Tribune 17 septembre 2024

Face aux violences, le silence assourdissant de la direction du Collège Stanislas

Après la condamnation de l’ancien directeur de l’internat pour violences, Stanislas a choisi de garder le silence. Nous, vingt anciens élèves et pensionnaires de Stanislas, demandons que l'institution fasse toute la lumière sur ces violences.

Il faut toujours dire ce que l’on voit; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit

(Charles Péguy, Notre Jeunesse)

Monsieur Igor le Diagon, directeur du Collège Stanislas,

Lundi 9 septembre 2024, la justice a reconnu Olivier P. coupable de violences physiques et psychologiques sur quatre de vos anciens élèves de classes préparatoires. Certaines victimes ont témoigné à l’audience de graves traumatismes et de séquelles psychologiques. Ces violences, désormais reconnues par la justice en première instance, ont été commises entre vos murs, sous l’autorité de la direction [1], pendant cinq ans, par un homme qu’elle avait recruté et qui affirme qu’elle lui avait donné toute latitude pour les commettre [2].

Plus d’une semaine après cette condamnation, vous avez pourtant choisi de garder le silence. Anciens élèves de l’internat de garçons du collège Stanislas, nous n’avons connaissance d’aucune réaction de votre part, aucune prise de parole, ni en public, ni en privé auprès des victimes, dont vous avez pourtant les noms et les contacts. Sollicité par la presse, vous n’avez “pas souhaité commenter l’affaire” [3]. Vous n’avez envoyé personne à l’audience pour représenter l’établissement et n’aviez en amont proposé aucune aide aux victimes convoquées au procès. Aujourd’hui, votre silence témoigne d’un manque profond de compassion, d’un refus d’assumer vos responsabilités et relève à notre avis d’une stratégie cynique pour que l’affaire ne s’ébruite pas davantage. 

Pour preuve, le silence de la direction dure depuis au moins 2018, date du licenciement d’Olivier P. pour consultation massive, sur son lieu de travail, d’images pédopornographiques [4]. Ni les élèves ni leurs parents n'ont été informés du motif réel de l'éviction de leur directeur d'internat. En 2020, certains d’entre nous étaient allés trouver votre prédécesseur, Frédéric Gautier pour lui faire savoir certaines des violences que nous avions subies et l’alerter de notre crainte qu’il y ait des victimes de faits plus graves encore. Frédéric Gautier savait alors qu’Olivier P. avait passé au moins trois décennies à diriger des internats de jeunes garçons de manière autoritaire, qu’il était apparemment attiré par les corps adolescents et qu’il était visé par une plainte pour viol sur mineur - couverte par la prescription. Malgré ces faits alarmants, la direction a refusé après quatre rendez-vous de lancer, comme nous le demandions, un appel à témoin, et a ainsi refusé de tendre la main aux autres victimes. Après 9 mois de tergiversations, certains d’entre nous sommes résolus à communiquer ces informations à la presse, malgré les menaces de procès qu’agitaient Frédéric Gautier et son avocat [5]. Cette publication [6] a permis à d’autres victimes de se reconnaître et de se déclarer, ce qui a conduit à la récente condamnation d’Olivier P. et son procès à venir pour viol sur mineur dans un autre établissement [7]. Mais si la parole a mis si longtemps à se libérer, c’est, selon nous, parce que l’établissement l’a empêchée. Ce silence n’est pas sans conséquence puisqu’il n’empêchait pas Olivier P., d’être encore, après son licenciement, en responsabilité au sein de l’association Les Papillons blancs qui accueille des jeunes en situation de handicap. 

Enfin, vous gardez le silence sur ce que l’établissement savait à l’époque, et sa possible implication dans les violences. Lors du procès, il a pourtant été mentionné qu’un autre préfet, encore en poste, a été témoin de violences physiques. Olivier P. a aussi estimé que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient qu’une application, certes rigide, du règlement et de la politique éducative de l’établissement [8], en bonne entente avec sa hiérarchie. Ses violences étaient-elles cautionnées ?

Olivier P. a déclaré à son procès qu’il avait été « sollicité pour venir à Stanislas parce qu’il y avait un règlement qui existait mais n’était pas appliqué en prépa. Ce que j’ai fait, ce n’était pas avec l’intention d’être violent.» [9]. Votre prédécesseur Daniel Chapellier, qui l’aurait donc embauché en vue d’un durcissement pédagogique, l’avait côtoyé pendant plusieurs années à l’École Saint Martin de France. À l’audience, la juge a évoqué le témoignage de la victime présumée de viol dans cet établissement, qui atteste qu’Olivier P. avait alors les mêmes comportements violents. Daniel Chapellier est lui-même, vous le savez, accusé d’agression sexuelle sur mineur et de détention d’images pédopornographiques [10]. Il aurait également soutenu Olivier P. après son licenciement auprès de la direction [11]. La direction a-t-elle engagé une personne qu’elle savait dangereuse pour l’intimité des jeunes garçons, et qui a désormais l’interdiction de travailler avec des mineurs ? Des réponses de votre part s’imposent.

Vous étiez, Monsieur le directeur, directeur des classes préparatoires entre 2013 et 2015. Ces faits vous concernent et vous obligent. Votre silence assourdissant doit prendre fin au plus vite.

Stanislas a toujours ambitionné d’être un établissement exigeant, alliant l’excellence académique à des valeurs humaines et chrétiennes. C’est pourquoi, aujourd’hui, un effort de cohérence est manifestement nécessaire pour restaurer la confiance que vous ont accordée les étudiants, présents et anciens, et leurs parents.

Signataires (anciens élèves de l’internat de garçons du Collège Stanislas entre 2013 et 2018) :

Antoine Arnaud, à l’internat entre 2015 et 2018

Antoine Bailly, à l’internat entre 2017 et 2019

Arthur Bennet, élève à Stanislas de 2013 à 2015, à l’internat entre 2013 et 2014

Guillaume Bost, à l’internat entre 2015 et 2017

Paul Bruneau, à l’internat entre 2016 et 2019

Maxendre Brunet, à l’internat entre 2015 et 2018

Raphaël Clouet, élève à Stanislas de 2013 à 2016, à l’internat entre 2013 et 2014

Benoît de Courson, élève à Stanislas entre 2002 à 2016, à l’internat en 2015-2016

Raoul de Laguarigue, à l’internat en 2016-2017

Loïc du Rostu, à l’internat en 2015-2016

Quentin Fenioux, à l'internat entre 2013 et 2015

Romain Fillon, à l’internat entre 2013 et 2015

Pierre-Louis Gali, à l’internat entre 2015 et 2017

Raphaël Gialdini, à l’internat entre 2016 et 2018

Loïc Ghostine, élève à Stanislas entre 2008 et 2017, à l’internat entre 2015 et 2017

Alexandre Guichandut, élève à Stanislas entre 2007 et 2017, à l’internat entre 2015 et 2017

Emilien Jemelen, à l’internat entre 2015 et 2018

Niels Laloë, à l’internat entre 2013 et 2016

Raphaël Montaud, à l'internat entre 2013-2015

Nathanaël Picard, à l’internat entre 2013 et 2016

Victor Reybaud, à l’internat entre 2017 et 2019

Constant Thiard, élève à Stanislas de 2010 à 2016, à l’internat entre 2013 et 2016

Louis Vernay, à l’internat entre 2015 et 2017

[1] Igor Le Diagon dirige Stanislas depuis Septembre 2024 et a dirigé les classes préparatoires jusqu’en 2015.

[2] Olivier P. avait affiché “Préfet de droit divin” dans son bureau, qu’il qualifiait de “zone de non-droit”.

[3] https://etudiant.lefigaro.fr/article/etudes/coups-de-cravache-emprise-un-ancien-responsable-d-internat-de-stanislas-juge-pour-violence-contre-six-eleves-20240909/

[4] L’enquête pénale contre Olivier P. pour détention d’images pédopornographiques a été classée sans suite. Mais le jugement du conseil des Prud’hommes mentionne que “la lettre de licenciement fait bien référence à la pédopornographie”. La subtilité se joue dans le fait que, si les images mettent en scène de jeunes éphèbes visant à évoquer des jeunes hommes pubères mais mineurs (autour de l’âge des élèves dont Olivier P. avait la charge), il n’a pas pu être établi par la Brigade de Protection des Mineurs que les jeunes hommes ayant participé à ces films et images étaient en effet mineurs.

[5] https://www.mediapart.fr/journal/france/140224/jeudi-9h40-nouvelles-accusations-visant-stanislas-un-ancien-directeur-juge-pour-des-violences-volontaires

[6] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/14/un-ex-cadre-d-un-lycee-catholique-d-excellence-vise-par-une-enquete-judiciaire-pour-agression-sexuelle-et-violences_6063269_3224.html

[7] La victime a porté plainte à la suite de la publication de l’article du Monde, au début 2021.

[8] https://www.mediapart.fr/journal/france/090924/un-ex-directeur-de-stanislas-condamne-pour-violences-cela-fait-partie-du-reglement-de-regarder-les-eleves?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3-5

[9] https://www.liberation.fr/societe/police-justice/climat-de-peur-un-ex-responsable-de-stanislas-condamne-pour-violences-contre-des-eleves-20240909_I5BVGUPH3ZFN5OO7VNKUQSAI5I/?redirected=1

[10] ​​https://rmc.bfmtv.com/actualites/police-justice/la-mise-en-examen-de-l-ex-directeur-de-st-jean-de-passy-pour-agression-sexuelle-sur-mineur-confirmee_AN-202209290027.html

[11] ​​https://rmc.bfmtv.com/actualites/police-justice/la-mise-en-examen-de-l-ex-directeur-de-st-jean-de-passy-pour-agression-sexuelle-sur-mineur-confirmee_AN-202209290027.html