Cessons de nous voiler la face. Nous sommes mal. Très mal. Individuellement et collectivement.
Depuis plusieurs décennies, la Nature nous crie « sauvez-moi, ou crevez avec moi[1] ».
Depuis plusieurs années la finance nous dit « Au secours, plus personne ne contrôle plus rien ; la confiance sur laquelle repose le fiduciaire est à ce point fragilisée que tout l’édifice va s’écrouler ».
Depuis plusieurs mois, des terroristes aussi déboussolés que manipulés, agissant en solitaires ou en groupes armés nous disent : « donnez-nous enfin des raisons de vivre, ou nous détruirons vos vies, au nom d’un Au-delà qui ne pourra pas être pire que ce que vous nous faites subir sur cette terre ».
Depuis plusieurs semaines, les migrants fuient l’Afrique et se précipitent vers l’Europe aux cris de « Accueillez-nous ou perdez ce qu’il vous reste d’humanité dans le spectacle de notre agonie ».
En face de ces réalités, devant ces urgences :
- Nous organisons une énième conférence mondiale sur le climat, conférence qui débouchera cette fois encore sur la signature de protocoles dérisoires,
- Nous réglementons drastiquement et bridons l’économie réelle sans comprendre que celle-ci représente à peine 2,5 pour cent des créations de valeurs, donc des hypothèques prises sur les générations à venir et sur l’écosystème.
- Nous sacrifions ce qu’il reste de nos libertés individuelles et nous envoyons nos armées jusqu’en Syrie et jusqu’au Yémen pour lutter contre « des symptômes dont nous cultivons les causes »[2].
- Et nous nous chamaillons sur des quotas de répartition des flux migratoires, avec des arrières pensées mal dissimulées de compensation d’une démographie vacillante et de regains de compétitivité permis par l’arrivée d’une main d’œuvre servile et bon marché…
Sommes-nous vraiment tombés aussi bas, sommes-nous collectivement devenus aussi cons ?
Ben Oui. Et le fait d’avoir donné procuration à des dirigeants élus pour orchestrer ces démissions collectives apparaît plus comme une circonstance aggravante que comme une excuse.
Si nos civilisations étaient jeunes, si nous ne disposions pas de l’héritage que nous ont laissé les philosophes grecs, les physiocrates du siècle des lumières ou encore les auteurs « décalés » du XXième siècle, notre résignation collective pourrait sinon s’excuser au moins s’expliquer.
Mais tel n’est pas le cas. Loin s’en faut. Notre histoire, la longue histoire des civilisations, doit nous permettre de comprendre que ces quatre crises sont interdépendantes. Et ce qu’il nous reste de temps de cerveau disponible devrait nous suffire pour conclure que le seul diagnostic qui puisse être posé est le suivant : l’argent étant le sang de la vie économique et sociale[3], sa très mauvaise circulation représente la cause commune de ces dysfonctionnements qui finiront par avoir la peau du patient Humanité et raison de l’habitabilité de la planète qui le supporte.
Il s’agit juste de comprendre qu’aucune cellule du corps social mondial ne pourra être en bonne santé tant que ses voisins, même les plus éloignés, ne recevront pas le minimum de ce fluide vital qu’est l’argent. Que les effrayants déséquilibres entre les continents, les pays, les villes et les quartiers ne peuvent déboucher sur autre chose que sur des conflits armés. Que le fait d’inciter toutes les cellules du corps social à stocker, à la faveur d’une compétition débridée qui essore la planète, un maximum de ce fluide vital est collectivement suicidaire.
Ce diagnostic posé, restera à constater que la rétention de fluide vital mal acquis ou même simplement non affecté constitue un délit contre l’Humanité. A mesurer la dangerosité réelle des gigantesques quantités de produits dérivés hautement toxiques fabriqués et thésaurisés par les acteurs de l’économie virtuelle. Et à imposer, tout autour de la planète, à tous les détenteurs de ces monstruosités financières, leur dilution dans l’économie réelle, préférentiellement sous forme d’investissements massifs et immédiats dans des équipements collectifs en Afrique et dans toutes les villes ou quartiers des cinq continents où le fluide vital qu’est l’argent ne circule pas ou ne circule plus que dans les réseaux criminels ou mafieux.
En résumé chacun de nous est menacé à court terme par les conséquences de l’une au moins des 4 crises évoquées ci-dessus. Sauf si nous avons l’intelligence collective de désamorcer la crise financière en diluant ou plutôt en dé-virtualisant les produits toxiques qui asphyxient nos sociétés. Ces produits représentant 40 années du PIB planétaire, soit nous attendons qu’ils nous explosent au visage, soit nous les utilisons pour réparer la planète et pour combattre à leurs sources le terrorisme comme la fatalité migratoire. Cela permettra, cela permettrait, prise en passant, de réinsérer les délinquants financiers et de redonner à l’Humanité sinon un cap, au moins un projet. Excusez du peu…
[1] Fred Vargas
[2] Bossuet (attribué à)
[3] Léon Bloy