France, An CCXXIV de la République.
Nous sommes la démocratie, vertueuse et intransigeante !
Nous sommes les Inquisiteurs impitoyables de toutes les autocraties abjectes qui ensanglantent l’écoumène et avons juré de toutes les pulvériser par le glaive infaillible de nos valeurs inscrites aux frontons de nos monuments. La liberté des peuples est notre cause cardinale. L’égalité des individus, notre préoccupation éternelle. La fraternité, notre espérance ultime. Quant à la laïcité, elle revêt cette excellence suprême sans laquelle nulle société civilisée ne saurait baigner dans l’harmonie.
Par miracle divin, nous fûmes dotés d’une loi lumineuse qui permît l’instauration de la liberté de la presse en l’An de grâce 1881 (oui, un siècle après la Révolution, c’est dire si nous sommes les Usain Bolt de l’acquisition des droits fondamentaux). Merveilleux instrument que celui d’éclairer les consciences de manière impartiale !
Nul n’aurait donc l’outrecuidance de contester le bien-fondé d’un système politique indépassable et de son corolaire médiatique absolument indépendant. Pour le volet démocratique, il est d’une telle limpidité que l’objectif viscéral de la recherche de l’intérêt général est constamment à l’œuvre (hein ? quoi ? APL ? ISF ? C’est même pas des acronymes tes sigles, là, ça veut rien dire !). Heureusement pour nous, nous avons ces preux chevaliers modernes des médias autorisés (j’avoue, je suis fan de Coluche). Juchés sur leurs montures IKEA à quatre roulettes des rédactions parisiennes, les bravaches interchangeables aux mains d’une dizaine de milliardaires nous ordonnent d’observer le manichéisme insensé auquel notre monde est soumis. Brrr ! Ils sont forts ! Et ils font peur en plus ces cons ! Surtout quand ils commencent à traiter d’abruti un électeur sur cinq (bon, ok, ça ne fait qu’un Français sur dix, après tout !) Monsieur Éric Brunet de bé eff M’ machin, bien le bonjour !
Le Venezuela est donc le parangon de tous les vices universels. Notre bien aimé Président Macron, qui gouverne par ordonnances brutales, ne se gêne pas pour admonester ceux qui auraient une « bienveillance » envers cette affreuse dictature pétrolière qui martyrise son peuple. Certes, la situation est désastreuse dans ce pays caribéen qui fut naguère placé dans la sphère exclusive des Etats-Unis par le Président Monroe en 1823. Ne me demandez pas ce qui s’est passé le 11 Septembre, je n’étais pas né ! Je parle bien sûr du 11 septembre 1973 du côté de Santiago du Chili. Bref, depuis un certain Hugo Chavez, qui a eu le malheur de se faire élire et de gagner moult élections par la suite, à l’aide du suffrage de quelques citoyens un peu trop basanés au goût de Washington, l’Etat caribéen est dans le viseur de l’Oncle Sam. Monsieur Donald Trump himself évoque même l’hypothèse d’une intervention militaire dans un pays souverain tiers, ce qui plairait assurément à son lointain prédécesseur, M. Woodrow Wilson, qui érigea la doctrine du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Il est regrettable que l’alphabétisme et l’accès aux soins des catégories sociales les plus pauvres ait pu advenir ! Alors bien sûr, depuis la chute des cours du pétrole dans une économie ultra-dépendante de l’or noir, les choses sont devenues catastrophiques. Mais qui avait voulu aider auparavant l’économie vénézuélienne à se diversifier ? Et à qui profite le crime ? Ce régime honni, qui représente un furoncle nauséabond dans l’orteil de la plus grande puissance impérialiste de l’histoire de l’humanité, est un fétu de paille quand les ouragans grondent (non, non, je ne parle pas de Houston là, suis mon raisonnement un peu, merde !) Alors une opposition est derechef chérie par nos éditorialistes. Comme l’opposition syrienne en son temps, notez bien ! (Oui, oui, avec notamment Al Qaida, de gentils démocrates). Car évidemment, l’opposition vénézuélienne n’est pas non plus monolithique ! Elle a des consonnances parfois assez brunes, comme à Maïdan en Ukraine naguère d’ailleurs. Qu’il y ait des manifestations d’opposition dans un pays démocratique, quoi de plus de normal ? (Encore que, il paraît qu’il ne faut pas manifester contre Jupiter en France, parce que bon, c’est pas la rue qui dirige bon Dieu, ce sont les ordonnances approuvées par le MEDEF qu’on vous dit !) Mais qu’une opposition tire délibérément avec des armes sur les forces de l’ordre, c’est autre chose ! Et par qui est-elle armée cette opposition ? Notamment quand il s’agit de buter les basanés cités plus haut ? Nous en sommes donc à cette situation inextinguible que les journalistes du cénacle parisien ne nous dépeignent qu’en termes binaires : il y a les horribles qui trucident les gentils (qu’on ne connaissait pas avant et qu’on oubliera très vite). Et ce, à longueur de journées…Tu parles, c’est notre truc à nous ça ! Non, je n’irais pas jusqu’à rappeler certaines situations du passé (Hutus, Tutsis ? Non, décidemment, je m’égare !) Nous sommes la Patrie des Droits de l’Homme, bordel !
Parce que bon, c’est vrai quoi, après tout, il n’existe absolument aucune autre puissance sur Terre qui puisse revêtir les traits de cette infâmie. Comment ? Une dictature pétrolière ailleurs ? Non, franchement, je ne vois pas ! Mais si, voyons, une théocratie ! Euh ? L’Iran ? Ouais, c’est pas mal ! Mais il y a pire encore ! Une puissance qui n’a jamais reçu aucune sanction de la part des Occidentaux. Une puissance qui assassine les ressortissants chiites sur son territoire, qui réprime dans le sang les rébellions qui apparaissent chez ses voisins directs (Bahreïn, Yemen). Euh ? Le Qatar de Neymar ? Non, ça c’est des copains, encore que, ils commencent à faire de l’ombre ceux-là. Attention ! Je parle évidemment de l’Arabie Saoudite, dont l’idéologie wahabite est à la source directe du fondamentalisme radical qui a ensanglanté la rédaction de Charlie Hebdo ou le Bataclan. Ah oui, au fait, le 11 Septembre, j’étais né ! Et ce jour-là, dans les avions, il y avait des Saoudiens ! Que je sache, aucun terroriste vénézuélien n’est jamais venu commettre d’attentats sur les Ramblas ou dans les rédactions parisiennes…
Mais, mais, pourquoi M. Macron (et avec lui tous ses prédécesseurs) a-t-il de la « bienveillance envers ce genre de dictature » ?
Vous avez cinq heures.