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Billet de blog 3 juin 2015

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Qui se sent morveux...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qui se sent morveux...

25 avril, dans un article paru dans Libération, Eric Fassin et Marie Adam, militante associative à Calais, nous disent que dans les creux causés par la puissance publique lorsqu'elle choisit d'abandonner et de maltraiter des êtres humains, des associations solidaires se trouvent de fait, instrumentalisées.

Prenant l'exemple du « déménagement » de la « Jungle » à Calais, ils relèvent que les associations et militants présents, entièrement mobilisées pour venir en aide aux migrants, n'ont pu qu'accompagner une politique qu'ils désapprouvent, sans pouvoir la mettre en cause comme souvent ils le souhaitent.

Or, l'horizon de la militance pour l'égalité des droits qui motive les militants de la solidarité, c'est celui où il ne sera plus nécessaire d'avoir des associations de solidarité, ce qui nécessite de parvenir à mettre en faiblesse, sur le plan des idées et par le nombre de leurs opposants, les auteurs de cette politique inhumaine et raciste.

E. Fassin et M. Adam soulèvent donc une question recevable, pour le moins, qu'en réalité, toutes les associations de solidarité se posent sur leur propre action, nonobstant le fait qu'elles au moins ont le mérite d'être présentes, tandis que des forces indispensables à la politisation de ce qui se passe, brillent par leur absence.

Une question que les temps actuels renforcent, étant donné l'offensive menée par les forces du libéralisme économique1, au détriment de la liberté d'association et en faveur de l'instrumentalisation des associations, comme si la vocation de ces dernières était d'être le substitut au service public que ces forces asphyxient financièrement.

Et voilà que cela conduit Sébastien Thiery à déplorer qu'Eric Fassin² plaidât pour… que les associations de solidarité s'abstiennent d'être solidaire et d'accomplir le moindre geste.

Mais où a-t-il lu cela ? Et puisque ce n'est pas ce qu'exprime Eric Fassin, pourquoi veut-il croire et faire croire que ce pourrait être ce qu'il faut répondre à Eric Fassin et que c'est donc bien ce qu'Eric Fassin a écrit ?

Ayant côtoyé S. Thiéry, 2 ans, dans l'accompagnement d'un bidonville formé par des familles rroms à Ris-Orangis (RN7) puis à Grigny après leur expulsion, le témoignage de mon expérience étaye ma réponse.

Considérons ce qu'expose Sébastien Thiéry. Tout commence par un propos « nickel » qui n'épargne pas les politiques. Tout avait commencé de même à Ris-Orangis. Ces belles paroles, il avait su les prononcer tout aussi bien lorsque nous l'y avons accueilli, en se gardant d'affirmer qu'interpeller un gouvernant, c'est s'inscrire dans la plainte et la dépendance de sa réponse, c'est refuser de favoriser l'auto organisation des opprimés par laquelle l'émancipation peut cheminer.

Mais ensuite, tout s'est accompli dans une séparation complète des rôles :

  • aux citoyens qui veulent bien le suivre, S. Thiéry a réservé de réaliser les gestes « constructifs » sur site, ceux par la vertu desquels, à l'exclusion de tout autre, la réalisation de l'égalité des droits adviendra.

  • À lui, revenait l'exclusivité des relations avec les représentants de la puissance publique qu'il rencontrait, sans préparation collective et seul.

Sur ces bases, nous nous sommes heurtés à un refus obstiné de permettre à l'action que nous visions à mener, de s'adosser à des temps et des formats de réunion permettant à l'association de fait que nous formions, de fonctionner démocratiquement.

Ceci a franchement pris un tour désagréable lorsqu'il est apparu que ce penseur des nouveaux chemins de l'émancipation, s'était gardé de nous informer qu'il était susceptible de rechercher et d'accepter des subventions des mêmes gouvernants pour impliquer son association dans des « projets » par lesquels la puissance publique, pour une part contrainte à cela par le rapport de forces, s'offre sa « sélection » de familles rroms « intégrables » et redouble d'inhumanité envers tous les autres.

 * * *

Eric Fassin évoque comme un facteur de désespérance pour des militants de la solidarité, le fait que dans les espaces de maltraitance créés par les pouvoirs publics qui n'y engagent plus que les forces de police, l'urgence de la solidarité puisse devenir malgré eux une entrave à l'organisation de la riposte politique qui est elle aussi, bien évidemment l'affaire des « riverains ».

En ce qui concerne S. Thiery, ce n'est pas du tout malgré lui mais délibérément que cette entrave est cultivée.

Que par le texte d'Eric Fassin, S. Thierry se soit senti concerné. Il n'y a rien d'étonnant. Qu'il y ait répondu comme s'il était attaqué en dit long : qui se sent morveux se mouche.

Denis Krys                                                                                                                                                                                                        Citoyen de parti pris communiste

1 D'un côté une Directive européenne permettant d'assimiler toute activité associative à une prestation de service et par conséquent toute subvention publique à un manquement au principe de la concurrence libre et non faussée, condamnant un peu plus les associations à rechercher des financements à travers la réponse à des appels d'offres et à adapter leur « objet » aux desiderata de la puissance publique qui finance. De l'autre l'austérité qui asphyxie financièrement les collectivités locales et les pousse à chercher dans les associations et le bénévolat, le substitut au reflux forcé du service public.

² Il faut noter l'élégance intellectuelle de S. Thiéry qui, pour les besoins de sa démarche, choisit d'ignorer superbement Marie Adam, la militante associative co-auteure du texte avec Eric Fassin.

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