Le découpage de la réalité par le langage influe souvent sur notre façon de voir les choses sans que nous ne nous en rendions compte. Prenons l’exemple de ce que nous appelons communément « les adjectifs possessifs », c’est-à-dire les fameux mon, ton, son, notre, votre, leur et leurs correspondants féminins et pluriels. De par leur dénomination même, on aurait tendance à croire qu’ils expriment une relation de possession entre des éléments de la nature et leurs propriétaires. Mais, à bien réfléchir, on s’aperçoit qu’il n’en est pas vraiment ainsi lorsque, par exemple, un parent dit : « mon enfant ». Car, à l’évidence, l’adjectif dit « possessif » n’exprime pas dans ce cas une relation de possession (on ne possède pas un enfant comme on possède un livre), mais une relation de filiation.
Et supposons qu’un élève dise : « Dans mon collège, il y a 700 élèves ». L’adjectif possessif « mon » a-t-il le même sens que si c’était un professeur qui s’exprimait ? A l’évidence, non. Car, pour l’élève cela signifie « dans le collège que je fréquente en tant qu’élève », tandis que pour le professeur cela signifie « dans le collège où j’exerce mon métier d’enseignant ». Ni l’un, ni l’autre n’aurait la prétention de faire du collège un bien qui lui appartient et dont il dispose à sa guise. C’est pourquoi, il faut toujours faire attention aux différents niveaux d’interprétation de ce que les linguistes appellent « le discours », c’est-à-dire la parole prise par un locuteur dans des circonstances particulières pour produire un énoncé à destination d’un allocutaire. En somme, on ne parle pas toujours pour dire des choses vraies ou fausses. On parle pour faire des choses : convaincre, promettre, consoler, flatter, critiquer etc.. Des philosophes du langage comme John Langshaw Austin ou John Searle, et des linguistes comme Emile Benveniste l’ont bien montré.
D. Dambré