose qu’il contient déjà beaucoup d’indications sur l’enfer. »
Démocrite le regarda fixement avant d’être pris d’hilarité.
« - Ah ! Non ! Je n’ai pas encore rédigé de guide touristique sur les enfers !, répondit Démocrite. De l’Hadès est un modeste opuscule qui répond à quelques thèses saugrenues répandues par les idéalistes. C’est un ouvrage suscité par une épidémie de récits à propos de personnages morts et revenus à la vie (13). Par exemple, Proclus racontait que « Cléonyme d'Athènes, homme assidu aux discussions philosophiques, navré de douleur à la mort d'un de ses amis, perdit coeur, s'évanouit. Ayant été cru mort, il fut, le troisième jour, exposé selon la coutume. Or, comme sa mère l'embrassait, lui disant un dernier adieu, et, lui ayant écarté du visage son manteau, baisait le cadavre, elle perçut un léger souffle. Cléonyme reprend peu à peu ses sens, se réveille et raconte tout ce qu'il avait vu et entendu après qu'il avait été hors du corps. Il lui avait paru que son âme, au moment de la mort, s'était dégagée, comme de certains liens, du corps gisant à côté d'elle, s'était élevée vers les hauteurs et, ainsi élevée au-dessus du sol, avait vu sur la terre des lieux infiniment variés quant à l'aspect et aux couleurs, et des courants fluviaux invisibles aux humains. » Des récits en tout point semblables se multiplièrent : des hommes passaient pour morts, ils sentaient leur âme sortir de leur corps, ils voyaient leur corps étendus, apercevaient bien souvent une grande lumière, puis ressentait une grande joie et un sentiment de paix. Bien des idéalistes s’emparèrent de ces récits pour diffuser l’idée que l’âme et le corps pouvaient se séparer. Et bientôt paru Cléarque le magicien, chez lequel un grand nombre de beaux esprits se pressa, impatient d’assister à ses démonstrations. Il frappait de sa baguette un adolescent endormi et avec cet instrument, à l’en croire, « il tira l'âme hors du corps, et la conduisant pour ainsi dire, par la baguette, loin du corps, il montra que le corps, immobile et conservé sans dommage n'avait plus de sensation, pareil à un objet inanimé. » En effet, chacun pouvait vérifier en secouant l’adolescent qu’il ne réagissait pas. Puis avec sa baguette, il ramenait l’âme dans le corps de l’enfant qui s’éveillait aussitôt. « Par ce moyen donc, le magicien persuada les spectateurs de cette expérience, et en particulier Aristote, que l'âme est séparable du corps » et même, selon le mot de Cléarque, dans son Traité sur le sommeil, « qu'elle se sépare du corps et qu'elle rentre dans le corps et se sert de lui comme d'une auberge. » (14)
« - Et donc, quelle est l’explication de ce phénomène ? », demanda Gainoïs.
« - L’explication est des plus simple, répondit Démocrite. Nous avons deux points à discuter : ces hommes sont-ils effectivement morts et ce qu’ils nous rapportent est-il vrais ou analogue à un songe ? Sur le premier point nous seront d’accord avec Colotes pour dire que « cette mort n'était pas, comme il a semblé, suppression de toute vie du corps, mais est survenue à la suite d'un coup, peut-être même d'un traumatisme ; les liens de l'âme sont demeurés rivés à la moelle, et le coeur a conservé en son sein le foyer vital. Sur ces atermoiements, il a regagné une vie éteinte parce que ce point d'attache l'a animé de nouveau. » (15) Mais là n’est pas l’essentiel. Il faut s’expliquer pourquoi l’âme, sentant la mort approché, ferait ce genre de songe. La mort est un effondrement des liens qui unissent les atomes qui forment notre corps. Imaginez qu’à cet instant même le ciment qui uni les briques des murs de ce palais se transforme en poussière. Ne songeriez-vous pas à le quitter précipitamment ? »
« - Certainement », approuva Gainoïus.
« - Et une fois sorti, ne verriez vous pas le palais ? », demanda Démocrite.
« - Comment pourrait-il en être autrement ? », répondit Gainoïus.
« - En passant si vite de l’obscurité relative du palais, à l’extérieur, ne ressentiriez vous pas une sorte d’aveuglement sous l’effet de la lumière du jour ? », demanda Démocrite.
« - C’est probable », acquiesça Gainoïus.
« - Et, vous sentant en parfaite sécurité à l’extérieur, n’éprouveriez-vous pas une forme de joie et un sentiment de bien-être ? », demanda Démocrite.
« - Pour le moins ! », approuva Gainoïus.
« - Donc que fait notre malheureuse âme, retenue et empêtrée dans la moelle, sinon chercher un moyen de s’enfuir de son corps ? Mais, comme elle ne le peut pas, elle rêve son départ précipité. On pourrait penser que l’âme, ce faisant, ne se rend pas consciente de la mort, mais c’est un peu réducteur. En un sens, elle se donne l’illusion de s’en être tirée grâce à cette fuite hors du corps. Mais en même temps elle se représente comme jamais, la tangibilité de la fin. Comme je l’ai écrit dans « sur la fin », nos actions prennent fin, soit parce qu’elles nous causent un désagrément insupportable, soit parce qu’elles nous procurent un sentiment de la plénitude. Dans le premier cas, poursuivre l’action serait insensé car on augmenterait sa souffrance. Et, dans l’autre cas, également insensé, puisque le sentiment de plénitude est indépassable et non reproductible (16). Aussi, ce sentiment de plénitude que décrivent ces hommes revenus à la vie est-il le reflet de la représentation que leur âme se sera donnée de la fin. Ce qui est troublant chez l’homme, c’est qu’il ait besoin de goûter la mort pour découvrir ce sentiment de plénitude, si bien que c’est très tardivement qu’il se libère d’un sentiment d’incomplétude qui l’enferme dans la crainte. »
NOTES
(1) C'est Michel Onfray qui rapporte cette saillie de N. Sarkozy dans un article intitulé "Dans la peau de Nicolas Sarkozy" paru dans le Nouvel Observateur du jeudi 12 août 2010
(2) Déclaration de N. Sarkozy lors de son entretien avec Michel Onfray dans Philosophie magazine n°8, avril 2007
(3) Le 23 février 2007, au Salon de l'agriculture, N. Sarkozy a une altercation avec un visiteur qui refuse de lui serrer la main. N. Sarkozy lui lance : "Casse-toi alors, pauvre con" ; Le 06 novembre 2007, port de pêche du Guilvinec (Finistère), accueilli par des marins qui le sifflent, N. Sarkozy interpelle plus particulièrement un marin qui l’invective grossièrement d’un : « Toi si tu as quelque chose à dire, tu as qu'à venir ici ! Toi tu n'as qu'à descendre! Je n'accepte pas les insultes des pêcheurs à mon endroit. » ; Le 19 novembre 2010, en marge du sommet de l’Otan à Lisbonne, N. Sarkozy est interrogé par un journaliste sur son éventuelle implication dans l’affaire de Karachi. Il répond : « Et vous - je n’ai rien du tout contre vous - il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Pouvez-vous vous justifier ? » Il conclu même l’interview, après avoir dit qu’il plaisantait, par un : « C’est sans rancune, hein, le pédophile ? » et un « Amis pédophiles, à demain ! »
(4) Interview d'Eric Wœrth au Figaro du 21.05.08, « justifiant » les 47,44 milliards de déficit des comptes publics.
(5) Galien. De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus. Edition Kuhn (volume XII), VI. 54
(6) Hérodote. Histoire, L. IV., LXXV.
(7) « J’irai chercher la croissance avec les dents », promettait Nicolas Sarkozy au printemps 2007, pendant la campagne précédant son élection.
(8) « Jean, c’est un diamant brut » affirme Isabelle Balkany (Le Parisien, 17 février 2008). En décembre 2007, Jean Sarkozy déclare à l’adresse de David Martinon candidat aux municipales de Neuilly-sur-Seine : « David, moi à titre personnel, je voulais te dire un grand merci et te dire que nous (les jeunes UMP), on te soutiendra à mort dans cette campagne. » Mais en février 2008, en accord avec un représentant de l’UMP de Neuilly, Arnaud Teullé, il lâche David Martinon. Fromantin, candidat indépendant, reçoit au final le soutien de l’UMP et de Jean Sarkozy contre Arnaud Teullé en ballottage défavorable, ceci afin de préparer dans les meilleures conditions son élection sur le canton de Neuilly-sud et entrer au conseil général des Hauts de Seine, le 16 mars. Patrick Devedjian, qui avait qualifié le lâchage de Martinon d’initiative « regrettable et inutile », subit à son tour l’offensive de J. Sarkozy, parrainé par le couple Patrick et Isabelle Balkany. Il obtient la présidence du groupe UMP des Hauts-de-Seine. Puis, il y aura eu l’affaire de l’EPAD et enfin une bataille pour la présidence du Conseil général que Devedjan conservera de justesse. « Lorsque j'ai parlé des écuries d'Augias, je faisais d'abord allusion à un certain nombre d'informations judiciaires en cours: à l'époque, j'avais une perquisition par semaine au Conseil général ! » confiera Devedjan à Médiapart (07/11/11), manière de pointer la gestion de ses prédécesseurs, C. Pasqua et N. Sarkozy. Devedjan a mit en liquidation la Sem Coopération 92, structure de coopération avec l’Afrique du CG 92, à la gestion particulièrement opaque.
(9) Fin décembre, l’Express révèle que depuis le 15 décembre 2006, le chanteur Johnny Hallyday s’est exilé fiscalement à Gstaad, en Suisse. Sarkozy, ami du chanteur, déclare qu'il y aurait un problème de fiscalité en France, qui ferait fuir un riche Français par jour. Puis dans la foulée il annonce ses projets fiscaux : « Je veux un bouclier fiscal à 50% y compris la CSG et la CRDS » (Discours à Paris, 14 janvier 2007). Dans un entretien à l’hebdomadaire Le Matin Dimanche, le 24 décembre, le chanteur affirme que Sarkozy a approuvé son initiative : « Il m’a dit : « Ecoute Coco, t’avais envie de le faire, tu l’as fait, t’as bien fait ». Le 8 mai 2007, Læticia Hallyday annonce sur RTL que son couple pourrait revenir vivre en France grâce à l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidentielle et à son souhait de mettre en place un bouclier fiscal à 50 %. Il n'est évidemment pas revenu.
(10) Jacques Julliard dans le nouvel observateur du 2 aout 2007 publie : "Socialistes, croyez-vous encore à vos mythes?"
(11) Le 7 avril 2009, Ségolène Royal, lors d’un séjour à Dakar, déclare dans un discours : « Quelqu’un est venu ici vous dire que « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire ». Pardon. Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées et — je vous le dis en confidence — qui n’engagent ni la France, ni les Français ». Puis, après que Libération ait révélé, le 16 avril 2009, cette tirade de N. Sarkozy « Zapatero n’est peut être pas très intelligent. Moi, j’en connais qui étaient très intelligents et n’ont pas été au second tour de la présidentielle », S. Royal écrit au chef du gouvernement espagnol Jose Luis Zapatero pour s'excuser de propos « injurieux » tenus par le chef de l'Etat.
(12) Démocrite, Fragment, B CCV, Strobée, Florilège, III, IV, 79)
(13) "Un grand nombre d'auteurs anciens et particulièrement le Physicien Démocrite, dans son ouvrage sur l'Hadès, ont reconstitué l'histoire de ceux que l'on a pensé morts puis qui ont ressuscité." Proclus, Commentaire sur La République de Platon, II 113, 6 Kroll
(14) Proclus, Commentaire sur La République de Platon, II, 113-115 et 122-123 Kroll
(15) Proclus, Commentaire sur La République de Platon, II, 113 Kroll
(16) « Mais les Abdéritains enseignent aussi qu’il existe une fin ; Démocrite dans son ouvrage "Sur la fin" enseigne que c’est la joie, qu’il appelle aussi prospérité. Et souvent il rajoute : en effet la plénitude et le désagrément sont les bornes des avantages et des inconvénients, ce qui est une fin à mettre en avant dans la vie des êtres humains aussi bien jeunes qu’âgés. » Saint Clément d'Alexandrie, Stomates. XXI. 192