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Billet de blog 26 février 2012

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De Libye en Syrie : l’hubris de Sarkozy

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Par peur de voir le printemps arabe leur faire perdre la main dans leur zone d’influence, la France et l’Angleterre, anciennes puissances coloniales, ont été saisies par l’hubris qui recommande, dans l’adversité, de se jeter éperdument dans le combat. Les deux moyennes puissances militaires, après avoir obtenu le concours américain (concours, au demeurant, obligé au vu des services rendus en Irak, en Afghanistan et plus généralement dans la dites « guerre contre le terrorisme »), se sont lancées dans une intervention en Libye et ont ensuite crues possible rééditer la manœuvre en Syrie. Le concours américain ne fut d’ailleurs que relatif, car la Libye et la Syrie ne sont pas des zones perçues comme stratégiquement vitales pour les USA, qui ont, au demeurant bien à faire en Afghanistan, en Irak, en Corée, en Amérique latine, etc.
  

Hillary Clinton à Tripoli


 
L’hubris (la démesure) fut d’imaginer possible d’humilier au passage la Russie. Cette humiliation est celle qui a consisté à jouer au plus malin avec le droit international en brisant le consensus que Kofi Annan était parvenu à créer en faveur du droit d’intervention international pour la protection des victimes. Dans son discours du 7 avril 2004, Kofi Annan avait jeté les bases d’un droit d’intervention pour la protection des civils, fondés sur 5 points :
   
1) Le premier principe est que ce droit d’intervention devait s’inscrire dans une démarche de prévention des conflits armés, puisque les massacres et les génocides se produisent généralement dans un contexte de guerre ou de guerre civile. Conformément à cette optique, pour tenter d’obtenir une trêve, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon a nommé un médiateur en la personne de Abdul Ilah Al-Khatib, l’Organisation des Etats Africains, avec le soutien de la Russie, a fait des propositions de sortie de crise, incluant un départ de Kadhafi. Enfin, en marge du sommet du G8 de Deauville, en mai 2010, Sarkozy et Obama sollicitèrent les Russes pour qu’ils interviennent en médiateurs. On peut penser, qu’au-delà du fait que Sarkozy n’ait jamais souhaiter respecter l’esprit du consensus forgé par Kofi Annan, que les russes aient pris ombrage d’être mené en bateau.
  


Thowar, mitrailleuse & âne


  
L’ONU pour réduire la violence a aussi voté un embargo sur les armes à destination de la Libye et donner mandat à l’OTAN de s’en assurer. Or la France – et très probablement le Qatar – ont livré massivement des armes aux anti-kadhafistes. Interpellés sur le sens de leur engagement militariste, Sarkozy, Obama et Cameron, dans une déclaration commune le 15 avril 2011, se montraient au moins sibyllin : « il ne s’agit pas d’évincer Kadhafi par la force », mais « tant que Kadhafi sera au pouvoir, l’OTAN ... doit maintenir ses opérations. » 


Une jeune fille fuyant Bani Walid


  
2. Le deuxième principe mis en avant par Kofi Annan est que l’intervention ayant pour objet la protection des civils, l’intervention ne peut être la cause de dommages pour les populations civiles. On ignore le nombre de victimes civiles liées aux bombardements de l’OTAN. Toutefois, selon une enquête du New York Times, publiée le 17/12/11, « au moins 40 et peut-être plus de 70 civils » ont été tués lors de 25 raids aériens de l’Otan sur lesquels ils ont pu enquêter. Or l'OTAN a revendiqué 9650 attaques aériennes.


Un thowar devant le complexe de Bab al-Aziziyah en flamme


  
Il est sans doute malhonnête intellectuellement d’appliquer une règle de 3, et de conclure que puisqu’il y a eu 40 à 70 civils tués pour 25 sites étudiés, il y a du y avoir entre 15.440 et 27.020 civils tués lors des 9650 attaques... mais, il est certain que les bombardements ont tués des civils libyens, d’autant que les combats se sont pour l’essentiel déroulés en zone urbaine. Moustapha Abdeljalil, président du CNT, a déclaré à la conférence de l’Union européenne sur les droits de l’homme à Varsovie, le 16.12.11. que « le nombre des martyrs est de 24 000 à 25 000, et parmi eux de 5000 à 6000 qui étaient mariés et qui laissent des veuves et des enfants. Et il y a également 35 000 blessés. »


Un garçon blessé


  
De plus, l’état de guerre civile a réveiller tous les ressentiments, en premiers lieux ceux des chômeurs libyens à l’encontre des migrants, en premiers lieux africains. Mais aussi les haines recuites des tribus. Ainsi la tribu des Misrati, a fait preuve d’une cruauté inouïe à l’encontre des habitants de Syrte et plus encore à l’encontre de ceux de Tawarga (libyens noirs) dont la ville a été purement et simplement détruite et ses habitants dispersés à travers des camps, quand ils n’ont pas été exterminés. Il est difficile d’affirmer que l’option belliciste de l’OTAN ait préservée beaucoup de vies humaines.


Arrestation d'un noir par des thowars


  
3. Autre principe d’importance posé par Kofi Annan : l’intervention de l’ONU doit s’inscrire dans une démarche juridique visant à mettre fin à l’impunité des criminels, mesure essentielle pour la prévention des génocides à venir. On a vu les nouvelles autorités libyennes refuser l’intervention de la CPI et ne subir aucune pression pour qu’elles remettent les criminels du régime kadhafistes à la justice internationale, alors même que chacun constate l’incapacité, non seulement de la justice libyenne, mais tout aussi bien de l’Etat libyen, à fonctionner normalement. L’impunité des criminels du régime kadhafiste, n’étonnera pas quand on sait que nombre de dirigeants du CNT sont des anciens comparses de Kadhafi, à commencé par son président, Moustapha Abdeljalil, ancien ministre de la Justice qui s’était illustré dans l’affaire des infirmières bulgares et sans oublier l’ancien chef militaire du CNT, le Général Abdelfattah Younès, ex-ministre de l'intérieur de Kadhafi. L’influence d’ancien proches de Kadhafi dans le CNT est difficile à cerner, mais on peut relever que sur cinquante-sept membres du CNT, le site Internet du CNT, fin janvier 2012, ne donnait les noms que de 43 d'entre eux, et que les séances du CNT se tiennent systématiquement à huis clos. Après la chute de Kadhafi, qu’on donc à craindre les dirigeants anonymes du CNT ?


Un thowar occupant une riche demeure


  
Si les libyens sont si peu empresser à voir les criminels kadhafistes traduit en justice, et préfère la méthode du lynchage et de l’exécution dans des centres de torture, les occidentaux ne manifestent pas d’empressement particulier à voir triompher le droit. Auraient-ils quelques craintes que des accusés mettent au jour les liens étroits du régime Kadhafi avec les occidentaux ? Songeons aux documents Takieddine qui donnent les preuves de l’espionnage français du net libyen révélé par Médiapart, par exemple... 


Sarkozy et Kadhafi


  
4. L’intervention, affirme Kofi Hannan, suppose la mise en place de système d’alerte précoce, pour permettre une réactivité des forces d’intervention. L’exigence d’informations fiables a été bafouée. Dans un interview au Monde du 24.11.11, Rony Brauman constatait que « personne n'a été capable de nous montrer les tanks qui se dirigeaient prétendument sur Benghazi. Or, une colonne de chars, à l'époque des téléphones mobiles et des satellites, ça se photographie. D'ailleurs, s'il a suffi de détruire quatre tanks en un raid aérien pour briser ladite offensive, c'est bien que cette colonne, dont on n'a plus entendu parler par la suite, n'existait pas ! De même pour les plus de 6 000 morts [civils tués par les kadhafistes] dont faisait état le Comité national de transition (CNT) dès le début du mois de mars. Les enquêtes d'Amnesty et de Human Rights Watch ont montré que le nombre de victimes s'élevait en réalité à 200 ou 300, dont la plupart étaient mortes au combat. »


Un avion de chasse libyen abattu


   
Hugh Roberts, dans le London Review of Books (repris sur le blog de Tzvetan Todorov) constate qu’un reportage du 21 février 2011 diffusé par Al-Jazira, qui prétendait que Kadhafi avait bombardé avec ses avions sa propre population, a joué un grand rôle dans la mobilisation internationale. Or il n’existe aucun témoignage direct, aucune image de ce massacre et le 2 mars, le Secrétaire d’Etat à la Défense et le chef d’état-major américains témoignant devant le Congrès, ont d’ailleurs déclarés : « nous ne disposons d’aucune preuve d’attaques aériennes contre les civils. » Quand aux légions de mercenaires nègres gavés de viagra pour mieux violer les belles Shéhérazade d’une Libye rebelles, il s’agit évidemment d’un conte pour occidental. L’ONU a, dès la chute de Kadhafi, dépêché des enquêteurs pour faire la lumière sur ces prétendus viols de masse, mais rien n’en est sorti (pourtant, plus de neuf mois après les faits on aurait du constater un nombre anormalement élevé d’enfants métis). Bref, au lieu d’un mécanisme d’alerte, c’est une propagande grossière qui s’est mise en place.


Libyennes fêtant la libération


   
5. Le cinquième point, consistait en la création d’un nouveau poste de conseiller spécial à l’ONU sur la prévention du génocide, pour affirmer que cette mission était permanente pour l’ONU. Or, on l’a constaté, l’ONU a été tenue à l’écart durant toute l’affaire libyenne. Et elle l’est même largement aujourd’hui encore, alors que la situation de la Libye se dégrade. Certes, du fait de l’incurie du CNT. L’ONU, au travers du Programme alimentaire mondial distribue de la nourriture et participe au déminage, mais est largement tenue à l’écart du processus politique, alors même que les violences inter-ethniques, annonciatrices de « purification ethniques » se développent à travers le pays. Cerise sur le gâteau, alors que l’ONU a voté la levée des sanctions, les USA, n’en tenant pas compte, ont décidé de maintenir le gel d’une partie des avoirs libyens.
   
Avec l’humour pince-sans-rire, Lavrov, représentant d’une Russie qui n’avait pas d’intérêts majeurs à défendre en Libye, déclare que « les actions de l'Otan [en Libye] nous intéressent en premier lieu du point de vue du droit international » et il a demandé à ce que celles-ci soient « qualifiées juridiquement » ; un trait d’ironie, puisque chacun sait que cette intervention, c’est juste une idée que Sarkozy a piqué à BHL.


BHL en Libye


  
En faisant voler en éclat le consensus qui s’était formé autour du droit d’intervention pour la protection des civils, Sarkozy et Cameron, ont créé une situation où l’ONU est complètement hors-jeu. Cette situation, les syriens sont aujourd’hui en train de la payer au prix fort. On peut bien désigner les Russes et Chinois qui opposent leur veto à l’ONU contre toutes mesures visant la Syrie, il faut bien constater que le droit d’intervention pour la protection des populations civiles est un droit mort-né.


Deux thowars


  
Il ne reste plus alors, quand le droit est inopérant qu’à raisonner en terme de rapport de force et de realpolitiks. Et celle-ci commande à Sarkozy soit d’aller encore plus loin dans l’hubris et de défier et d’humilier la Russie en intervenant en Syrie ; ou bien de faire le constat que la Russie, dispose seule d’une influence suffisante sur le régime syrien pour intervenir, en lien avec l’ONU – qui vient de nommer Kofi Annan comme médiateur -, pour proposer une issue pacifique (ce qui reviens pour Sarkozy, sinon à s’humilier, au moins à renoncer à l’hubris).
  
Au final, Sarkozy aura favoriser l’émergence du chaos en Libye et rendu un bien grand service à Bachar el Assad, du genre de celui que Bush père avait rendu à Saddam Hussein, en incitant les chiites à se rebeller ; Sarkozy, en incitant l’opposition syrienne à se lancer dans l’aventure militaire, il fait tomber le masque et dévoilé à Bachar el Assad tous les ennemis qui restaient jusqu’alors dissimulés. Sans doute lui a-t-il offert dix ans de pouvoir supplémentaires.
   
Espérons que la fin du sarkozysme, en France, sera aussi annonciatrice d’une France qui promeut le droit international !
07/04/2004. ONU. DECLARATION DU SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES A L’OCCASION DE LA JOURNEE DE REFLEXION SUR LE GENOCIDE AU RWANDA
27.05.11. AFP. Libye: Obama et Sarkozy demandent une médiation russe en marge du G8
06.10.11. Mediapart. Les documents Takieddine. Les preuves de l’espionnage français du net libyen
21/10/2011. RIA. Libye: qualifier juridiquement les actions de l'Otan (Lavrov)
24.11.11. Le Monde. BHL-Brauman. L'opération libyenne était-elle une "guerre juste" ou juste une guerre ?
25.11.11. Blog de Tzvetan Todorov. La guerre de Libye : les faits et leur représentation
17.12.11. New York Times. In Strikes on Libya by NATO, an Unspoken Civilian Toll
26.01.12. Reuters. En Libye, le partage du pouvoir en question
13.02.12. RFI. Libye : reportage à Tawarga, ville fantôme
21.02.12. AFP. Libye: plus de 100 morts dans des combats entre tribus au sud
23.02.12. Les Echos. Libye/USA: Obama maintient le socle des sanctions malgré la chute de Kadhafi
24.02.12. RFI. Syrie: Kofi Annan désigné par l'ONU et la Ligue arabe pour tenter d'éteindre l'incendie

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