La paresse des esprits: à propos des tiroirs de rangement de nos têtes

L’esprit humain est formaté pour classer les éléments de la nature dans des « tiroirs » préparés à cette fin. De sorte que ceux qui n’ont pas de lieu de rangement parce qu’ils sortent de l’ordinaire sont quand même classés quelque part. Et la règle d’or du classement est à l’évidence le marquage des différences les plus visibles dans un contexte donné. C’est la raison pour laquelle les métis afro-européens sont d’office considérés comme des Blancs dans le contexte africain. Tandis que l’application de la même règle de différenciation aboutit à une classification inverse dans le contexte européen. La seule façon d’échapper à cet ordre des choses – qui n’est rien d’autre que le signe de la paresse de nos esprits – est de le remettre en cause par la réflexion. Car le métis n’est ni exclusivement blanc, ni exclusivement noir. Il est un peu des deux à la fois.

A vrai dire, cette manie de la classification ne présenterait en soi aucun intérêt si elle ne masquait parfois des jugements de valeur sur les autres. A cet égard, l’affaire de l’humoriste Dieudonné a été très significative. Né d’un père d’origine camerounaise et d’une mère Française d’origine bretonne, il a été présenté, suite à des propos intolérables sur les Juifs, comme un Noir antisémite. Ce qui revient à innocenter la partie blanche de son identité. Que Dieudonné ait été poursuivi en justice pour ses propos ignobles ne me dérange guère. Responsable de ses actes et de ses propos, il a tout simplement récolté ce qu’il a semé. Ce que je trouve gênant dans l’affaire, c’est l’association de l’antisémitisme à un Noir qui n’est (exclusivement) noir que omission volontaire ou inconsciente d’une partie de son identité. Car le fait d’occulter sa part d’identité blanche revient à stigmatiser sa supposée couleur noire comme si celle-ci était pour quelque chose dans le discours ignoble qu’il a tenu.

Denis Dambré