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Billet de blog 23 mars 2020

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La tectonique du travail

est ce que quand j’achète mon billet de train sur mon téléphone, je prends le travail d'un agent ? quand je loue sur RB&B je ne m'adresse pas à un hôtelier qui m'hébergera, mais à un entremetteur qui nous met en relation. qu'est ce que devient le travail et comment va-t-on pouvoir continuer à s'identifier par son métier ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les secousses sismiques de la société peuvent-elle être vues comme la conséquence des mutations des territoires du travail ?

« chat bots » « robotisation » « NTIC » mondialisation … On a vu ces dernières  années des mutations importantes secouer le monde du travail.

La mutation est si profonde que c’en est même la notion de travail qui est questionnée[1]. Si le travail est remis en question à plusieurs niveaux, deux de ces niveaux nous intéresse particulièrement :

LA VALEUR DU TRAVAIL

En ce sens la question du revenu universel est bien un observable de l’embarras des politiques pour définir la valeur des activités humaines. Jusqu’il y a peu, c’est la quantité d’activité mesurable en temps qui servait d’étalon de mesure de la valeur socio-économique d’un individu : le nombre d’heure passé devant son établi ou son ordinateur. Qu’en est-il de la mesure du travail quand l’ordinateur devient portable ? Qu’en sera-t-il dans une société ou les « chat boot » vont jusqu’ industrialiser et automatiser les processus de décision et de relations interindividuelles. On voit des pans entiers de l’économie perdre leur valeur, battu en brèche par l’automatisation. On peut le voir récemment dans la crise qui secoue le métier de formateur, concurrencé par les moocs et autres média.

LE TERRITOIRE DU TRAVAIL.

Quand je me sers de mon téléphone pour acheter un billet de train est-ce que je travaille ? Est ce que je prends le travail de quelqu’un ? Comment définir la valeur de cette activité ? A-t-elle une valeur économique ? Alors doit on la rémunérer ? A-t-elle une valeur sociale ? est ce que je contribue au maintient du chômage  en favorisant l’utilisation des systèmes « gratuits ».

Des systèmes gratuits qui n’ont de gratuit que le nom. Plutôt que de les définir comme étant « gratuit » nous devrions plutôt les voir comme des systèmes sont « d’une valeur socio économique non-définissable ». Un cout caché : Je ne peux pas dire combien vaut le journal gratuit qu’on m’impose dans le métro. Je sais qu’il a un cout écologique et économique qui sera réparti d’une manière cachée entre le consommateur qui achètera les produits vantés dans ces journaux et le citoyen pour lequel la collectivité va devoir retraiter les déchets de cette infobésité galopante.

DEPLACEMENTS ET RECONFIGURATION DES TERRITOIRES.

LES TERRITOIRES VIE PRIVEE/VIE PUBLIQUE

L’automatisation des TIC (techniques d’information et de communication) contribue ainsi à redéfinir les territoires du travail. Mais aussi les espaces supposés distincts de la vie professionnelle et de la vie privée.

Cette séparation vie privée/ vie professionnelle est une des composantes de la société industrielle qui est plutôt récente dans l’histoire du travail. Dans la France du XIX ième siècle à 95% agricole, il n’existait pas de séparation entre la vie privée et la vie professionnelle.

Elle fait partie de ces séparations d’espace et de temps qui n’ont qu’un seul intérêt c’est de pouvoir marchandiser la force de travail sur un critère : le temps. Mais comme toutes les séparations d’espace et de temps elle recèle des couts cachés. Si mon travail est dans une zone industrielle à plusieurs kilometres  de mon lieu de vie, en terme de santé, le cout psychique et le cout économique reste à la charge du travailleur ou de la collectivité. Le seul bénéficiaire restant celui qui impose ces séparations arbitraires. S’il est économique pour l’employeur d’installer son usine en zone industrielle, c’est en grande partie parce que le cout différentiel est payé par celui qui s’y rend pour travailler et par la collectivité.

Croire qu’il est nécessaire de séparer vie professionnelle et vie privée est une survivance de l’ère industrielle dont nous avons du mal à nous défaire.

Cela repose sur la croyance qu’il est possible de déterminer quand quelqu’un travaille. Si au XIX ième siècle on pouvait attester que l’ouvrier travaillait quand il était à l’usine devant son établi, on a aujourd’hui beaucoup de mal à réunir les conditions spatio-temporelles de cette détermination. Plus l’acteur de l’entreprise est autonome et créatif, plus cette séparation s’estompe. Je me souviens de la boutade d’un dessinateur de presse qui disait : « le plus difficile dans mon métier c’est de persuader ma femme que je travaille ». Il montre bien par là que l’activité professionnelle quand elle contient une part de créativité, peut de moins en moins se cantonner à l’espace et au temps étiqueté comme étant dédié au travail.

La vraie question n’est pas celle de la séparation vie professionnelle/vie privée, mais la question de l’attention que requière la vie dans un monde complexe et mouvant[2]

LES TERRITOIRES DU TRAVAIL, DE LA FORMATION ET DE LA RECHERCHE

Cette reconfiguration impacte particulièrement les relations entre le travail (espace de production) d’une part et d’autre part la formation et la recherche (espace de reproduction/ création). Le cantonnement de chacune de ces activités à un espace spécifique apparaît de plus en plus comme un archaïsme de la société industrielle.

Mais au delà de ces aspect ce sont les frontières entre les différents espaces de production et de reproduction qui s’en trouvent questionnés les territoires de la production et de la reproduction[3]

Le besoin de développer l’autonomie et l’adaptabilité des acteurs a largement contribué à redéfinir les territoires du travail et du non-travail. Cette remise en question affecte aussi la redéfinition des espaces de production et de reproduction des compétences. Le temps est bien fini ou l’on pouvait distinguer d’une manière claire l’espace de production (l’atelier et l’ouvrier) l’espace de création des processus (le bureau des méthodes et ses ingénieurs) et l’espace de production/reproduction des compétences (l’école et le centre de formation et ses apprentis).

La crise de la formation s’explique de diverses manières. Une des raisons de la crise est bien entendu le fait que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont contribué à massifier la diffusion des informations au travers des moocs et du réseau internet ont contribué à dévaloriser la fonction du formateur dispensateur de connaissances[4]

Le métier de formateur s’en trouve qualitativement modifié et les conséquences n’ont pas fini de s’en faire sentir dans ce secteur d’activité.

La crise que vit actuellement la formation technique (initiale et continue) s’explique en partie par le fait que le système de formation encore largement influencé par une organisation sociale qui est incapable de se désembourber de son jacobinisme archaïque est incapable de sortir des schémas territoriaux de l’ère industrielle.

Le centre de formation voit son identité de « lieu de transmission de savoir », remise en question comme le formateur voit sa mission de transmetteur de savoir tout aussi questionnée. Cette mutation concerne la formation professionnelle continue et assez peu l’école qui toutes fois se pose la question de savoir comment elle peut concourir à développer les Soft skills des enfants[5]. On peut distinguer ici école et formation en ce que l’école reste bien le lieu de l’initiation aux savoirs sociaux et le lieu de l’instruction publique[6], alors que la formation est théoriquement supposée permette à une personne, instruite des règles sociales, de passer à l’étape suivante d’apprendre  à être un acteur de la production.

Il n’est plus question de former des acteurs adaptés aux procédures de travail établies comme le permettait la formation du XX ième siècle créant de la compétition de la division et de l’élitisme, non pas en terme d’intelligence, mais en terme de puissance cognitive. Il s’agit maintenant de former les acteurs capables de produire leur savoir et leur processus de travail, capables d’être en intelligence avec leur environnement humain et technique. Le triptyque Formation/ travail/ recherche est amené à se reconfigurer.

- Il ne s’agit plus de former des élites pour qu’elles pensent à la place des acteurs mais d’entrainer les acteurs à penser leur action.

- Le service R&D est un archaïsme au même titre que le bureau des méthodes : le travail ne se pense pas dans un espace dédié[7]. Comme l’on compris quelques grands groupes industriels, il est nécessaire de former des accompagnateurs de l’émergence des procédures et de la création dans le cours de l’activité. Des accompagnateurs capables de développer chez l’acteur la capacité à produire ses propres prescriptions ou à être capable de reconstruire la prescription qu’on lui donne.

- Plus que d’apprendre en répétant des taches abstraites et décontextualisées, il est nécessaire de créer les contextes apprenants dans un cadre de travail ; des contextes dans lesquels l’apprenant s’entraine à gérer ses erreurs, réguler son comportement et développer son adaptabilité. Les compétences à développer dans une société incertaine et complexe ne s’écrivent plus seulement en terme de geste technique ou de savoir. Elles s’écrivent en terme de capacité à construire un geste technique et à aller chercher un savoir. Ainsi les objectifs en terme de performance mesurable et objectivable, comme les tests de QI passent à la trappe de l’histoire ou en tout cas s’en trouvent bien questionnés.

REDEFINIR L’ESPACE DE TRAVAIL

Les territoires du travail sont aussi re-questionnés dans leur fonctionnement pratique : dans les formes de travail tayloriennes l’activité conduite sur le poste de travail était  reconnu comme étant le travail qui était à rémunérer. Quand un ouvrier quittait son poste il « ne travaillait » pas. Les activités comme par exemple les réunions étaient considérées comme périphériques, plutôt secondaire et quand ils sortaient de réunion c’était pour « retourner travailler » Cette distinction a la vie dure et l’on voit souvent un manager sortir d’une séance de coaching ou d’une réunion de décision continuer à dire qu’il « retourne travailler ». Et le coach a souvent envie de lui dire : mais dans la séance de coaching aussi tu travailles !

Là encore les territoires se recomposent : le temps passé dans ces activités périphériques  subissent un réelle inflation depuis que l’automatisation des activités cantonne les acteurs dans des activités de gestion des flux d’information et de prises de décisions.

D’activité centrale, le geste professionnel tend à devenir périphérique. On assiste à un déplacement du centre du travail et donc à une redéfinition de ce qu’est le travail.

Par exemple on s’aperçoit que la réunion devient un acte professionnel, et qu’il est temps de former les acteurs de l’entreprise à la tenue de réunion.

Cette reconfiguration rencontre plutôt violement la législation du travail et plus généralement les représentations communes, ou partagées, de ce que c’est que le travail. Comme dans les mouvements tectoniques, il s’installe une pression entre ce vers quoi nous pousse la réalité et les résistances le poids des us et coutumes.

Comme dans tous les mouvements d’institutionnalisation de la novation, l’institué pousse au changement[8]. Avec souvent un cout social ou une certaine souffrance comme on a pu le voir récemment avec Uber ou toutes les Ubérisations en cours ou imminentes.

La question se pose alors de savoir s’il va falloir attendre un tremblement de terre destructeur pour rétablir l’équilibre entre les forces en présence ou si l’on va pouvoir accompagner le changement. En ce sens les mini-séismes que constituent l’émergence de phénomènes comme Uber est salutaire. On voit bien que sous la contrainte de la novation et du détournement des règles établies, les baronnies s’en trouvent bousculées. On voit bien comment Uber a obligé les taxis à revoir leurs modes de fonctionnement et la manière d’entrer en relation avec les clients. A terme il y a de grandes chances que l’hégémonie provisoire d’Uber finisse par se diluer dans la réalité. Mais ce ne sera pas sans avoir eu un effet sur le système, comme les virus ont pu modifier l’ADN de l’homme au cours du temps. La vraie question du débat politique actuel est bien autour de la capacité des politiques à entériner le changement qui s’impose à nous et à en instituer les lois et les règles prenant en compte les changements techniques qui bousculent ces règles.

[1] Voir l’article le travail craque : https://www.linkedin.com/pulse/le-travail-craque-denis-bismuth?trk=mp-reader-card

[2] Voir : - Peut on apprendre à être attentif ?http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/03/6302-peut-apprendre-etre-attentif/

- Attention et burn out  http://www.e-rh.org/index.php/blogs/les-articles-du-blog/197-burn-out

[3] La notion de reproduction empruntée à P.Bourdieu concerne autant la formation comme espace de production de savoir à transmettre aux novices que la reproduction des compétences dans le sens de la re-création de nouvelles compétences adaptées au changements techniques qui concerne le monde de l’entreprise où l’essentiel des métiers des 20 prochaines années n’existe pas encore et s’inventent dans le cours de l’action.

[4] voir l’article : la crise de la formation comme discours sur une mutation

https://www.linkedin.com/pulse/la-crise-de-formation-comme-discours-sur-une-mutation-denis-bismuth?published=t

[5] Voir à ce sujet le livre d’Elisabeth Canto-Sperber : l’oligarchie de l’excellence (PUF)

[6] là ou les nouveaux arrivants sont supposés recevoir les instructions nécessaires à la vie en société

[7] Voir l’article Le génie est dans l’établi   http://www.metavision.fr/genie-letabli/

[8] voir l’article L’Entreprise libérée un analyseur d’un changement du paradigme de gouvernance  ?

http://www.metavision.fr/lentreprise-liberee-un-analyseur-dun-changement-du-paradigme-de-gouvernance/

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