denis dupre (avatar)

denis dupre

Enseignant chercheur, Université Grenoble

Abonné·e de Mediapart

38 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 novembre 2017

denis dupre (avatar)

denis dupre

Enseignant chercheur, Université Grenoble

Abonné·e de Mediapart

Religion chrétienne : qui sera sauvé ?

500 ans de la Réforme protestante. Témoignage d'une réponse à une question vitale "qui sera sauvé ?"

denis dupre (avatar)

denis dupre

Enseignant chercheur, Université Grenoble

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Dupré

Météores, Fresques de Théophane le Crétois, 16ième siècle, Monastère de Saint Nicolas, Grèce, 2016.

La bible est discrètement gravée partout. Je vis dans un monde construit  par un imaginaire religieux.

Ma vision de ce qui se passe après la mort y trouve sa source.

Peut-être croyant ou pas, je me suis arrêté dans une de ces minuscules chapelles perchées des Météores devant cette fresque qui montre à voir un jugement dernier.

Observant les détails du haut de cette représentation, il m’a semblé que croire en Dieu nous sauvait.

Les fresques sont magiques et font vagabonder la pensée. Quand mon regard s’est déplacé vers le bas de cette fresque j’ai ressenti autre chose. J’ai réalisé que l’enfer me faisait peur.

Il suffisait peut-être de faire plus de bonnes actions que de mauvaises actions. Je me suis dit que je n’avais pas vraiment compté ni les unes ni les autres dans ma vie. Je me suis demandé si elles pesaient toutes pareilles dans la balance.

En poursuivant mon chemin devant les murs peints, je me disais que je ne savais combien d’années il me restait à vivre. Et si je n’avais pas le temps de faire pencher la balance du bon côté, à quoi bon me fatiguer ?

« Au moment du jugement dernier, vais-je être sauvé ? Et qu’en sera-t-il de ma famille, de mes amis ? Et même de mes ennemis ?  »

Dès la sortie de l’obscurité reposante  de la chapelle, ces questions se sont envolées avec le grand soleil et la joie des vacances en famille.

Je suis, j’ai été et serai, catholique par éducation, protestant par affinité, chrétien sans Eglise, parfois athée, parfois indifférent…

Cette question me revient pourtant lancinante :

 « Qui sera sauvé ? »

Je peux écouter Luther.

Le jeune moine, entré chez les augustins à 22 ans, est mû par la question du Salut : «Comment puis-je avoir la certitude d’être sauvé?». Mais sa hantise de ne pas être aimé de Dieu lui fait faire une découverte. Il proclame une parole qui sonne étrangement à l’époque : nous serons sauvés par la grâce seule - Sola gratia. Radicalement pécheur, l’homme ne peut se sauver par lui-même, par ses propres forces, par des œuvres méritoires. Luther reproche donc à l’église de vendre le paradis contre de l’argent dans ces 95 thèses qui fondent le protestantisme.

L’homme est pardonné, donc sauvé, par la grâce de Dieu. Luther doit cette découverte à une lecture attentive  de l’épître de Paul aux Romains :

En effet, cet Evangile nous révèle en quoi consiste la justice que Dieu accorde: elle est reçue par la foi et rien que par la foi, comme il est dit dans l'Ecriture: Le juste vivra par la foi. (Paul, 1-17)

Car nous pensons que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. (Paul, 3-28)

L’homme n’est pas libre, il ne peut se mettre de lui-même en route vers Dieu ni coopérer à son salut : «La foi seule sauve et non pas les bonnes œuvres achetées.». La foi seule - Sola fide – qui elle aussi est un don de Dieu. Elle est une acceptation de l’amour de Dieu et celui qui vit dans la foi accomplit des œuvres en reconnaissance de l’amour de Dieu : « dans la vie de l’homme de foi, les bonnes œuvres ne sont pas les nôtres mais celles que l’énergie divine accomplit à travers nous ».

Ceux qui n’ont pas la foi, seront-ils sauvés ? Si je n’ai plus la foi sur mon lit de ma mort parce que la foi peut être intermittente et vaciller, serai-je sauvé ?

Luther n’a pas la réponse à cette question.

Le père Pierre Fournier y a répondu :

Denis Dupré : « Qui sera sauvé ? Serons-nous tous sauvés ? »

La réponse fut simple, directe :

Pierre Fournier : « Le problème c’est le temps du verbe. C’est « qui sera sauvé ? ». Alors là, la réponse elle est assez claire dans la parole de Dieu, c’est : nous avons déjà été sauvés.  Et nous avons déjà TOUS été sauvés.

Avec la Création, il nous a fait passer du "tohu-bohu" à la Vie, des ténèbres à la Lumière: "Il y eu un soir, il y eut un matin." Genèse 1,5

 C’est déjà pressenti par le prophète Esaïe : "Exultons! Le Seigneur nous a sauvés!" Esaïe 25,6-9   »

Et c’est affirmé sur la croix par Jésus  "Tout est accompli" Jean 19,30

J’ai donc relu Ésaïe. VIIIème siècle avant Jésus Christ, le Dieu unique ressemble un peu aux dieux grecs fantasques et imprévisibles. Il montre un Dieu terrible, vengeur, parfois précautionneux envers les hommes. Mais au final il a une particularité nouvelle ; il est comme un père qui bougonne, mais qui finit toujours par accorder sa bienveillance. Apparait pour la première fois dans l’histoire, un Dieu qui, plus que tout, nous aimerait:

Vous tous qui avez soif, venez aux eaux, et vous qui n'avez pas d'argent, hâtez-vous, achetez et mangez; venez, achetez sans argent et sans aucun échange le vin et le lait. Ésaïe 55,1.

Que l'impie abandonne sa voie et l'homme d'iniquité ses pensées, et qu'il revienne au Seigneur, car Il aura pitié de lui; et à notre Dieu, parce qu'Il est large pour pardonner. Ésaïe 55,7.

La main du Seigneur n'est pas raccourcie de manière à ne pouvoir plus sauver, et Son oreille n'est pas devenue dure de manière à ne pouvoir plus entendre. Ésaïe 59,1.

Cette révélation (apocalypse) d’un Dieu, non vengeur, qui nous a tous sauvés, engendre des bouleversements dans nos vies :

Pierre Fournier : « Nous avons été sauvés et c’est pour Luther ce qui l’a fait passer de l’angoisse à la paix intérieure »

On est aimé inconditionnellement de Dieu.

On est aimé inconditionnellement de Dieu.

On est aimé inconditionnellement de Dieu.

Il faut relire cette phrase pour commencer à entendre. Et si l’on dit « notre père » dans nos prières, il faudrait entendre aussi « notre mère ». Pour Christian Bobin nous avons vécu l’expérience de cet amour inconditionnel dès le début de notre vie :

Une mère ne représente rien en face de son enfant. Elle n'est pas en face de lui mais autour, dedans, dehors, partout. Elle tient l'enfant levé au bout des bras et elle le présente à la vie éternelle. Les mères ont Dieu en charge. C'est leur passion, leur unique occupation, leur perte et leur sacre à la fois.

 La beauté vient de l'amour. L'amour vient de l'attention. L'attention simple aux simples, l'attention humble aux humbles, l'attention vive à toute vie, et déjà à celle du petit chiot dans son berceau, incapable de se nourrir, incapable de tout, sauf des larmes. Premier savoir du nouveau-né, unique possession de prince à son berceau: le don des plaintes, la réclamation de l'amour éloigné, les hurlements à la vie trop lointaine- et c'est la mère qui se lève et répond, et c'est Dieu qui s'éveille  et arrive, à chaque fois répondant, à chaque fois attentif, par-delà sa fatigue. Fatigue des premiers jours du monde, fatigue des premières années d'enfance. 

De là vient tout, hors de là rien.

Christian Bobin, Le Très-Bas, Gallimard, 1992.

Nous avons vécu cet amour inconditionnel contre le corps chaud de notre mère et même les mauvaises mères sont dans cette proximité de l'absolu. Cette expérience s’est inscrite en nous comme la belle aventure. C’est cette recherche qui nous fait désirer d’essayer d’aimer un être pour ce qu'il est et non pour ce qu'il peut nous apporter.

Cette inconditionnalité de l’amour reçu est une bombe à fragmentation dans nos vies.

Cela me change, me bouleverse d’être aimé inconditionnellement, d’être repêché quoique je fasse.

 Ou cela ne me fait rien encore. Je suis encore cet enfant qui peut faire les 400 coups, un vaurien qui vendrait père et mère. Lorsque j’aurai peur, où irai-je me réfugier ?

Pierre Fournier : « La question, et le pasteur Arnaud l’a bien dit, c’est notre réponse et notre réponse à partir de notre existence. […] Où en est ma peau ? Par rapport à la vie, par rapport à la mort qui peut se rapprocher par la maladie, par le mal. […] La formule de Saint Paul est fantastique : le bien que je veux faire, je n’arrive pas à le faire ; le mal que je veux éviter, j’y tombe dedans.

Mais la conviction c’est Christ nous a sauvés   »

Je suis bien libre et j’ai le choix d’aimer ou non ce Dieu qui m’aime, puisqu’il m’aime sans condition aucune, pas même d’un minimum de réciprocité. Je ferai le mal quand je souhaiterai faire le mal. Mais je ferai aussi si souvent le mal quand je souhaiterai faire le bien.

Mais si je me sais être épaulé, j’ose, j’ai moins peur de tomber. La question se déplace : peu m’importe de tomber ou non. Et c’est cela que j’entrevois parfois quand je suis tombé, ou quand j’ai cru mourir, ou quand ma vie est devenue infernale.

Que vais-je dire à Celui qui je le sais maintenant m’épaulera ?

Pierre Fournier : « La question chaque matin est : Est-ce que je vais rendre grâce au Seigneur du fait que je suis sauvé ? […]

Ecoutons Luther nous dire : ʺAttention, Marie de Nazareth elle dit j’exulte en Dieu mon sauveur ʺ.

Elle se sait sauvée. »

Aimer Dieu, à ma mesure, c’est juste le remercier d’être là toujours, si besoin. Alors je suis tranquillisé, je n’ai plus autant peur de tomber. Même si il ne pouvait me relever, finalement, l’important pour moi s’est déplacé. L’important est devenu qu’il soit là, toujours, si besoin, pour moi.

Et je sais que c’est important pour lui que je sois là. Qu’il est prêt à abandonner le troupeau pour me secourir. Juste moi.

Alors, même quand je tomberai, je ferai moi aussi tout pour me relever. Je suis devenu important puisque je suis important pour lui. 

Et si j’en arrive à m’aimer moi-même, vraiment, alors je peux commencer à aimer l’autre.

Même si cet autre vacille et que notre Dieu est prêt à me laisser avec le troupeau pour lui porter secours ?

Tiens, si je peux, je lui porterai moi-même secours !

 « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

Pourtant, les frères se détestent entre eux par jalousie et désir mimétique. Pour eux, l’enfer est déjà sur terre. Là est le diable qui divise.

Et à chaque fois, l’amour doit venir réparer. Un amour ordinaire n’y suffirait pas. Un amour limité d’une mère se diviserait et se répartirait entre les enfants.

L’amour inconditionnel d’une mère brise la jalousie. L’infini divisé en deux reste l’infini. Le fils prodigue reçoit tout. Mais le fils raisonnable aura tout lui aussi, dès qu’il en aura besoin :

Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. Luc 15,3.

Aujourd’hui, le Pape François, comme Luther en son temps, met en garde les églises chrétiennes qui se sont éloignées de la radicalité des messages et qui, par insouciance, risquent de mettre en cause la possibilité même de vie fraternelle sur terre. Que faisons-nous de notre salut ?

Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine.

Le créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour créer notre maison commune

Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.

 Pape François, Loué sois-tu (laudate si’), lettre encyclique, 2015.

Pour tous, le germe d’amour inconditionnel est en nous, depuis toujours. Dieu nous a déjà sauvés puisqu’il nous aime inconditionnellement. Quand j’ai la foi, j’ai la joie sans limite de recevoir cette chaleur. Etre relié.

Mais alors, si nous sommes tous sauvés, que faire du jugement dernier ? Cette fresque, le texte de l’apocalypse de Jean… doit-on les éluder ?

Pierre Fournier explique que le jugement dernier n’est pas à la fin des temps. Il est jugement au sens où il met en lumière. Il permet le discernement, il fait paraître le bien comme bien et le mal comme mal.

L’évangile de Jean parle du jugement au présent :

« Ne dites-vous pas qu'il y a encore quatre mois jusqu'à la moisson? Voici, je vous le dis, levez les yeux, et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. » Jean 4,35.

Le jugement dernier est en fait le jugement qui a lieu tous les jours.

 En grec « dernier » veut aussi dire « le plus important ». 

Le jugement de Dieu est le plus important pour moi car Dieu m’épaule chaque jour, me conseille pour ne pas tomber. Les tables de la loi sont des conseils.

Et moi, son fils, je sais qu’il viendra m’aider si je tombe, même si je n’ai pas suivi ses conseils.

Ainsi, le merveilleux peintre Théophane le Crétois a renversé le message chrétien. L’église a transformé un Dieu d’amour inconditionnel en un Dieu de jugement sévère.

Jacques Ellul[1] a montré combien il est difficile aux églises d’en rester au message radical du Christ : un message subversif.

Si un seul être humain n’était pas déjà sauvé, Dieu ne l’aimant plus, Jésus ne pourrait nous demander de l’aimer:

 « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

Ainsi cette simple parole résume le message du Dieu unique porté par le Christ. Nous pouvons nous sentir importants aux yeux de Dieu. Mes relations aux autres sont le reflet, renvoyé par moi, de cet amour inconditionnel de Dieu. Elles permettent de construire ensemble sur terre une société qui soit le royaume de Dieu.

Le salut, c’est la lumière de dieu. Sans elle, nous ne serions pas en vie. C’est pourquoi la croix grecque entremêle les mots grecs de lumière (phôs) et de vie (zôê)

Illustration 2
© Dupré

 Dieu a déjà gagné sur le diable par la lumière[2] puisque depuis toujours pas un seul être humain ne peut échapper à la lumière du salut. 

[1] Ce livre m’a fait redevenir chrétien : ELLUL, Jacques. La subversion du christianisme. La Table Ronde, 1984.

[2] Ecoutez ici Père Pierre fournier à la conférence ʺ Catholiques et protestants, que recevons-nous les uns des autres en tant qu’Églises et comme personnes ? ʺ, conférence débat, Gap, 19 octobre 2017.

Pierre fournier, ʺ Catholiques et protestants, que recevons-nous les uns des autres en tant qu’Églises et comme personnes ? ʺ, conférence débat, Gap, 19 octobre 2017 © Dupré

 Vous pouvez télécharger cet article au format Word ici

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.