Au nom de la neutralité, nous préférons quelquefois, en France, ignorer les choses plutôt que de les savoir. Nous préférons, par exemple, ignorer les convictions politiques des journalistes qui nous présentent les informations télévisées plutôt que de savoir que tel présentateur est favorable à tel parti politique pour telle élection – ce qui nous permettrait d’être plus critiques en l’écoutant et l’obligerait, de son côté, à être plus incisif et plus objectif dans ses interviews politiques.
C’est ce qu’a montré l’affaire Alain Duhamel pendant la campagne présidentielle de 2007. Pour avoir déclaré en voix off à des étudiants qu’il voterait pour François Bayrou, il a été écarté sans ménagement de France 2. Et personne ne s’inquiète de savoir ce qu’il est devenu car, pour beaucoup, il aurait dû nous tenir dans l’ignorance de ses accointances politiques plutôt que de laisser filtrer quelque information à ce sujet. Or, n’était-ce pas préférable, pour exercer notre esprit critique, de savoir que ce journaliste voterait pour le candidat du Modem plutôt que de l’ignorer ?
Il en est de même des convictions religieuses des gens. Alors que dans d’autres pays les gens parlent librement de leur religion – ce qui permet de compter leurs convictions religieuses au nombre des paramètres d’analyse de leurs prises de position –, nous préférons en France qu’ils avancent masqués. C’est ce que révèlent les critiques sur les manifestations de piété d’Ingrid Betancourt. Visiblement, nombre de nos concitoyens auraient préféré ignorer que l’ex-otage est croyante plutôt que de le savoir. Or, n’est-ce pas préférable, pour l’exercice de notre esprit critique, de savoir qu’elle est un peu mystique plutôt que de l’ignorer ?
D. Dambré