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Billet de blog 26 avril 2013

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Premières leçons d'Italie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Deux mois après les élections générales, la crise politique en Italie semble trouver une issue – toute provisoire – avec la réélection de Napolitano à la présidence de la République et de la nomination de Letto comme premier ministre d’un « gouvernement d’entente », le gouvernement de l’inciucio comme le disent ses adversaires (dans la revue Micromega et ailleurs). L’arbitre de la situation est Silvio Berlusconi, ressuscité d’entre les morts par les élections (son parti a réalisé un score inespéré), par les manœuvres des dirigeants du PD (le « centre gauche ») et surtout par Napolitano, vieil apparatchik stalinien reconverti en européiste intransigeant.

Reprenons le fil des évènements. Aux élections de février 2013, tout le monde misait sur une victoire du « centre gauche » conduit par Bersani qui aurait suivi la politique économique de Monti. Toute la presse « économique » (c’est-à-dire capitaliste) européenne se réjouissait à l’avance. Si Bersani ne réussissait pas son pari, on avait un plan B : une coalition Bersani-Monti, les sondages promettant monts et merveilles à l’ancien chargé d’affaires de Goldman-Sachs. Patatras ! Les électeurs, sur qui on ne peut décidément pas compter, déjouent ces plans. La coalition du « centrosinistra » obtient bien, de justesse, la majorité absolue à la chambre des députés, mais rate le Sénat. Les deux surprises sont d’une part la poussée du Mouvement des Cinq Étoiles de Beppe Grillo et la résistance du PDL de Berlusconi qui talonne le « centrosinistra ».

Impossible donc de former un gouvernement. Monti est chargé des affaires courantes. La bataille se déplace vers la présidence de la république. Les manœuvres succèdent aux manœuvres. Bersani veut Prodi pour succéder à Napolitano. Mais d’Alema, autre dirigeant du PD fait échouer l’affaire. Une solution émerge : Rodotà, ancien dirigeant du PDS, qui aurait le soutien de la base du PD, de toute la « gauche » et des partisans de Grillo. Mais Bersani s’y oppose. Une alternative réelle au système Berlusconi aurait pourtant pu s’esquisser. Mais c’est précisément ce dont les dirigeants du PD ne voulaient pas. Ils oeuvrent pour un gouvernement de « large coalition », c’est-à-dire pour faire rentrer le PDL de Berlusconi dans le jeu. Et c’est Napolitano qui est à la manœuvre. Ainsi l’accord PD/PDL aboutit à la réélection de Napolitano qui confie ensuite à Letta (un PD ex-démocrate-chrétien) la charge constituer un gouvernement PD/PDL.

Voilà où nous en sommes. Les combines au sommet ont fini par rayer le vote des citoyens. Au lieu d’une rupture avec les deux décennies berlusconiennes, les dirigeants du PD ont réussi à remettre en selle le caïman qu’on croyait sorti de la vie politique italienne. Des milliers de membres du PD ont déchiré leur carte. Il y a eu des manifestations au siège du PD pour dire « Non à Berlusconi ». Mais rien n’y a fait. Les grillistes se réfugient dans l’opposition, mais ils sont sans perspectives, sinon d’être une opposition loyale de la caste au pouvoir qui garde son pouvoir intact.

La suite est déjà presque écrite : le gouvernement de coalition va finir de remettre en scène Berlusconi ; ce dernier a de bonnes chances de faire voter la réforme qui lui tient à cœur, la présidentialisation du régime par l’élection du président au suffrage universel. Aux prochaines élections, le PDL l’emportera et Berlusconi peut sérieusement caresser l’espoir d’être élu président.

À tous égards c’est un désastre. Un désastre dont on voit mal comment pourrait surgir une alternative ; le M5S de Grillo n’est pas un parti politique mais un rassemblement de circonstances des « vaffan » (en bon français « qu’ils aillent se faire enc… »), même si ce rassemblement peut aussi porter des germes de renouveau politique mais qui risquent d’être étouffés après ce week-end « di vomito » (à vomir) comme Grillo a qualifié l’inciucio (les magouilles) des 21 et 22 avril. À gauche du PD, il n’y a rien : l’échec patent de la coalition hétéroclite réunie autour des groupes communistes maintenus, de l’Italie des valeurs et de quelques verts a obtenu un résultat anecdotique et n’a plus aucun poids politique sérieux. Vendola et son SEL sont en retrait. Le PD est un rassemblement de féodalités que n’unit aucune orientation politique sinon le partage des prébendes du pouvoir.

La « povera Italia » ne manque pourtant pas de ressources. La vitalité du peuple et de la « société civile » contraste avec les puanteurs du marais politicien. Mais peut-être faut-il boire le calice jusqu’à la lie pour que le nouveau puisse se faire jour.

Un Français qui observe les événements italiens ne peut s’empêcher de penser « De te fabula narratur ». La bonapartisation du régime italien, nous l’avons connue en 1958. La décomposition de la gauche française et plus généralement de la classe dominante n’a pas grand-chose à envier à celles des rives du Tibre. Avec une histoire très différente, le PS ressemble fort au PD. Une leçon commune : la gauche n’existe plus, ni à Paris ni à Rome. Il est vain de s’accrocher à des fantômes. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts, comme le dit l’Évangile.

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