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Billet de blog 1 novembre 2017

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7 thèses contre une économie injuste - Pour une économie sous le signe de la joie

En 1517, révolté par les indulgences, Luther rappelle le message fondamental de l’Évangile : pour que l’homme soit sauvé la seule grâce de la part de Dieu lui suffit. 500 ans après, un nouveau système marchand mensonger s’est mis en place, ses prêtres sont les défenseurs de l’idéologie d’un marché tout-puissant. Mais une économie sous le signe de la joie est possible.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Annick Blanc, René Blanc, Denis Dupré, Véronique Dupré, Dominique de France, Alain Granier, Martine Kentzinger, Francis Marchal, Caspar Visser 't Hooft, Sophie Zentz

En 1517, révolté par les indulgences, Luther rappelle le message fondamental de l’Évangile : pour que l’homme soit sauvé la seule grâce de la part de Dieu lui suffit. Il s’oppose ainsi à une Église qui avait mis en place un système marchand mensonger. Dans ce système l’homme, bien que destiné à la vie éternelle, devait encore expier ses fautes dans ce que cette Église appelait le purgatoire. Il pouvait s’en libérer en faisant des « bonnes œuvres ». Ces « bonnes œuvres » consistaient pour une grande part en des dons à l’Église, moyen pour celle-ci de s’enrichir et d’affirmer son pouvoir quasi absolu.   

500 ans après, un nouveau système marchand mensonger s’est mis en place, ses prêtres sont les défenseurs de l’idéologie d’un marché tout-puissant. Les principes qui fondent ce système doivent être questionnés à la lumière de l’Évangile. Parce que son emprise sur l’homme et la nature veut être totale, il faut résister à cette nouvelle idole. S’accommoder de ce système en en corrigeant les excès, par l’action humanitaire par exemple, ne permet pas d’en ôter l’injustice. L’humanitaire ne peut servir d’indulgence pour se racheter. Quand nous accueillons la grâce dans sa plénitude, il n’y a plus de place pour la mauvaise conscience. Libérés, nous pouvons suivre le chemin de justice et d’amour que Dieu trace pour nous et qui passe par le refus de tout ce qui aliène, opprime et fait souffrir l’humain.   

7 thèses contre une économie injuste

1 L’idéologie dominante de notre époque nous fait croire que le chacun-pour-soi construit une société harmonieuse. Ceci est faux. La concurrence sans limite accélère la destruction des plus faibles et de nos ressources. L’Évangile nous appelle à aimer notre prochain comme nous-mêmes et à ne pas agir par rivalité (Ph. 2, 3). Cette exigence est valable pour tous les domaines ; ils se situent tous sous l’autorité de Jésus-Christ, l’économie incluse.

2 L’idéologie dominante de notre époque favorise une société où tout s’achète et tout se vend. Ainsi les trafics de drogue, d’armes, d’organes et même d’hommes, de femmes et d’enfants deviennent des activités ordinaires. Il faut refuser la marchandisation du vivant et l’accaparement de ce qui est indispensable à la vie. L’Évangile nous dit que notre vie nous est donnée.

3 L’idéologie dominante de notre époque nous fait croire que la réalité est marquée par la rareté qui induit la peur de manquer. Pourtant l’Evangile nous appelle à changer notre regard et à distinguer entre nos justes besoins et nos désirs sans limites. Ainsi, se contenter de satisfaire nos besoins plutôt que sombrer dans la démesure de nos désirs nous permet d’accueillir ce qui nous fait vivre comme une abondance donnée par Dieu.

4 L’idéologie dominante de notre époque pousse les hommes aux excès dans le prêt ou l’endettement. Il convient de rappeler l’exigence biblique de ne pas priver le débiteur insolvable du nécessaire à sa survie. De plus, la proclamation de l’Évangile commence avec l’annonce d’un jubilé (Luc 1, 9). Le jubilé est une année de remise totale des dettes. L’Évangile nous dit que notre dette vis-à-vis de Dieu est infinie mais qu’il nous l’a remise pleinement. Le créancier doit accepter le risque de ne pas être remboursé.

5 L’idéologie dominante de notre époque nous fait croire que l’économie est un jeu. La spéculation en est l’expression. Cette finance casino propose de parier sur tout, matières premières, santé, entreprises, monnaies, considérant au fond les hommes comme des jetons. Dans ce système l’argent n’est pas au service de tous, mais seulement au bénéfice de quelques initiés. Ils prennent des risques inconsidérés dont les conséquences sont portées par d’autres. Dieu dit : « Tu ne voleras point ».

6 L’idéologie dominante de notre époque favorise le financement des activités les plus immédiatement rentables au détriment de l’intérêt général. Le plus rentable pour les actionnaires est souvent ce qui détruit la terre et néglige les travailleurs et l’ensemble des hommes. La course à la rentabilité pour la seule rentabilité est incompatible avec le message chrétien. L’Évangile nous dit d’adorer Dieu et non pas l’argent. L’argent est au service de tous dans le respect de la création.

7 L’idéologie dominante de notre époque nous fait croire que la réussite personnelle passe principalement par le travail rémunéré. Ceci est faux, le travail rémunéré permet de vivre, mais la valeur de l’homme lui est donnée par Dieu quelle que soit sa situation. Nous sommes appelés à témoigner en faveur d’une société qui donne à chacun un travail à sa mesure par lequel il peut rendre gloire à Dieu. Cette louange s’exprime par l’entraide, le travail bien fait, l’intégrité et le respect.

Pour une économie sous le signe de la joie

Une société est caractérisée par l’utilisation des ressources naturelles, des dons et compétences de chacun et par la répartition de la production par des échanges. Les règles qui définissent ces échanges, ce qu’on appelle l’économie, doivent assurer les objectifs suivants.

1)  Veiller à ce que tous les hommes sans exclusion, aient accès aux ressources élémentaires vitales (eau, air, terre cultivable… ).

Dans une société qui aspire à la joie chacun reçoit sa part nécessaire. Ceux qui ont du surplus, qu’ils l’accueillent avec conscience et reconnaissance. Qu’ils le donnent et l’abandonnent car cette abondance nous permet d’échanger et de partager. L’abondance de la vie que Dieu nous donne se caractérise avant tout par la richesse des liens entre les hommes.

2) Le marché est un lieu physique d’échange de biens et de services et d’élaboration de projets communs. Dans une société de la joie tous les hommes participent au marché : aucun, le plus faible soit-il, n’en est exclus. Pour cela, cette société se fonde sur des principes.

   - Le marché ne s’auto-régulant pas, un État souverain garantit que chacun reçoit un revenu juste.

   - L’État veille à ce que le marché ne crée jamais « ni maîtres, ni esclaves ».

3) Pour mettre en œuvre ces principes, il est indispensable de définir le cadre du marché et de la marchandisation.

   - Privilégier d’abord le marché local et l’agriculture respectueuse de la Création.

   - Exclure les ressources vitales de la logique du marché (eau, air, terre cultivable… ).

   - Exclure absolument du marché le corps humain, image de Dieu. Pas d’esclavage : un homme ne peut être la propriété d’un autre. Pas de vente, de location ou d’achat de tout ou partie du corps humain.

   - Limiter la propriété privée. L’accumulation de biens, de propriétés, de moyens de production ou de capital par un petit nombre ôte à la communauté des hommes sa souveraineté. Elle est un obstacle à une société joyeuse.

La conception « libérale » de l’homme est celle d’un être isolé, se suffisant à lui-même, non d’un être en communauté, en relation. Le Dieu de la Bible, solidaire de l’humanité par le Christ, s’est lié à elle une fois pour toutes. La société humaine, dans son fonctionnement économique, celui de la « maison » des hommes, doit se donner des règles pour maintenir le lien entre tous - de même que Dieu maintient son lien d’amour avec nous à travers les détours de l’histoire. C’est ainsi qu’elle crée la joie, fruit de l’Esprit.

Texte élaboré par le groupe Bible et économie (voir le site ici) de l’Église protestante unie d'Orange-Carpentras (Annick Blanc, René Blanc, Denis Dupré, Véronique Dupré, Dominique de France, Alain Granier, Martine Kentzinger, Francis Marchal, Caspar Visser 't Hooft, Sophie Zentz). Le groupe s'est inspiré du geste de Martin Luther qui en 1517 publiait ses 95 thèses contre les indulgences. La date est considérée comme le début du protestantisme; l'année 2017 est marquée par des manifestations autour du 500ème anniversaire de ce grand courant du christianisme. 

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